Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem, "pour les auteurs-compositeurs, c'est la double peine"

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Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem, "pour les auteurs-compositeurs, c'est la double peine"

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Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem
Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem
© AFP - CHRIS DELMAS

Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem, alerte sur la situation des auteurs, compositeurs et éditeurs pour qui cette crise du coronavirus représente une double peine. Il détaille les mesures prises par la Sacem et appelle l'Etat à ne pas oublier ce maillon de la filière musicale.

Que pouvez-vous nous dire sur la situation actuelle du point de vue des auteurs compositeurs ? 

Malheureusement nous avons une vision assez claire de la situation et elle est catastrophique pour le secteur de la musique. Il y a quelques mois, une étude économique chiffrait le poids du secteur de la musique en France à 8 milliards d'euros et 260 000 emplois. Deux mois d'arrêt complets de l'activité, cela représente au moins 10% de pertes, c'est-à-dire plus de 800 millions d'euros à l'heure actuelle pour tous les métiers de la musique. 

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Pour nos membres, les auteurs, les compositeurs et les éditeurs, c'est la double peine. D'abord parce que beaucoup de nos sociétaires ont dès le début des mesures de confinement perdu des moyens de subsistance puisque que de plus en plus ils ont des activités multiples. Des artistes-interprètes dont les tournées ont été annulées, des auteurs de doublage pour les films et séries et les studios d'enregistrement sont tous fermés. 

Dans un second temps, les sociétaires perdront aussi massivement les revenus liés à leurs droits d'auteur. Les auteurs et les éditeurs sont au début de la chaîne de la création mais aussi à la toute fin pour ce qui est de la rémunération. Ceux qui diffusent ou utilisent leur musique, comme les radios, les commerces ou les festivals, paient les droits d'auteurs souvent avec un assez long décalage, après la diffusion des œuvres. 

Nous estimons donc que la majeure partie de l'impact de la fermeture totale de l'économie française se fera ressentir en 2021, notamment lors de la répartition des droits d'auteurs à nos membres, qui a lieu chaque trimestre. A chaque répartition, nous reversons de l'argent à environ 55 000 auteurs et compositeurs et 4 000 éditeurs de musique, dont c'est souvent la principale, voire unique, source de rémunération. 

Cette double peine, qui sera encore plus violente en 2021 au moment où pourtant l'économie aura redémarré, nous conduit à appeler les pouvoirs publics à prendre en compte les spécificités de notre secteur. Ces pertes de revenus sont inéluctables. La Sacem ne collectera pas les droits des commerçants dont les établissements ont été fermés pendant le confinement et cela aura des conséquences en janvier 2021. 

Vous estimez donc qu'à l'heure actuelle, les mesures prises par la gouvernement ne sont pas suffisantes pour éviter une catastrophe économique dans le secteur de la musique ? 

D'abord, je crois que dans ce moment tragique que nous vivons, il faut s'abstenir de toute polémique. Je fais simplement un constat : un certain nombre de mesures d'urgences ont été annoncées mais malheureusement, elles ne correspondent pas à la situation des membres de la Sacem. Les auteurs compositeurs ne sont pas des salariés, et souvent leurs seules rémunérations proviennent de leurs droits d'auteurs. Et pour ceux qui  ne sont pas interprètes, ils n'ont pas l'intermittence du spectacle. Et donc ils ne peuvent pas bénéficier des mesures de chômage partiel. 

Le ministère de l'économie a également annoncé des mesures pour les très petites entreprises (TPE), dont font partie la plupart des éditeurs de musique. Ces aides concernent les structures qui ont perdu au moins 70% de leur chiffre d'affaire annuel. Pour les éditeurs,  80% de leur chiffre d'affaire passe par la Sacem, grâce aux droits d'auteur collectés. Mais puisque ces pertes se feront surtout ressentir en 2021, le dispositif actuel ne correspond pas à leur spécificité. 

Pour ce qui est du fonds d'urgence de 11,5 millions d'euros piloté par le Centre national de la musique, auquel la Sacem a contribué à hauteur de 500 000 euros, il est prévu un fonds solidaire qui permettra que pour chaque aide versée à un producteur de spectacle, 5% du montant de l'aide soit mis de côté pour aider les auteurs et les compositeurs. Et c'est une aide bienvenue. 

Mais malheureusement, je constate que, premièrement les éditeurs de musique sont les grands oubliés de ce dispositif et deuxièmement, le montant de ce fonds est dérisoire par rapport aux pertes estimées. C'est comme une trousse de premiers secours pour venir en aide aux producteurs qui risquent de mettre la clé sous la porte dans les prochaines semaines, mais c'est loin d'être suffisant. 

La Sacem arrive-t-elle à poursuivre ses activités dans cette période compliquée ? 

Oui, nous avons mis en place le plan de continuité de l'activité et aujourd'hui tous nos salariés sont équipés pour pouvoir télétravailler. Nous pourrons donc bien verser les droits d'auteurs lors de la prochaine répartition, le 6 avril prochain. Et nos équipes travaillent à la mise en place de la plus grosse répartition de l'année, celle du mois de juillet. 

La Sacem a adopté un plan de mesures d'urgences pour ces sociétaires, en quoi consiste-t-il ? 

L'idée est de pouvoir accompagner nos membres qui font face à des pertes de revenus dans l'immédiat, et non pas les pertes très lourdes de droits d'auteur qui se feront ressentir en 2021. Nous avons mis en place trois dispositifs. Premièrement, un fonds de secours pour venir en aide à nos sociétaires qui sont en situation de détresse personnelle et matérielle, cela peut aussi concerner des petits éditeurs de musique. 

En fonction de leur situation, le service social de la Sacem attribuera une aide, non remboursable, de 1 500 euros, 3 000 euros ou 5 000 euros. Cela sera pris sur les fonds mis de côté pour l'action culturelle de la Sacem, comme nous l'autorise un décret signé par le gouvernement. Ce fonds qui est en temps normal de 200 000 euros par an, est porté exceptionnellement à 6 millions d'euros. Les sociétaires peuvent en faire la demande sur notre site internet et ce fonds de secours sera ouvert jusqu'à la fin de l'année 2020. 

Deuxièmement, nous avons mis en place un système d'avances exceptionnelles sur droits d'auteur, qui s'ajoute au système d'avances qui existe habituellement. En fonction de ce que nos sociétaires ont perçu l'année dernière, ils peuvent demander une avance de l'ordre de 40% de ce qu'ils ont touché. Le remboursement n'interviendra pas avant 2022, et pourra s'échelonner sur 5 ans maximum. Pour donner un ordre de grandeur, si tous les sociétaires faisaient une demande d'avances exceptionnelle, cela représenterait 36 millions d'euros. 

Enfin, nous avons décidé de doter le programme d'aides aux éditeurs d'un million d'euros supplémentaire. Tout cela se fait avec les fonds de la Sacem, il n'y a pas un euro d'argent public. 

Comment envisagez-vous l'après-crise, lorsque l'activité reprendra ?

Nous demandons à ce que le gouvernement n'oublie pas nos sociétaires, auteurs compositeurs éditeurs, dans le plan de relance économique qui est en train de se dessiner. Nous espérons que leur spécificité et cette double peine soit prise en compte. Enfin, pour ce qui est de l'ensemble de la filière musicale, la Sacem veut croire que le Centre national de la musique, sera doté des moyens qui avaient été annoncés. 

A l'époque, il était question que progressivement l'Etat porte ses moyens à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros en 2022. Je crois que cela serait du bon sens que ces moyens soient mis à disposition dès 2021 et portés à une trentaine de millions d'euros. L'Etat pourrait là, envoyer un geste modeste économique, mais très fort sur le plan du collectif auquel il faut que nous restions plus que jamais attaché.