Jazz Culture : Hommage au saxophoniste Nathan Davis (1937-2018)

Publicité

Jazz Culture : Hommage au saxophoniste Nathan Davis (1937-2018)

Nathan Davis (1937-2018)
Nathan Davis (1937-2018)

Le saxophoniste Nathan Davis est décédé lundi 9 avril en Floride où il s'était retiré. Installé à Paris dans les années 60, il avait joué avec Art Blakey, Eric Dolphy, Ray Charles, Art Taylor, Hampton Hawes, Jimmy Garrison, Joe Henderson, Woody Shaw, Nat Adderley, Idris Muhammad…

Mort de Nathan Davis, musicien, compositeur et professeur de jazz

Nathan Davis (15 février 1937 – 9 avril 2018) voit le jour à Kansas City – tout un programme – en 1937. Sa mère est chanteuse (gospel), son père musicien amateur, lui fait ses débuts professionnels à 16 ans, dans l’orchestre de Jay McShann. Soit à peine un lustre après Charlie Parker aux mêmes pupitres. Le jazz est une histoire de villes (Kansas City, Chicago, Paris, Pittsburgh) pour Nathan Davis, et de big bands – véritables conservatoires psycho–actifs.

Sérieuses études à l’université du Kansas, après quoi il forme, avec Carmell Jones, son premier orchestre et visite l’ Europe avec un show, "Jayhog Jamboree". Docteur en ethnomusicologie de l’université Wesleyan, il quitte Kansas City pour Chicago. Les villes ont des sons d’ensemble, des sortes d’accents, de phrasés, très distincts les uns des autres. Les musiciens identifient très vite leur personnalité de ville. Chicago, à l’époque, porte les noms de Johnny Griffin (« Little giant »), Ira Sullivan, John Gilmore

Publicité

Prenez Ira Sullivan. Trompettiste mythique, il a joué avec Lester Young ou Charlie Parker, séduira ou instruira plus tard les jeunes musiciens de Floride, Jaco Pastorius comme Pat Metheny. Le jazz est une passe – voir rugby et psychanalyse. Membre de la confrérie des musiciens qui n’aiment ni l’avion, ni les voyages, on le connaît peu. Nathan Davis, en revanche, profite de son service militaire en Allemagne pour traîner en Europe et choisir Paris. Epoque bénie que les musiciens afro-américains aiment (April in Paris…) pour certain charme artiste et l’absence de racisme. Paris, de ces deux points de vue, a su s’aligner sur la modernité (« modernité, merdonité » disait Michel Leiris, excellent amateur de jazz).Très présent en club, d’un commerce agréable, érudit modeste, Nathan Davis se produit avec Kenny Clarke, Donald Byrd, Eric Dolphy. Entre deux tournées avec Art Blakey ou Ray Charles, il étudie avec André Hodeir, enregistre avec Jef Gilson, publie cinq albums sous son nom entre 1965 et 69 : "The Hip Walk" ; "Traité de paix" (avec Woody Shaw, Jean-Louis Chautemps, René Urtreger, Jimmy Woode et Kenny Clarke) ; "Happy Girl" (Woody Shaw, toujours, et Larry Young) ; "Les Règles de la liberté"(avec Hampton Hawes, Jimmy Garrison et Art Taylor) ; plus "Un Concert de jazz dans un monastère bénédictin" (1969). En 1976, il publie "Suite for Martin Luther King" et un "Tribute to Malcolm". Le générique de tous ses albums frappe par sa haute qualité. Les titres, par leur singularité : "Visages d’amour" (1982) ; "Londres de nuit" (1987) ; "Je suis un imbécile de vous vouloir" (eh oui, en français dans le texte, 1999) ; "Règles de la liberté" (2003)… Son Paris Reunion Band (1985–89) voit défiler la crème, Nat Adderley, Kenny Drew, Johnny Griffin, Slide Hampton, Joe Henderson, Idris Muhammad, Dizzy Reece, Woody Shaw et Jimmy Woode. En 1986, le Three Rivers Art Festival de Pittsburgh lui commande un opéra dont Just Above my Head, de James Baldwin, sera le livret. De nouveau sur les routes, son groupe Roots intègre Arthur Blythe, Sam Rivers, Chico Freeman etc. Son activité de chercheur et de producteur (label Segue) est considérable. Curieux effacement d’un musicien magnifique, cultivé, bosseur, trop présent sans doute, indifférent aux modes et au tapage, simplement amoureux de la musique et des musiciens.

Source : Francis Marmande, lemonde.fr

Nathan Davis, mort d'un petit géant du jazz

Drôle de coïncidence : Nathan Davis meurt quelques jours après les célébrations en hommage à Martin Luther King, auquel il avait rendu hommage en 1976 dans un superbe album en forme de suite. La même année, le saxophoniste allait publier "If", un totémique Graal pour tout amateur d’un jazz résolument ouvert : modal, funk, spirituel.

Né à Kansas City en 1937, Davis aura su adapter sans pervertir, bien au contraire, son art consommé de composer. Elevé aux sons du bop, c’est en atterrissant en Europe que sa carrière va décoller début 1960. Après avoir fait son service militaire en Allemagne, il débarque à Paris où, en quelques années, il va jouer avec tout le monde, ou presque. Donald Byrd, un ami, Art Blakey, au sein des Jazz Messengers, Mal Waldron pour un épique concert au Centre américain… Et surtout le flûtiste Eric Dolphy auquel il rendra hommage. « Lui-même avait un son de flûte très fin, sensible. Malheureusement, il n’en jouait pas suffisamment », se souvient Fred Thomas, dont le label Sam Records œuvre à la publication d’un inédit, un double concert parisien de 1966, après avoir réédité "Peace Treaty". « Nathan Davis fait partie de ces musiciens américains qui auront permis l’éclosion d’une génération de Français, après le bop. »

Lui-même s’émancipa au son de Coltrane, comme le suggère un Blues For Trane paru sur le superbe "Rules Of Freedom_,_ entouré d’une équipe de cracks : le batteur Art Taylor, le pianiste Hampton Hawes et le contrebassiste Jimmy Garrison. Des disques magnifiques, il en fit d’autres à son retour aux Etats-Unis, à commencer par "Makatuka en 1971. Pourtant, sa notoriété restera confinée chez les plus férus, comme beaucoup de jazzmen de sa génération, ces petits maîtres qui furent des géants, pas forcément les meilleurs en termes de gestion de carrière.

Et comme la plupart, c’est vers l’enseignement que ce diplômé d’ethnomusicologie trouva le moyen de vivre. A l’université de Pittsburg, il va même fonder le département de jazz, tout en continuant d’enregistrer à compte d’auteur, initiant même au mitan des années 80 un Paris Reunion Band, avec quelques autres légendes (encore) vivantes dont Joe Henderson, Woody Shaw, Nat Adderley et Idris Muhammad, puis l’ensemble Roots, qui fit chavirer de plaisir le New Morning voici vingt-cinq ans. Depuis 2013, en bon retraité américain, il passait le plus clair de son temps en Floride, là même où il est décédé d’un arrêt cardiaque, le 9 avril.

Source : Jacques Denis, liberation.fr

À écouter dans l'Open Jazz du 11 avril 2018 : L'actualité du jazz : Walter Smith III, un trio à cinq
Open jazz
54 min
En%20savoir%20plus : Le%20Paris%20Reunion%20Band%20%C3%A0%20Juan-les-Pins%20en%201985%20(1%2F2)