Jean Sébastien Bach : Cantate BWV 106, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit – « Actus tragicus »

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Jean Sébastien Bach : Cantate BWV 106, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit – « Actus tragicus »

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Portrait de Bach jouant de l'orgue.
Portrait de Bach jouant de l'orgue.
© Getty - Edouard Hamman (1819-1888)

Figure majeure de la musique allemande de l’époque baroque, Jean Sébastien Bach (1685-1750) est l’auteur de plus de 300 cantates. Parmi elles, la BWV 106, "Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit", l’une des plus célèbres du compositeur, est au programme du Bac musique 2018, option de spécialité.

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« Le temps de Dieu est le meilleur des temps » (Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit). Pas de doute, on a bien affaire à une cantate sacrée. C’est qu’il existe aussi des cantates profanes. Mais qu’est-ce au juste, une cantate ?

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La Cantate, qu’est-ce que c’est ?

Le terme vient du verbe italien cantare qui signifie « chanter ». Une cantate est donc une pièce chantée. Issue du madrigal de la Renaissance, elle apparaît au début du XVIIe siècle en Italie. Elle renvoie alors à une large variété de compositions et non à un genre bien déterminé. Au fil du siècle, toutefois, on distingue deux sortes de cantates : la cantate profane de chambre (da camera), destinée à être jouée en privé pour des personnes nobles ou aisées, et la cantate d’église (da chiesa), de dimension sacrée, destinée à être jouée pendant le culte. Cette dernière est très prisée dans l’Allemagne protestante, et notamment chez les luthériens comme Bach, qui la porte à son apogée. Après lui, la cantate passera de mode et ne sera plus utilisée que comme genre de circonstance.

dans le cas des luthériens, et donc de Bach, il s'agit bien de cantates liturgiques, c'est-à-dire que l'on exécute pendant le culte (pendant le rituel religieux).

Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit, une oeuvre de jeunesse

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En 1707, le jeune Jean Sébastien Bach, âgé de 22 ans, est nommé organiste à l’église Sainte-Blaise de Mühlhausen. Il y compose ses premières cantates, dont, vraisemblablement, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit.

Plusieurs cantates de Bach datant de cette époque ont été perdues et cela aurait pu être le cas de la BWV 106, dont la partition originale ne nous est pas parvenue. Nous la connaissons, en effet, grâce à une copie réalisée en 1768 par Christian Friedrich Penzel. De cette copie provient la mention « Actus tragicus », autre nom donné à notre cantate. Elle indique que l’œuvre a été écrite pour un service funèbre, ce que semblent confirmer les paroles. Issues de plusieurs sources (Ancien Testament, Evangile selon saint Luc, choral In dich hab ich gehoffet, Herr), celles-ci traitent de la mort et de son acceptation.

Si l’effectif vocal est assez habituel chez Bach (chœur et solistes soprano, alto, ténor, basse), l’effectif instrumental l’est moins. Assez restreint, il est constitué de deux flûtes à bec, deux violes de gambe et d’un continuo (clavier et basse d’archet). Les sonorités douces des flûtes et des violes confèrent à la pièce une couleur particulière qui incite à l’introspection et reflète la quiétude ressentie face à la mort.

Autre particularité qui distingue cette cantate des autres cantates du compositeur, c'est l'absence des récitatifs. La succession des chœurs et des parties solistes la rattache ainsi à la tradition vocale luthérienne antérieure à Bach, incarnée notamment par Heinrich Schütz et Dietrich Buxtehude.

Conçue en quatre parties, notre cantate dure une vingtaine de minutes. Toutefois, seule la partie en gras est au programme du Baccalauréat 2018.

1. Sonatina instrumentale 2’41

2a. Choeur : “Gottes Zeit ist di allerbeste Zeit” cca 1’30

2b. Arioso de ténor : “Ach, Herr, lehre uns bedenken” cca 2’10

2c. Aria de basse : “Bestelle dein Haus” cca 1’00

2d. Chœur et Arioso de soprano : « Es ist der alte Bund » cca 3’30

3a. Aria d’alto : « In deine Hände befehl ich meinen Geist » cca 1’50

3b. Arioso de basse avec choral à l’alto : “Heute wirst du mit mi rim Paradies sein” cca 3’40

4. Chœur (Choral) : « Glorie, Lob, Ehr und Herrlichkeit » cca 2’30

La deuxième partie, composite, de la cantate (2a-d), au programme de l'épreuve, fait suite à la « Sonatina » instrumentale d’ouverture. Elle est elle-même subdivisée en quatre sous-parties qui s’enchaînent les unes aux autres : le chœur « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit », l’aria de ténor « Ach, Herr, lehre uns bedenken », l’aria de basse « Bestelle dein Haus », et le chœur « Es ist der alte Bund ». Ces moments différents se distinguent par des changements de tempi (andante -allegro-adagio assai ; lento ; vivace ; andante), d’effectifs, de couleurs et de caractères, selon le principe de la variété chère aux compositeurs de l’époque baroque.

Parcours analytique

Le chœur « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » débute sur un tutti homorythmique à quatre temps. Ce bref passage s’enchaîne à un mouvement plus allant (allegro), à trois temps, dans lequel les voix entrent en imitation les unes des autres (écriture horizontale), illustrant à merveille les paroles : « En lui nous vivons, bougeons et sommes, aussi longtemps qu'il le veut ». Une très courte conclusion instrumentale vient clore cet allegro puis laisse place à un adagio plus sombre. A nouveau à quatre temps et d’écriture verticale, il illustre les paroles suivantes : « En lui nous mourrons au bon moment, quand il le veut ». La fin suspensive de ce premier chœur indique que le mouvement n’est pas terminé.

Le lento qui suit reste en effet dans la même couleur sombre. Le chœur, toutefois, n’intervient pas. Seul le ténor soliste chante dans un style plutôt libre, sur une basse obstinée (ou répétée). Si cet aria est assez court (environ 2 minutes), il n’en comporte pas moins une introduction et une conclusion instrumentale, comme c’est généralement le cas pour les airs de plus grande envergure.

C’est ensuite au tour de la basse soliste de s’exprimer dans un air vif (vivace) à trois temps. Sans être exubérant, ce passage fait appel à une certaine virtuosité, aussi bien instrumentale que vocale (vitesse, vocalises), contrastant ainsi avec la sobriété de l’air précédent. En outre, les violes de gambe ne jouant pas, l’accompagnement instrumental se fait plus léger et laisse plus de place au chant. La couleur générale est plus optimiste. Pourtant les paroles ne sont pas plus joyeuses : « Ordonne ta maison/car tu vas mourir/et ne pas rester en vie ».

Le retour du chœur en dernière partie de ce grand numéro témoigne du souci de construction et de symétrie qui occupe Bach.

Par ailleurs, ce dernier fait ici appel à une écriture typique de la musique allemande de l’époque et dans laquelle il excelle : l’écriture fuguée, qui fait entrer les voix successivement en imitation les unes des autres, ainsi qu’on l’a déjà observé dans le premier chœur. Ce sont les ténors qui rentrent en premier, sur les mots « Es ist der alte Bund » (« C'est la vieille alliance »), suivis des altos puis des basses. La mélodie qu’ils entonnent est caractéristique d’un sujet de fugue, avec une « tête » plutôt solennelle, d’aspect déclamatoire, et une « queue » plus chantante, conjointe et légèrement mélismatique (ornementale).

Faisant son entrée un peu plus tard, la soprano soliste - et non les sopranos du chœur - intervient avec une seconde mélodie plutôt séductrice qu’elle répète plusieurs fois, comme en réponse au chœur (« Oui, viens seigneur Jésus, viens ! »). Le désir amoureux qu’évoquent à la fois la mélodie et les paroles est une manière d’illustrer non seulement l’acceptation mais aussi l’espérance de la mort, vue comme une délivrance.

Pendant ce temps, une troisième mélodie tirée du choral Ich hab mein Sach Gott heimgestelt se déroule aux flûtes, complexifiant ainsi davantage l’écriture musicale, comme Bach aime à le faire.

Le continuo, quant à lui, évolue impassiblement et représente, selon le musicologue spécialiste de Bach Gilles Cantagrel, une « métaphore de la marche de l’homme et de l’écoulement du temps » (Le Moulin et la rivière, Fayard, 1998).

Mais le temps de la délivrance n’est pas encore arrivé : nous n’en sommes qu’à la moitié de la cantate. C’est donc en suspension, sur un mélisme descendant de la soprano que se termine ce numéro.

Glossaire

  • Basse continue : écriture utilisée à l’époque baroque selon laquelle seule la partie de basse est notée. Elle est complétée le plus souvent par des chiffrages qui indiquent à l’interprète la nature des accords à réaliser, le laissant libre de choisir la manière de les jouer.
  • Continuo : ensemble instrumental composé d’un instrument polyphonique (clavier, luth, harpe…) et d’une basse (violoncelle, viole de gambe, basson…) et chargé de réaliser les accords de la basse continue qui soutient l’ensemble d’une pièce.
  • Choral : cantique protestant.
  • Fugue : genre de composition stricte, basé sur le principe de l’imitation dans lequel les différentes voix/lignes mélodiques, toutes d’égale importance, se superposent les unes aux autres et se développent en donnant l’impression que chaque voix fuit ou poursuit les autres.
  • Homorythmique : tous les intervenants jouent ou chantent les mêmes rythmes.
  • Mélisme : groupe de notes chantées sur une seule syllabe.
  • Récitatif ou recitar cantando : le chanteur soliste "parle en chantant" accompagné par la basse continue, sur un rythme relativement libre déterminé par les paroles.
  • Tutti : lorsque tous les chanteurs et instrumentistes interviennent.