Il y a 500 ans s’éteignait Josquin Desprez, compositeur picard du début de la Renaissance dont la renommée s’étendait sur toute l’Europe. Il a laissé plus d’une centaine d’œuvres, messes ou pièces profanes, qui ont marqué l’histoire de la musique.
Si l’on sait que Josquin Desprez disparaît le 27 août 1521 à Condé-sur-l’Escaut, il est plus difficile de savoir la date de sa naissance, que l'on situe entre 1450 et 1455. Sa vie nous est encore mal connue et même son nom nous échappe : Josquin Desprez, des Près ou encore Judocus Pratensis. Pourtant il nous reste une œuvre capitale, aussi impressionnante par sa maîtrise que par sa sensibilité.
Enquête sur Josquin
Pour connaître la vie de Josquin Desprez il faut de la rigueur historique et pas mal d’imagination. Cette existence de musicien à l’orée de la Renaissance, nous n’en connaissons que les fragments attestés par des documents administratifs, la majeure partie restant inconnue ou complétée par les hypothèses des musicologues.
Où est-il né ? Peut-être dans le Hainaut (aujourd'hui à la frontière entre France et Belgique) ou bien à Beaurevoir, près de Saint-Quentin, sans doute vers 1450. Dans quelles conditions ? Personne ne le sait, mais on le retrouve comme enfant de chœur à l’église Saint-Géry de Cambrai. Entre temps il a vraisemblablement été élevé par son oncle et sa tante à Condé-sur-l’Escaut, à une quarantaine de kilomètres de là. A Saint-Géry, encore tout jeune, il apprend son métier de chanteur et découvre la composition.
On sait qu’à cette période, deux stars de la musique sont passées par Cambrai : Dufaye et Jean de Ockeghem, de là à imaginer une rencontre, voire un enseignement… On peut toujours rêver, d’autant que, bien des années plus tard, Josquin composera une magnifique déploration pour la mort d’Ockeghem « Nymphes des bois » où se mêlent pastiche du vieux maître, mythologie et thème de requiem.
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Sur la route
Le musicien quitte la maîtrise en 1466 et là, on perd sa trace pendant dix ans. Dix années où probablement il mène une existence de vicaire itinérant. Il réapparaît à la cour de René d’Anjou en 1476, à Aix en Provence. Dans cet environnement cultivé, il compose probablement des motets et un livre de musique pour la chapelle. Malheureusement ce dernier meurt en 1480 et Josquin disparaît à nouveau. Est-il passé en France, chez Louis XI, qui hérite de la Provence et fait venir à lui les meilleurs chanteurs de la cour du Roi René ? On peut l’imaginer.
Dans tous les cas, il est probable qu’à ce moment - ou bien dans les années 1500 - il ait été musicien à la cour de France car une anecdote, à prendre néanmoins avec précaution, en témoigne. Le Roi aurait voulu chanter et demande à Josquin de composer pour lui. Seulement, le suzerain est incapable de refaire une mélodie, le musicien aurait alors rusé et écrit une chanson, « guillaume se va chauffer », où la « voix du prince » n’a qu’une note à chanter en continu, tout le charme venant de l’ornementation des autres chanteurs.
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De Rome à Condé-sur-l’Escaut
Ce qui est sûr c’est que de 1484 à 1485 il suit le cardinal Sforza d’abord à Milan puis à Rome, premier contact avec la ville papale et sa musique. La réputation de Josquin commence à s’établir mais il choisit de partir, peut-être en Hongrie, pour revenir en 1489. À ce moment-là, c’est la gloire : il travaille à la chapelle du Pape Innocent VIII, qui n’a d'ailleurs d’innocent que le nom car à la cour pontificale règnent la corruption et le népotisme. Est-ce que Josquin échappe à cette atmosphère d’intrigue ? Difficilement sans doute mais avec son collègue Marbrianus de Orto, tous deux révisent les manuscrits de la Chapelle Sixtine et enrichissent le répertoire. Le style de Josquin évolue pendant cette période vers une certaine maturité.
Au tournant du siècle la documentation manque : rentre-t-il en France dans la cour de Louis XII ? Ou bien part-il à Lyon voire en Lorraine ? Ce qui est certain c’est qu’il est engagé par Hercule Ier d’Este, prince mécène qui voulait recruter les meilleurs artistes pour sa cour, pour qui il va composer une partie importante de son œuvre.
Il revient pourtant dans le Nord de la France, à Condé-sur-l’Escaut, peut-être la ville de son enfance. C’est là qu’il vit ses dernières années comme chanoine de cette bourgade, une vie sans doute interrompue par des séjours à la cour de Marguerite d’Autriche qui se trouve à quelques kilomètres de là, en Belgique. À sa mort le 27 août 1521 il est l’un des musiciens les plus célèbres de toute l’Europe.
Josquin intime
Au terme de cette enquête, le vrai visage de Josquin demeure presque inconnu. On trouve bien un portrait de lui qui nous le montre jeune, coiffé d’un turban et l’air un peu grave mais il a été probablement réalisé après sa mort.
Un détail nous laisse entrevoir l’homme qu’il devait être : alors qu’Hercule d’Este cherche à l’attirer à sa cour, un de ses employés écrit au Prince pour lui conseiller d’engager plutôt un autre artiste, Heinrich Isaac. Ce dernier prendrait moins cher, serait plus sociable et composerait à la demande alors que Josquin travaillerait selon son bon vouloir. Notre musicien serait-il un homme un peu trop conscient de son talent ? En tout cas il est incapable de rester plus de quelques années à la même place : hasards de l’Histoire ou amour de sa liberté ? Peut-être tout simplement un mauvais caractère.
C’est encore sa musique qui nous permet de mieux le connaître. Il est capable d’audace comique comme dans La Missa l'Ami Baudichon, l’une de ses premières messes qui repose sur une chanson populaire assez paillarde, curieux mélange des genres. Mais d’autres de ses compositions nous le montrent ayant un certain goût pour la déploration. Le contre-ténor Dominique Visse déclare à son propos : « Ce qui caractérise Josquin Desprez, c’est la mélancolie », peut-être un trait de caractère ?
C’est en tout cas ce qu’on peut penser à l’écoute de Mille Regretz l’une de ses plus fameuses compositions dont on dit que Charles Quint en était mordu. On a récemment douté que Josquin en soit l’auteur mais peu importe quand on entend les voix du Hilliard Ensemble s’accorder et s’entremêler aussi magiquement pour dire ces quelques vers :
Mille regrets de vous abandonner
et d’être éloigné de votre visage amoureux.
J’ai si grand deuil et peine douloureuse
qu’on me verra vite mes jours terminer.
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Un homme entre deux mondes
Josquin Desprez vit à la charnière entre deux époques, le Moyen-Âge et la Renaissance et « possède dans la plénitude tous les caractères que l’on attribue à l’une et à l’autre époque » comme l’écrit Jacques Chailley. Il est vrai que notre compositeur parcourt une bonne partie de l’Europe : La France, les Flandres, l’Italie et peut-être même l’Espagne. Dans ses pérégrinations, il dessine ce qui sera le cadre de la future Europe humaniste du XVIe siècle.
À cette époque circulent déjà des idées de réforme de l’Église catholique, on entend notamment le moine Savonarole prêcher la pauvreté et la corruption des puissants. Soutenu par Hercule d’Este au moment où Josquin est à son service, ce dernier compose un Miserere qui fait probablement référence à l’un des derniers textes du prêcheur. Josquin Desprez partageait-il le regard critique du moine sur l’Eglise, lui qui avait connu de près Rome et la vie de la cour papale ? Quoi qu’il en soit Savonarole finira pendu et brûlé à Florence après avoir mis en place dans cette ville une forme de régime théocratique.
Une publicité formidable
À sa mort, la célébrité du compositeur est telle que l’Italien Cosimo Bartoli le compare à Michel-Ange : « De Josquin, on peut dire qu'il fut, en musique, un monstre de la nature comme le fut en architecture, en peinture, en sculpture, notre Michelangelo Buonarroti ». Et ce succès ne se démentira pas pendant tout le XVIe siècle. Si Josquin doit sa renommée à son talent, une invention lui fait bénéficier d’une publicité inédite qui participera à faire de lui une référence pour l’Europe entière. Cette invention, c’est l’imprimerie musicale.
Finis les magnifiques manuscrits copiés à seulement quelques exemplaires, place à la modernité. En 1498 Ottavione Petrucci obtient le privilège de publier de la musique et s’installe à Venise. Il sort d’abord une anthologie de chansons profanes en 1501 où l’on trouve déjà des compositions de Josquin. L’année suivante, c’est notre compositeur qui est choisi pour la première édition d’un volume consacré à l’œuvre d’un seul auteur. Les messes de Josquin ont un tel succès qu’elles sont bientôt rééditées et que d’autres recueils suivront en 1505 et 1514.
Contrepoint et Cantus Firmus
Josquin a écrit une vingtaine de messes, à peu près 70 chansons et pièces profanes ainsi qu’une centaine de motets. L’œuvre du compositeur hérite de la tradition de Dufay et d’Ockeghem une certaine rigueur mathématique voire une virtuosité intellectuelle mais que notre musicien sait adoucir pour plus d’élégance et de fluidité.
Il développe le style « en imitation continue » et assouplit l’usage du cantus firmus, qui était un thème mélodique souvent donné au ténor reprenant des motifs connus de chanson populaire ou bien de musique liturgique et que le compositeur prenait pour base de son œuvre. Maître du contrepoint, il enrichit les compositions en osant des pièces à cinq, six voire huit voix.
On peut prendre comme exemple de sa virtuosité la Missa Hercules dux Ferrarie dont le cantus est formé des voyelles du nom du dédicataire (ré, ut, ré, ut, ré, fa, mi, ré) ou bien encore la messe Pange lingua, l’un de ses ultimes chefs d’œuvre, où son attention aux mots et son sens du figuratif font des merveilles. Il sait également se réinventer sans cesse, comme le prouve l’intégralité de ses messes qu’ont enregistrée The Tallis Scholars et leur chef Peter Phillips entre 2001 et 2020. Lionel Esparza revenait sur leur entreprise dans son émission Disques de légende.
500 ans !
Un demi-millénaire plus tard la musique de Josquin vit encore. Parmi les célébrations pour cet anniversaire hors norme, on peut noter le disque de l’Ensemble Clément-Janequin dirigé par Dominique Visse qui chante depuis longtemps cette musique.
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Il y a également l’album de Stile Antico consacré uniquement au compositeur picard publié chez Decca.
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À noter que France Musique a diffusé le 26 août deux concerts des BBC Proms de Londres dédiés au compositeur français.