Jeanne Gérard, révélation des Victoires de la musique classique 2021
Par Suzana KubikJeanne Gérard est nommée dans la catégorie “Artiste lyrique” des Victoires de la musique classique 2021. Rencontre et portrait en sept questions.
Jeanne Gérard est nommée dans la catégorie “Artiste lyrique” des Victoires de la musique classique 2021. La Parisienne de 30 ans a fait ses études littéraires dans sa ville natale et a étudié le chant lyrique à la Manhattan School of Music à New York. Nous l'avons rencontrée lors de ses répétitions à la salle Gaveau à Paris, juste avant le Concert des Révélations du mercredi 13 janvier.
Pourquoi avez-vous choisi le chant?
En fait, j'ai toujours chanté. Cela a toujours été mon mode d'expression, ma façon d'habiter le monde. Mes parents ne sont pas du tout musiciens professionnels, mais ils chantaient toujours à la maison. A peu près quotidiennement, on se retrouvait pour chanter ensemble. Après le repas, dans le salon, on mettait des CDs de Charles Aznavour, d'Édith Piaf, de Serge Reggiani et on chantait. J'ai toujours voulu devenir chanteuse, mais je ne savais pas exactement comment on en devenait une. Et surtout, je ne savais pas vers quel style m'orienter. Et quand j'avais 10 ans, ma mère a commencé à prendre des cours de chant. Je suis venue l'écouter. Je lui ai dit : "Mais moi aussi, je veux faire ça. "
Pendant des années j'ai un peu erré. J'ai eu beaucoup de mal à trouver un professeur qui me correspondait exactement. J'ai fait une classe préparatoire littéraire et une licence de philosophie et d'anglais, mais je sentais qu'il fallait absolument que je chante. Deux ans auparavant, j'avais rencontré un peu par hasard un professeur de chant de la Julliard et je m'étais dit qu'il fallait que je travaille avec lui. C'est lui qui m'avait ouvert la voix. Après ma licence je faisais un voyage avec ma famille à New York et pour mes 18 ans, ma mère m'avait offert un cours de chant avec un professeur de la Julliard.
C'était un virage à 90 degrés parce que ce n'est pas évident d'accepter d'être chanteuse, de se jeter à l'eau quand personne de sa famille n'est musicien, quand on ne sait pas du tout comment s'orienter. Je ne savais pas ce que c'était que la maîtrise. Je ne savais pas ce que c'était que les jeunes chœurs ou encore moins les conservatoires. J'avais juste envie de chanter. Personne n'avait balisé la voie pour moi avant. Mais je suis contente finalement de ces années d'errance. Cela m'a apporté la conviction intime que c'était pour le chant que je voulais vivre.
Qu'est-ce que le chant vous apporte ?
Beaucoup de joie et beaucoup d'attention aux choses qui m'échapperaient si je n'étais pas obligée d'y être sensible. Tout compte quand on chante : l'énergie de la personne avec laquelle on parle avant de chanter, les perceptions physiques les plus subtiles, les sensations, c'est assez passionnant d'être un instrument. On porte en soi son propre instrument qu'il faut maintenir à la fois parfaitement accordé et ouvert, à la fois généreux et préservé. C'est vraiment la présence la plus ajustée à l'instant qui permet d'atteindre cet état de funambule. La musique est une fin en soi et moi, j'en suis l'instrument.
Qu'est-ce qui est difficile dans le chant ?
C'est de déterminer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous et tout ce qu'il faut prendre en compte. Abandonner la recherche de contrôle de ce qui ne dépend pas de nous avant le concert ou avant une production et chercher à être au plus proche de ce qui dépend de nous. C'est un vrai apprentissage.
Qu'est-ce que vous aimez dans votre métier ?
Un chanteur est là pour mettre en vibration ce qui a besoin d'être éveillé chez les autres, de débloquer des émotions enfouies ou réprimées des auditeurs. Le chant nous met en relation profonde avec notre humanité. Parce que finalement, le chant, c'est la mise en vibration du souffle qui est la vie même, il permet de faire entendre le son de la vie. Je pense qu'il y a vraiment une dimension spirituelle supérieure à son corps ou à sa propre psychologie, cela doit être mis entre parenthèses quand on chante. C'est au delà de l'identité, je crois.
Si vous aviez l'occasion de rencontrer un compositeur, vivant ou mort, ce serait qui ?
Ce serait Verdi. Je lui demanderais de me donner un coaching. C'est l'opéra italien qui m'a ouvert cet univers. Je m'y sens chez moi, peut-être aussi à cause de mes origines. Mes grands parents maternels étaient italiens, ma marraine est italienne. Si je pouvais chanter qu'un seul genre, ce serait l'opéra italien. Après, la musique de chambre m'a appris mon métier. Quand j'étais à New York, j'ai fait énormément de musique de chambre et j'essaie de garder la même qualité d'écoute et le même sens de responsabilité artistique quand je chante de l'opéra comme quand je chante de la musique de chambre. Parce que je pense que ça rend non seulement la communication avec l'orchestre beaucoup plus intéressante, mais aussi la musique plus vibrante et l'intention artistique plus claire.
Avez-vous un rêve en tant que chanteuse ?
J'ai un projet qui me tient vraiment à cœur et qui a été longtemps un rêve. C'est un portrait musical de Nadia Boulanger, un projet très personnel qui mûrit depuis trois ans, mais qui va enfin voir le jour en forme d'un spectacle et un cd. Mon professeur de chant, pour qui j'ai traversé l'Atlantique, était élève de Nadia Boulanger et il n'y a pas eu un cours sans qu'il me parle d'elle. Ca a piqué ma curiosité et c'est assez drôle parce que le milieu musical français connaît Nadia Boulanger, mais elle n'est finalement pas si célèbre en France, alors qu'aux États-Unis, c'est une star absolue : elle a formé les plus grands compositeurs américains. J'avais très envie d'explorer l'héritage pédagogique de Nadia Boulanger. C'était une femme passionnante, elle disait pouvoir lire avec plus d'aisance les notes de musique que les lettres et déchiffrer plus facilement les partitions que le journal. Il existe plein de biographies de Nadia Boulanger, mais je trouvais intéressant, justement, d'en faire un portrait musical, parce que c'était sa façon d'être au monde. De raconter Nadia Boulanger à travers les compositeurs qui ont bercé son enfance, ceux qui l'ont formée, ceux qu'elle a défendus et ceux qu'elle a formés. J’ai la chance de construire ce projet avec le metteur en scène Vincent Huguet et avec des partenaires de musique de chambre merveilleux tels que Johan Farjot, Antoine Palloc, Yan Levionnois et Mathilde Calderini.
Comment avez-vous vécu cette période de crise sanitaire ?
Je me suis forcée à avoir beaucoup de discipline, j'ai fait du tchi gong et du yoga tous les matins. J'ai beaucoup travaillé ma respiration. J'ai travaillé mon instrument dans la lenteur et en profondeur. J'ai travaillé ma technique comme on peut le faire avant d'entrer au conservatoire. Même si c'était assez stressant de n'avoir aucune idée de ce qui allait se passer, c'était une forme de luxe de pouvoir revenir à l'instrument. J'ai eu la chance immense de recevoir les conseils de Karine Deshayes, j'ai travaillé tout mon répertoire avec elle, et puis j'ai pu avancer sur mon projet sur Nadia Boulanger. J'ai pu travailler, j'ai pu ouvrir des partitions pour le plaisir de chanter, juste pour nourrir un instrument parfait.
Les vidéos de Jeanne Gérard
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