Jazz Trotter : Miles Okazaki - Thisness
“Thisness” est le troisième album du guitariste Miles Okazaki pour Pi Recordings. Son groupe Trickster comprend le claviériste Matt Mitchell, le bassiste Anthony Tidd et le batteur Sean Rickman.
“Thisness” est la suite de “The Sky Below”, qui a été décrit par Allmusic comme "un recueil de lyrisme labyrinthique, plein d'espièglerie et délicieux sur le plan harmonique", et par le site Point of Departure comme "débordant d'énergie, et élégant malgré sa complexité". Contrairement aux deux premiers albums du groupe, qui mettaient l'accent sur les récits fantastiques et narratifs, “Thisness” est davantage une plate-forme permettant à ces musiciens d'improviser sur la structure de compositions qui mettent l'accent sur un flux non linéaire entre les idées musicales. Miles Okazaki le décrit comme "un son qui écarte les notions de logique et de contrôle et s'efforce d'atteindre quelque chose qui ressemble davantage à un rêve collectif."
L'année 2020 devait être une année faste pour Miles Okazaki. Fort du succès critique de ses dernières parutions - dont “Work”, un enregistrement ambitieux de l'intégrale des compositions de Thelonious Monk pour guitare seule - qui l'a placé en tête de la liste des Rising Star Jazz Guitarist du Downbeat Critics Poll, Miles Okazaki était sur le point d'entamer une vaste tournée aux États-Unis et en Europe, jusqu'à ce que la pandémie du Covid vienne tout arrêter. La première réaction de Miles Okazaki a été de trouver un moyen d'utiliser le dur travail de préparation des musiciens pour tenter de capturer l'énergie d’unetournée alors que la société était bloquée.
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Le résultat est Trickster's Dream, un concert imaginaire publié sur Bandcamp dans le cadre du projet "This is Now : Love in the Time of Covid" de Pi Recordings, qui visait à compenser une partie des salaires perdus par les musiciens en raison de la pandémie. Miles Okazaki a chanté une piste pour un set imaginaire de Trickster et l'a envoyée aux autres musiciens pour qu'ils la superposent individuellement depuis leur isolement. Le résultat est une explosion, de la part de musiciens impatients de libérer leur énergie refoulée. La vidéo d'accompagnement de l'enregistrement à distance des quatre musiciens - décrite par JazzTimes comme "un récit sur l’élaboration de la magie" - est particulièrement étonnante.
“Thisness” capture le nouveau chapitre de l'évolution du son du groupe. Le Trickster original (Pi 2017) avait l'esthétique d'un enregistrement de jazz acoustique, tandis que “The Sky Below” (Pi 2019) était davantage axé sur l'exploration d'une multiplicité de sons, avec des couches superposées qui aidaient à évoquer un monde fantastique. Pour “Thisness”, plutôt que de s’appuyer sur un ensemble de compositions fixées, la musique se nourrit de divers thèmes que le groupe tisse de l'intérieur et de l'extérieur, reliés entre eux par des points de convergence que Miles Okazaki décrit comme "des cercles de circulation, ou des stations de bus." Grâce à des indices musicaux cachés, le leader signale quand la musique approche du point de transition et quel chemin emprunter pour en sortir.
Comme Okazaki l'a décrit : "J'avais des plans détaillés, mais à un moment donné, je me suis laissé aller à la logique du rêve du collectif. L'intention était de faire quelque chose comme un cadavre exquis, les improvisations collectives développées par les surréalistes. Pour cet album, mon travail de compositeur a été d'apporter quelques idées, de les mettre en mouvement, puis d'écouter, en essayant de reconnaître la valeur des événements fortuits aux points de transition de la musique et de guider le groupe sur le chemin qui s'ouvrait." L'émerveillement réside dans le voyage, avec de nouvelles perspectives qui s'ouvrent à chaque tournant de la route.
L'album s'ouvre sur une phrase qui débute les trois albums de Trickster, signifiant le début du voyage. La musique se déploie sans heurts, ne révélant le passage d'un épisode à l'autre qu'après la transition, ce qui n'est possible qu'avec des musiciens en parfaite harmonie et capables d'exécuter ces changements au pied levé. Le bassiste Anthony Tidd et le batteur Sean Rickman, dont la synergie confirme près d'un quart de siècle de jeu ensemble, fournissent une base élastique, se précipitant et tirant sur le groove omniprésent. Matt Mitchell et Miles Okazaki forment ensemble une merveille de cohésion : leur tissage constant de lignes contrapuntiques et labyrinthiques étonne par sa précision et son agilité. Les couches de lignes mélodiques et de rythmes qui se chevauchent sont rendues plus complexes par le bavardage textural d'un "robot" programmé pour improviser sur les pistes enregistrées, ce qui pousse la musique vers un royaume extraterrestre et surhumain. En dépit de cette complexité évidente, le jeu semble sans effort au service de la musique plutôt que d'être inutilement éblouissant. Miles Okazaki privilégie les notes simples et claires dans son jeu, traitant la guitare comme un instrument de percussion. Bien qu'il utilise une variété de guitares sur l'enregistrement, son instrument principal est une Gibson ES-150 "Charlie Christian" des années 1940, récemment acquise, avec son ampli EH-150. Le son de cet instrument baigne l'enregistrement d’une lueur chaleureuse.
En composant cette musique, Miles Okazaki a imaginé un monde surréaliste tel qu'imaginé par Linda Okazaki, sa mère, dans son tableau "Dream at Salt Creek", qui est reproduit sur la couverture de l'album. Les titres des quatre morceaux évoquent encore plus ce sentiment de fantaisie : Ils sont tirés de vers du poème "The Far Off Place" de Sun Ra, que l'on retrouve dans les notes de pochette de son album “Monorails and Satellites”. Il est également influencé par les écrits sur le surréalisme de l'historien et auteur Robin D. G. Kelley, qui résume “Thisness” dans les notes de pochette de l'album : "une œuvre d'art spontanée et imprévisible, discordante en conséquence, accordant de manière subversive, un pendule écrasant la cage de la temporalité. C'est le surréalisme en pratique. C'est le jazz. C'est la liberté."
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)