Jean-Paul Gasparian, révélation des Victoires de la musique classique 2021
Par Suzana KubikLe pianiste est nommé dans la catégorie “Soliste instrumental” des Victoires de la musique classique 2021. Rencontre et portrait en sept questions.
Jean-Paul Gasparian est nommé dans la catégorie “Soliste instrumental” des Victoires de la musique classique 2021. Le pianiste de 25 ans a fait ses armes au CNSM de Paris et auprès de nombreux pédagogues réputés à travers le monde. Nous l'avons rencontré lors de ses répétitions à la salle Gaveau à Paris, juste avant le Concert des Révélations du mercredi 13 janvier.
Pourquoi avez-vous choisi le piano ?
La réponse va être excessivement banale. Mes deux parents sont pianistes, j'ai commencé l'instrument avec eux, puis très rapidement, j'ai travaillé avec différents professeurs. Et cette initiation s'est transformée en passion. Et donc, à partir d'un certain moment, la question ne s'est plus du tout posée. Il y a toujours eu plusieurs pianos et beaucoup de musique à la maison, que ce soit mes parents qui travaillaient ou des disques que l'on écoutait, évidemment. Ma découverte du répertoire, ça a été aussi à travers la discographie familiale, des mises en scène d'opéra filmés ou des anciens disques vinyles que l'on avait à la maison. Beaucoup de répertoire symphonique, beaucoup d'opéras, notamment avec mon père. C'est ça aussi qui m'a construit en tant que musicien. Et après, au niveau de l'apprentissage instrumental à proprement parler, j'ai beaucoup travaillé avec ma mère au début, ça a été tout à fait essentiel. Bien sûr, ils continuent à venir m'écouter en concert de temps en temps et à me donner leur avis. C'est précieux.
Qu'est-ce qui vous passionne dans votre instrument?
La première réponse que l'on pourrait donner, c'est que le répertoire est immense, quasiment illimité. Je crois que c'est Rachmaninov qui avait dit que la musique suffisait à une vie, mais une vie ne suffit pas à la musique et pour le répertoire des pianistes, c'est tout à fait valable, on est en exploration permanente. C'est quelque chose d'extrêmement stimulant dans le processus de travail. Après, il y a aussi l'extrême variété de timbres qu'on peut rechercher avec un piano. C'est assez unique puisque le piano sonne à la fois comme un orchestre, comme une voix humaine, comme un instrument à percussion. On peut rechercher le vibrato des instruments à cordes, ou le côté, au contraire, beaucoup plus puissant d'un instrument à cuivre, par exemple. C'est une extrême variété de timbres, de couleurs et d'atmosphères qu'on peut reproduire au piano, c'est un instrument très plastique. C'est à la fois quelque chose qui est stimulant, mais c'est aussi sa principale difficulté, c'est une recherche permanente. Ce n'est pas forcément facile ou spontané ou immédiat, il faut pouvoir en sortir toutes ces différentes couleurs. Cela nécessite du temps et beaucoup de travail.
Comment avez-vous vécu la période de crise sanitaire ?
J'ai profité des mois de confinement pour apprendre pas mal de choses que j'avais envie de travailler depuis longtemps sans en avoir le temps. Si on regarde le verre à moitié plein, ça a été assez stimulant comme expérience, de pouvoir aborder l'instrument avec uniquement de nouvelles choses à apprendre, ce qui n'arrive jamais parce qu'on a toujours des échéances qui arrivent et des programmes imposés.Maintenant, j'ai vécu un peu différemment le premier confinement du deuxième, à cause de l'incertitude. Au premier confinement, tout le monde était à peu près sûr que tout allait rester fermé pendant plusieurs mois. C'était 'plus facile' de se réorganiser. J'ai compris que je n'aurai pas d'échéances publiques et donc j'ai un peu réorienté mon processus de travail de manière à apprendre du nouveau répertoire jusqu'au moment où les concerts ont repris à peu près en juin, alors que là, au deuxième confinement, on ne savait pas très bien combien de temps ça allait durer. Du coup, j'ai trouvé ça plus difficile, mais j'essaie de me raccrocher à ce qui est sûr, comme ce projet de troisième disque solo qui, je pense, pourra se maintenir puisque à priori, les enregistrements peuvent quand même se réaliser, et quelques concerts qui vont pouvoir se maintenir sans public et en streaming.
Auriez-vous pu faire autre chose dans la vie, en dehors de la musique ?
Oui, sans doute. Mais à aucun moment je ne me suis réellement posé la question de laisser le piano pour faire autre chose. J'avais entamé des études de philosophie après le prix que j'ai eu en 2013. Mon professeur de philosophie en terminale m'a beaucoup encouragé à ce moment là. Mais je me suis assez vite rendu compte que c'était quand même difficilement compatible avec l'emploi du temps que j'avais, avec la discipline de travail qui est exigée, de n'importe quel musicien d'ailleurs, pas seulement des pianistes. Mais en tout cas, je continue à me nourrir de bien d'autres choses que le piano et la musique, ce qui me semble essentiel, y compris pour la musique elle même d'ailleurs, pour enrichir ses interprétations, son imaginaire, sa sensibilité.
Vous gardez un lien avec vos professeurs et les voyez régulièrement ? Pourquoi ?
C'est absolument nécessaire de continuer à apprendre et de continuer à montrer ses programmes à des personnes extérieures en qui on a confiance. C'est totalement impossible ou totalement prétentieux de penser que l'on peut simplement travailler chez soi dans sa chambre et puis sortir en concert. Bien sûr, mes parents peuvent m'écouter, mais ce n'est pas le pas du tout la même chose. Moi, je ressens le besoin, notamment quand j'ai des nouveaux programmes, avant de jouer en concert pour la première fois, de leur montrer. Je continue à suivre les masterclass régulièrement, avec le même objectif, de mettre en perspective mon interprétation, comme avec avec Eliso Virsaladze ou Tatiana Zelikman, pédagogues issuss de l'école russe, même si c'est un concept qui recouvre beaucoup de différences aujourd'hui.
Vous faites référence à l'école russe, vous interprétez la musique de Rachmaninov, Scriabin : avez-vous un lien particulier avec la Russie ?
Oui, il y a un lien familial. Mon père est né en Arménie et il est arrivé assez jeune en France, mais il a baigné dans cet univers culturel, et ma mère est née en Yougoslavie et a étudié à Moscou. J'ai donc reçu un certain héritage pédagogique de leur part. Puis ensuite, j'ai eu l'occasion de travailler avec pas mal de professeurs russes. En même temps, on se sert de ce concept d'école russe, alors qu'en fait, ce n'est pas du tout un concept unifié. Ça se reflète aussi dans les grands pianistes du passé. On ne peut pas faire plus différent que Richter et Horowitz, pourtant, ils sont issus de la même tradition. Ce qui les rapproche, c'est la profonde connaissance de ce répertoire.
Les pianistes ne jouent jamais de leur instrument sur scène...
C'est une question à laquelle on est confronté tout le temps. Je crois que c'est Richter qui disait : ' Le piano, c'est le destin'. Il était totalement incapable de choisir, et alors qu'on lui proposait une dizaine de pianos avant chaque concert, il répondait : « celui que vous voulez. De toute façon, ça ne dépend pas de nous. » Mais dans la plupart des cas, dans des grandes salles et les festivals, on a des très beaux instruments. Ça peut être des marques différentes, mais il y a toujours quelque chose à en tirer.
Par contre, ça peut nécessiter un temps d'adaptation avant que le piano ne corresponde à celui sur lequel on a l'habitude de travailler à la maison ou pas du tout. Je pense qu'il faut presque sortir cette question de la tête et simplement se dire exactement comme le dit Richter, c'est à dire, c'est le destin. Il n'y a pas d'autre choix et il faut essayer de tirer le meilleur de l'instrument que l'on a à disposition.
Les vidéos de Jean-Paul Gasparian
Rachmaninov, Prélude op.23 n°4
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Chopin, Polonaise n°6 op.53, "Héroïque"
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