Il y a 40 ans, le monde du jazz était dévasté par la disparition du plus tendre de ses pianistes. Nous perdions aussi un compositeur et un visionnaire de l'art du trio.
La première séance d'enregistrement de Bill Evans (1929-1980) sous son nom, eut lieu le 18 septembre 1956. Trois plages en piano solo, dont sa célèbre composition Waltz For Debby. Quelques jours plus tard il compléterait le répertoire de son premier album au titre tout sauf anecdotique, "New Jazz Conceptions", par des pièces en trio avec Teddy Kotick à la contrebasse et déjà Paul Motian à la batterie. Il faudra attendre l'automne 1959, après qu'il ait quitté le sextet de Miles Davis, pour qu'il rencontre Scott La Faro dans la formation du clarinettiste Tony Scott et l'embauche pour créer avec lui et Motian l'un des plus sublimes trios de l'histoire du jazz. 18 mois d'existence et intemporel.
La carrière de Bill Evans ne quitterait plus les sommets de la délicatesse, de l'écoute mutuelle, des cambrures rythmiques où les accentuations viennent constamment relancer le flux, des fulgurances harmoniques, des ballades à pleurer, des valses à hurler de bonheur… Et des accompagnateurs triés sur le volet. Plonger dans sa discographie, réserve nombre de surprises (les duos piano-voix avec Tony Bennett, les solos en re-recording, la collection de ses séjours au Village Vanguard, les duos avec Jim Hall, la collaboration avec l'harmoniciste Toots Thielemans ou le flûtiste Jeremy Steig…).
Son chant du cygne dans les enregistrements en club des semaines précédant sa disparition est d'une intensité phénoménale. Il était à nouveau au Village Vanguard début juin 1980 (le coffret "Turn Out The Stars: The Final Village Vanguard Recordings, June, 1980" chez Warner), avant d'enchainer sur le Ronnie Scott's à Londres ("Letter to Evan" et "Turn Out The Stars, chez Dreyfus Jazz), "His Last Live In Germany", du 15 août (chez West Wind), puis une semaine, du 31 août au 7 septembre au Keystone Corner de San Francisco (les coffrets "The Last Waltz" et "Consecration" chez Milestone), toujours avec Marc Johnson (contrebasse) et Joe LaBarbera (batterie). Sa dernière apparition, au Fat Tuesday de New York, le 10 septembre, est également documentée par deux disques pirates. Il mourra le 15 septembre, totalement épuisé, d'une hémorragie interne. Il venait d'avoir 51 ans.