John Adams et l'opéra, un miroir tendu à la société

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John Adams et l'opéra, un miroir tendu à la société

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L'arrivée du Président Nixon en Chine, de l'opéra « Nixon in China » de John Adams
L'arrivée du Président Nixon en Chine, de l'opéra « Nixon in China » de John Adams
© Getty - Jack Vartoogian

Les opéras du compositeur John Adams, tels que « Nixon in China » et « Dr Atomic », ne sont pas de simples œuvres lyriques et scéniques. Ancrées dans l’actualité et notre quotidien, elles sont un miroir de la société, provoquant diverses réactions et débats.

Musique et politique sont associées depuis les premiers jours du genre lyrique. De Monteverdi à Henze en passant par Mozart, Beethoven, Wagner et Strauss, l’opéra en tant que forme musicale a toujours servi de médium pour faire passer des commentaires politiques et sociaux. Si le compositeur américain John Adams s’inscrit pleinement dans cette tradition dès son premier opéra Nixon in China (1987), ses œuvres semblent aller plus loin sans pour autant tomber dans la dénonciation explicite.

Fermement opposé à l’image du « compositeur politisé » muni de sa musique comme d'une arme, John Adams se préfère « engagé ». Il créé une musique lyrique ancrée dans le réel, une voix contemporaine qui reflète notre quotidien et à travers laquelle la logique omniprésente de notre société est véhiculée. 

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Dans ses opéras, il aborde divers sujets contemporains tels que la guerre et la menace nucléaire (Dr. Atomic), le féminisme et la religion (The Gospel According to the Other Mary ou El Nino), le terrorisme et le conflit au Moyen-Orient (The Death of Klinghoffer), la rencontre entre le capitalisme et le communisme (Nixon in China), le racisme et les droits des femmes (Girls of the Golden West), et même le tremblement de terre à Los Angeles en 1994 (I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky).

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L’actualité devenue mythologie

Alors que d’autres compositeurs contemporains s’attellent à filtrer le monde extérieur, Adams fait exactement l’inverse : il s’inspire autant que possible des contextes réels. Les œuvres opératiques de John Adams deviennent ainsi pour le public une « caisse de résonance incroyablement puissante pour aider les gens à mieux gérer ce qui leur arrive tous les jours », explique-t-il en personne.

« Je choisis toujours des sujets inspirés de ma propre vie, [...] des thèmes qui nous font douloureusement souffrir. Chaque jour, nous nous réveillons et nous regardons les nouvelles, ils sont là. Je pense qu'ils ont tous atteint le niveau de la mythologie, et l'opéra est un véhicule parfait pour y faire face », ajoute le compositeur.

Adams déracine l’art lyrique afin de le planter fermement dans l’actualité pour y trouver une mythologie moderne et pour le moins surprenante. L’opéra Nixon in China, qui relate l’histoire de la visite de Richard Nixon en Chine en 1972, n’est pas une oeuvre satirique mais plutôt un grand opéra sur la rencontre entre le capitalisme occidental, l’idéologie communiste orientale et les personnages « mythiques » de l’époque, à savoir Nixon et Mao Zedong.

Les figures « mythiques » Richard Nixon et Mao Zedong, de l'opéra « Nixon in China »
Les figures « mythiques » Richard Nixon et Mao Zedong, de l'opéra « Nixon in China »
© Getty - Jack Vartoogian

The Death of Klinghoffer (1991), l’histoire de la prise d'otage en 1985 du navire l'Achille Lauro par des terroristes palestiniens et l’assassinat du juif-américain Leon Klinghoffer, aborde de nombreuses questions socio-politiques telles que les revendications bibliques, historiques et contemporaines des Arabes et des Juifs auprès de la patrie palestino-israélienne, et la légitimité des tactiques terroristes par les politiquement faibles contre les politiquement forts. 

John Adams questionne souvent l’utilité du compositeur face au public de masse dans une société capitaliste, ajoutant modestement que « personne ne va s'inquiéter d'un opéra de John Adams », mais la vérité démontre le contraire. La représentation de The Death of Klinghoffer en 2014, presque 25 ans après sa création en 1991, a provoqué de nombreuses réactions virulentes. 

La famille Klinghoffer ainsi que le maire de New York, Rudy Giuliani, se sont attaqués à l'opéra, suscitant à son tour la défense de la juge américaine et membre de la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg. Accusé d’antisémitisme, l’opéra semble surtout déranger pour sa sympathie créée envers les terroristes, brouillant ainsi les rôles entre la victime et le coupable.

Le terroriste surnommé « Rambo » menace Leon Klinghoffer dans l'opéra « The Death of Leon Klinghoffer »
Le terroriste surnommé « Rambo » menace Leon Klinghoffer dans l'opéra « The Death of Leon Klinghoffer »
© Getty - Jack Vartoogian

Si tous les opéras de John Adams ne provoquent pas une telle réaction, ils semblent néanmoins provoquer à chaque fois un débat et un questionnement qui dépasse les murs de la salle de concert et les limites de la critique musicale. Dans les mains d'Adams, chaque nouvel opéra devient « un véhicule provocateur, voire subversif, pour une déclaration non seulement artistique mais surtout humaine et sociale. »

Un miroir élitiste devenu accessible ?

John Adams est l'un des compositeurs d'opéras contemporains les plus interprétés aux XXe et XXIe siècles : le choix d’un sujet « actuel » aide-t-il dans l’accessibilité d’un opéra ? « Mon modèle a toujours été un artiste comme Charles Dickens, par exemple, ou _Tolstoï__,_ Wagner ou Verdi : je pense qu'il est possible de parler à un grand public, intelligent et informé, et dire quelque chose qui est à la fois accessible et profondément significatif. »

Girls of the Golden West (2017), situé pendant la ruée vers l'or en Californie au XIXe siècle, évoque non seulement la question du féminisme mais aussi la mixité sociale et les « fake news », trois sujets notamment au premier plan de l'attention américaine en 2016 lors de l'élection présidentielle et la candidature de Hilary Clinton, première candidate femme dans l'histoire du pays.

Le nouveau projet opératique du compositeur américain s’inspire d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare, une histoire qui a plus de 2000 ans, mais au message néanmoins enraciné dans notre société moderne : « C'est l'histoire de deux amants qui ne sont plus jeunes. [...]Ils ont tous deux un passé et font des choses terribles, se déclarent amoureux, puis ils pardonnent et continuent de faire des choses terribles. [...] C'est encore pertinent dans nos vies à la fois sur un plan très personnel et intime mais aussi à l’échelle de la politique et de la lutte pour le pouvoir entre les différents pays », explique le compositeur.

L'oeuvre pour opéra de John Adams parle au grand public par sa modernité, mais cette accessibilité se trouve également dans l'intemporalité de ses sujets. En témoigne le succès de Nixon in China, produit près d’une quarantaine de fois depuis sa création en 1987 : « Je pense qu'il parle encore aux gens aujourd’hui en particulier avec l'occupant actuel de la Maison Blanche aux États-Unis, et l'idée du pouvoir présidentiel, de l'ego, d’une aussi grande personnalité et de l'autoritarisme, des sujets très présents dans l'esprit des gens », ajoute Adams.

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Évolution ou révolution culturelle ?

Si les opéras de John Adams semblent interpeller pour leur contexte social et leur message plutôt que pour leurs particularités musicales, ceci est représentatif d'un mouvement de plus en plus généralisé selon le compositeur : « Lorsque j'étais étudiant, toute la question concernait le style et la langue, le langage musical. Aujourd'hui, 40 ans plus tard, les jeunes compositeurs [...] sont beaucoup plus préoccupés par l'impact social de leurs œuvres. [...] Je pense qu'il est intéressant de voir comment la boussole vient de tourner dans le sens inverse : les questions de style sont beaucoup moins importantes et la question du contenu est arrivée au premier plan. »

Un changement de regard qui se fait ressentir de manière générale dans le secteur des arts selon Adams. Si le compositeur avoue n’éprouver aucun réel intérêt pour la musique « populaire » des jeunes générations, il applaudit néanmoins le choix d’accorder en 2018 le Prix Pulitzer au rappeur américain Kendrick Lamar, un prix qu'avait d'ailleurs reçu John Adams en 2003 pour son œuvre On the Transmigration of Souls, à la suite des attentats du 11 septembre à New York : 

« Cela montre une véritable volonté d'ouvrir à un grand nombre des institutions qui ont été jusqu'à présent essentiellement contrôlées par des gens comme moi, c’est à dire des hommes blancs. [...] Cela change radicalement, et je pense que les arts montrent la voie. Il y a un énorme mouvement vers l'expansion de la diversité dans les arts, trouvant des thèmes qui expriment les aspirations les plus profondes des personnes qui ont depuis la nuit des temps été opprimées. Je suis donc très fier de ce mouvement aux États-Unis.