Jazz Bonus : Jac Berrocal & Riverdog - Fallen Chrome

La rencontre du groupe Riverdog et de Jac Berrocal est celle de deux visions qui, en des temps différents, à partir du début des années 70 pour le second, et de ces dernières années pour les premiers, se retrouvent en une fresque-clé afin d’entrer dans un monde de désirs partagés.
Début janvier 2020, Riverdog, soit Léo Remke Rochard et Jack Dzik, arrive de Minneapolis à Paris fort de l’enthousiasme témoigné par Jac Berrocal pour “Lifted Compass”, EP publié en 2018. À 73 ans, le grand chambouleur de musiques, viscéralement amoureux des expériences imprévisibles, et deux gloutons de tout ce qui fait la fibre sensible des musiques d’aujourd’hui – de rock, de chanson, de noise music, de jazz, de punk, de hip hop, de dark ambient, de techno et de tout ce qui est multiforme et multifond – entrent en studio pour graver “Fallen Chrome”.
Les chenapans du free-noise-rock-etc. de Minneapolis rejoignent celui qui, sylphe parmi les sylphes, figure bien haut dans leur vorace fringale musicale. Quête d’un espace hors des limites imposées ou recherche de constitution d’archipels faits d’îles singulières, “Fallen Chrome” part des unes ou des autres pour les faire converser, se rejoindre ou même se confondre en suite.
On y chante, (saluant David Bowie au passage), on y danse (jamais en rond), on y dit la poésie (en attendant Antonin Artaud dont les mots apparaissent grandeur nature), on y farfouille en quête d’un espace hors des limites imposées ou recherche de constitution d’archipels faits d’îles singulières. “Fallen Chrome” part des unes ou des autres pour les faire converser, se rejoindre ou même se confondre selon des titres agencés en une suite quasi cinématographique. Instruments acoustiques - trompette, batterie - habitent, à l’occasion, des espaces créés par l’électronique (pas d’échantillons – samples – de musiques existantes, seulement des sons entièrement créés) ou s’élancent de concert, ou encore servent, dans l’amour du détail, d’écrins à poèmes et chansons. “Fallen Chrome” est comme l’indique le premier titre, le « parcours d’une cicatrice », celle de la recherche du premier temps, du temps fondamental, une fresque mouvante pour dire en autant d’inscriptions de tendresse ou de colère, de persistance obstinée, que « je suis » est « nous sommes » dans l’harmonie des traces et d’un monde en devenir.
Jac Berrocal : trompette, voix
Choriste à 10 ans dans un ensemble de motets de la Renaissance à Sens, le jeune Berrocal manifeste très vite le désir de toutes les musiques. Cet enfant de l'immédiat après-guerre se met à la trompette après le choc du free jazz. Son appétit l'emmène dans les situations les plus étonnantes (on le voit même avec le contrebassiste Pierre Nicholas - accompagnateur de George Brassens et de Charles Trenet). Au début des années 70, il fonde le Music Ensemble avec Claude Parle et Roger Ferlet, puis le peintre Michel Potage. Le producteur Gérard Terronès l'enregistre sur le mythique label Futura (“Musiq Musik”). Il se produit avec Alan Shorter, Bernard Vitet et le groupe Opération Rhino (ensemble très hétéroclite créé pour la fête de Politique Hebdo qui comprend, outre Jac Berrocal, des musiciens aussi divers que Mino Cinelu, François Tusques, Raymond Boni ou Malot Vallois. Avec Michel Potage, il crée des spectacles comme Escale au sable à l'ancienne et à la nouvelle (Musée d'Art Moderne). Pour les disques Davantage dont il est l'inventeur, il publie “Parallèles”, disque remarqué en partie pour la présence du légendaire rocker Vince Taylor accompagné à la bicyclette ainsi qu'un morceau enregistré dans une porcherie. Parallèles est aussi l'endroit d'un hommage appuyé à Luigi Russolo, auteur de l'Art des bruits, musicien des objets, proche des futuristes italiens.
C'est le jour de la sortie de “Parallèles” qu'il rencontre Jean Rochard, il enregistre "Parade Jonction" avec Yves, le père de ce dernier (futur Melody Four). Il joue avec Michel Portal en diverses occasions dans des orchestres excitants (et aujourd'hui peu concevables) dans lesquels on retrouve aussi bien Christian Escoudé, François Jeanneau ou Henri Guédon. Avec Portal, il joue à l'Olympia. En 1978, il fonde le festival Sens Music Meeting dans sa ville d'enfance, festival manifeste accueillant le ghota de l'improvisation libre. C'est l'époque où il s'enthousiasme pour le mouvement punk et met en route le groupe Catalogue avec Jean-François Pauvros et Jean-Pierre Arnoux (remplacé par Gilbert Artman). Avec ce groupe souvent considéré comme l’inventeur d’un free punk à la française, il enregistrera le très provocateur "Khomeiny Twist" (Hat Hut).
Il joue avec Lol Coxhill en duo (“Instant Replay”) puis en grand orchestre (Cou$cou$). À Chantenay-Villedieu, il se produit en trio avec Phil Wachsman et Paul Lytton. Il entame une carrière d'acteur avec Rouge Baiser de Véra Belmont puis Le Miraculé et Agent Trouble de Jean-Pierre Mocky.
C'est l'époque où il enregistre une pièce pour les “Six Séquences pour Alfred Hitchock” (deuxième disque à thème de nato) puis “Hotel Hote”l (disque qui lui vaudra le très convoité canon de Télérama par Jean Wagner). Il monte un groupe avec le critique écrivain Francis Marmande à la contrebasse, remettant en tabouret (de drums) Jacques Thollot, puis avec Daunik Lazro, Didier Levallet et le batteur new-yorkais (compagnon de Cecil Taylor) Dennis Charles le quartet Outlaws in Jazz. À partir de 2009, il participe à un trio avec David Fenech et Vincent Epplay. Le cinéaste Guy Girard lui a consacré un film, Les chants de bataille. Chercheur infatigable, il est à la fois partenaire, invité ou influence d’éminentes figures musicales comme Christophe, Nurse with Wounds, Sunny Murray, James Chance, Lizzy Mercier Descloux, Ghédalia Tazartès, Jacques Doyen, Yvette Horner ou MKB (du cinéaste F. J. Ossang).
Riverdog
Jack Dzik : batterie, voix ; Léo Remke-Rochard : electronics, voix
Biberonnés par un flot de musiques allant du jazz au harsh noise en passant par le hip hop, le punk et toutes sortes de musiques pourfendant les frontières sans se soucier des extrémités, les deux teenagers franco-américains de Riverdog se sont fait une place sur les scènes noisy des Twin Cities (Minneapolis et Saint Paul, Minnesota) dès la sortie de leur première cassette parue sur leur propre label Eyemyth en 2017. Avec Eyemyth, ils publient, outre leurs propres enregistrements, cassettes, 33 tours ou CDs de Horoscope, Champagne Mirrors, Empathy Family, Trevor Baker… Alors que Jack Dzik se révèle batteur au tempérament singulier (il est élève de JT Bates), Léo Remke-Rochard promène ses impressions électriques en donnant de la voix. Le cinéma, la littérature, la philosophie et les bruits du monde nourrissent leurs urgences. Ils revendiquent « un son qui se contente de ses outils pour mener la musique vers un champ d’intimité nécessaire ». Leur écoute du monde est inquiète et la réponse impérative.
Ils citent volontiers Coil, Sun Râ, Ice Cube, Keiji Haino, Albert Ayler, Casey, Sage Francis, les cinéastes Derek Jarman, Alain Guiraudie, Toshio Matsumoto, Kenneth Anger, Raphaël Jacoulot, Jean-Luc Godard ou encore les lectures de Michel Foucault ou Italo Calvino. Ils se sont rencontrés au collège et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire avaient créé, à 16 ans, leur propre label Eyemyth. Les deux gaillards, adeptes du DIY, organisent aussi des soirées « underground » en divers lieux de Minneapolis. Jack Dzik passait déjà ses samedis à travailler chez Extreme Noise, célèbre disquaire de Minneapolis et Léo Remke-Rochard exprimait ses mots dans des soirées de poésie ou de slam open mic (il a été par deux fois finaliste de Truartspeaks, réunissant des poètes et slameurs de tous les USA). Sous le nom de Skuury, il se produit en solo. Ensemble ou séparément, on a pu les voir et entendre avec Bastard Sycamore, Black Rain, Ursus Minor, Nathan Hanson, Jean-François Pauvros, Crepuscular, entre autres.
(extrait du communiqué de presse)