La mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato, marraine du projet El Sistema Greece, a donné gratuitement un concert pour les enfants réfugiés des camps d’Athènes. Dernier volet de ce carnet de bord.
La productrice de France Musique Dominique Boutel et le réalisateur Gilles Blanchard sont partis une semaine à Athènes suivre le projet El Sistema Greece qui s'implante dans les camps de réfugiés. Découvrez leur reportage, en trois épisodes. Retrouvez le premier épisode sur El Sistema Greece, et le deuxième sur les cours de musique pour les enfants.
Cette semaine, en plus de ses obligations quotidienne, l’équipe d’El Sistema Greece travaille sur un événement important : la mezzo-soprano Joyce DiDonato a accepté de faire étape à Athènes pour offrir, avec et pour les enfants réfugiés, un concert.
Ce concert aura lieu en deux temps, sur une même journée. D’abord sur l’agora du Stavros Niarkos Foundation Cultural Center, à Athènes, dans le cadre des open classes qu’a institué El Sistema Greece, puis dans le camp lui-même. Cette dernière étape est la plus compliquée à organiser… Nous sommes en plein ramadan et il faut obtenir les autorisations officielles du Ministère pour laisser entrer dans le camp musiciens, techniciens et invités.
Sur l’agora, les équipes s’affairent et la directrice d’El Sistema Greece, Dimitra Raftopoulou, tourne autour du podium comme une abeille : la balance son commence mais le vent souffle encore bien fort…
Il est 18h30. Par petits groupes, des enfants de 7 à 15 ans munis d’instruments à cordes s’installent sur les chaises préparées à cet effet sur le podium. Ce sont les élèves de Tzempen Klapakis, professeur de violon qui vient le dimanche donner des cours dans les locaux d’Impact Hub aux adolescents migrants vivant en centre ville, dans des appartements ou des hôtels. Il donne aussi des classes dans une école d’Athènes. Pour ce concert, il a réuni ses deux groupes d’élèves : des enfants grecs et des jeunes migrants, Afghans pour la majorité d’entre eux.
« J'ai une approche un peu différente de la pédagogie pour étudier le violon. Au lieu de commencer seul, on commence à plusieurs. Ici dans les camps, tous les dimanches, j’ai souvent une vingtaine de garçons et beaucoup de nouveaux. Ils sont très réguliers, même s'ils ne savent pas très bien jouer encore, mais ils adorent, et sont fiers », témoigne le professeur.
Deux élèves adolescents, Mohamad et Hamid ont été contactés par les ONG qui les suivent pour participer. Ils viennent depuis un mois à Impact Hub où on leur a confié un violon. Depuis, les deux mineurs sont d’une parfaite assiduité et ont même entraîné d’autres camarades à rejoindre l’aventure. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine à suivre les cours de Tzempen.
Mais c’est la première fois que les élèves vont jouer en public avec d’autres jeunes musiciens. Pour eux la musique est un vrai plaisir, et même si certains d’entre eux auraient préféré apprendre le piano, ils se sont attachés à cet instrument pourtant pas si commode à maîtriser au début… On s’accorde, on se mélange, le public grossit, c’est parti pour le concert.
Tzempen court des uns aux autres, très attentifs à ses élèves réfugiés à qui il prodigue des conseils de dernière minute. Il faut que cette première expérience les motive encore plus. Le pari semble réussi, le public est conquis et un des élèves a même droit à son solo de violon !
19h. Les cars sont arrivés et les familles des camps arrivent. Certains parents accompagnent leurs enfants qui se sont mis sur leur trente-et-un. Le concert des violonistes en herbe terminé, on retourne les chaises qui font maintenant face au podium. Il règne sur la place une vive agitation, le vent a légèrement baissé et la nuit commence à descendre sur ce joyeux brouhaha. Beaucoup de badauds, de parents, toutes origines confondues, sont venus assister à cet événement exceptionnel.
Joyce DiDonato arrive avec les musiciens d’Il Pomo d’Oro, accueillis par la liesse du public. La générosité de la chanteuse est perceptible dès son arrivée sur scène : habillée simplement, elle se lance dans un mini récital dont elle explique chaque choix, traduits en grec par Konstantina. Sa voix s’élève dans le soir d’été, les enfants de tous bords sont médusés par ce son qui danse, qui module, qui répond à la flûte, qui se fond avec les instruments. Les gens sourient, rient, applaudissent… Un pur moment de magie.
Puis Joyce DiDonato quitte la scène et s’assoit avec les enfants. C’est au tour de Nikos et de Konstantina d’animer l’ « open class » : petits jeux de souffle, échauffements ludiques, vocalises, parents et enfants, grecs et migrants mélangés se préparent à chanter ensemble. Sofi Jeannin, directrice de la maîtrise de Radio France, entre en scène, lumineuse, captivant son auditoire en quelques secondes seulement. Elle les prépare à participer à la Habanera de Carmen : rythmes frappés, lalala, ça n’a l’air de rien, mais ce n’est pas si simple d’avoir tout le monde ensemble.
La mezzo-soprano revient sur scène et c’est le clou du spectacle. En Carmen passionnée, amoureuse, elle entraîne derrière elle tout le public. Il y a ceux qui chantent et il y a ceux qui préfèrent dessiner des petits cœurs avec leurs doigts.
Retour au camp pour un deuxième concert
Changement de décor pour la fin de soirée. Depuis le matin, Léa s'affaire dans le camp de Skaramagka pour préparer la scène qui va accueillir un concert au coeur du lieu de vie des réfugiés. Tout est un peu rudimentaire, la scène sous le auvent du Danish Refugee Council, les câbles qu’il faut relier à des containers éloignés, les lumières… Mais qu’importe.
II y a du monde, beaucoup de monde, des femmes, des adolescents, des hommes, des enfants, beaucoup d’enfants, dont certains qui reviennent juste d’Athènes où ils ont pique-niqué après le premier concert.
Quelques essais micros, et Joyce DiDonato monte sur scène dans une ambiance qui lui évoque , dit-elle « ce que devaient être les soirées dans le théâtre du Globe de Shakespeare » : un brouhaha général, un mouvement incessant. Pour beaucoup de gens, ce soir, dans le camp, cette rencontre avec la voix lyrique est une première. On voit d’ailleurs des sourires se dessiner sur certains visages. Les plus fascinés, ce sont les enfants, massés devant la scène (et parfois même dessus), qui écoutent Joyce avec délectation.
C’est difficile de savoir ce que pensent les uns et les autres, qui viennent de pays ou les femmes ne chantent plus, ou peu. Mais la générosité de la chanteuse américaine est perceptible, son plaisir à être là, à donner ce qu’elle a de plus beau, au nom de l’amour, à des gens qui ont tout perdu.
Applaudissements, sifflets enthousiastes, puis vient à nouveau le moment de partage avec les enfants, autour de la Habanera. Ils montent sur scène, Sofi Jeannin est là, et les voilà qui chantent avec Joyce, pour la plus grande joie de tous. La fête n’est pas finie, c’est aux réfugiés maintenant d’offrir à leur tour un moment de partage. Quatre adolescents occupent le cercle et entament une danse complexe et rythmée, puis un Syrien entonne un de ces chants poignants, à la fois appel et cri, accompagné par une rythmique qui met les hommes en mouvements. Un, puis deux, puis trois forment une chaîne qui ne cesse de croître et d’onduler au centre du public. Quelle énergie, quelle joie dans les regards et les corps.
La nuit pourrait ne jamais finir, il fait enfin doux, une petite brise vient de la mer. Nous nous attardons tous dans le camp qui, tout à coup, s’est mis à vivre. Ici s’est ouvert un marchand de fruits et légumes, des petites ampoules colorées indiquent le long du quai l’emplacement des restaurants ou l’on peut déguster falafels ou kebab, des familles déambulent au bord de l’eau, des enfants courent…On pourrait être ailleurs, en Syrie, en Afghanistan, quelque part au bord de la Méditerranée, le temps d’une nuit.
Ecoutez l'interview de Joyce DiDonato (en anglais) :
L'interview de Joyce DiDonato
14 min