Jules Massenet : 10 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur le compositeur de Werther
Par Charlotte Landru-ChandèsQui dit Jules Massenet dit Thaïs, certes. Mais n’oublions pas qu’il est aussi l’auteur de grands opéras comme Werther ou Manon. Retour sur la vie d’un compositeur qui a occupé la scène musicale à la fin du XIXe siècle.
Pianiste, timbalier, compositeur… Jules Massenet (1842-1912) a sans cesse baigné dans la musique. S’il commence en tant qu’instrumentiste, c’est finalement l’écriture qui l’intéresse le plus. En particulier l’art lyrique vers lequel il se tourne dès 1859, avec une opérette aujourd’hui disparue, Les Deux Boursiers. Sa production compte tout de même pas moins de 25 opéras !
Soutenu par son mentor, Ambroise Thomas, mais aussi par son éditeur, le pétulant Georges Hartmann,qui a notamment lancé sa maison avec les Poèmes de Massenet, le compositeur est avec Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo et Georges Bizet, l’une des figures majeures de la musique française à l’aube du XXe siècle.
Entre marteaux et fusils : des débuts fracassants
Non, Massenet n’a pas eu 21 frères et sœurs comme on a souvent pu le lire : il est le petit dernier d’une fratrie de 'seulement' 12 enfants. Le jeune Jules naît en 1842, à la Terrasse, près de Saint Etienne. A priori, rien ne le destine à une carrière de musicien : son père est maître de forges et la plupart de ses frères décident de se tourner vers les sciences ou l’armée. Comme il le déclare lui-même au Scribner’s Magazine en 1893 : « C’est au bruit (des) lourds marteaux d’airain, comme le dit le poète antique, que je suis né. Voilà un début peu musical. »
C’est sans compter sur sa mère, Adélaïde. Peintre et musicienne, elle enseigne le piano dès l’arrivée des Massenet à Paris en 1847, pour subvenir aux besoins de la famille. Son élève préféré n’est autre que son petit dernier, Jules. Leurs séances débutent pendant la révolution de février 1848, le jour de l’abdication du roi Louis-Philippe. Au même Scribner’s Magazine, Jules Massenet raconte qu’à peine commencé, le cours a été interrompu par de violents coups de feu.
« Si mon entrée dans le monde fut accompagnée bruyamment par les marteaux d’une usine, mon premier début dans la carrière que je devais poursuivre n’était pas plus musical ! »
Hormis Jules, seuls sa sœur Julie et son frère Léon goûtent aux arts. La première s’intéresse à la peinture, le second, proche de l'écrivain Jules Vallès, à la littérature.
Prodige et bourreau de travail
A 10 ans, le jeune homme intègre le Conservatoire de Paris. Il ne peut plus se passer de musique. Ainsi, la déception est immense quand, à peine un an plus tard, sa famille quitte Paris pour Chambéry à cause des soucis de santé de son père. A tel point que le petit Jules aurait fugué, mais sans grand succès (selon sa biographe et lointaine parente Anne Massenet). Face à la mélancolie croissante de leur fils, ses parents finissent par céder. L’enfant prodige retourne à Paris un an plus tard, où il trouve refuge chez sa sœur Julie.
Jules est un élève appliqué et très exigeant, deux qualités que lui a enseignées sa mère. Tous les matins à 9h, il vient s’entraîner sur le piano d’un atelier de Montmartre, repaire de son frère Léon et de Jules Vallès. « Exact comme une pendule », « assidu », « attaquant à heure fixe son instrument »… Vallès est impressionné par la rigueur de cet enfant de 15 ans.
Le travail paie : les succès s’enchaînent. En 1859, Jules obtient le Premier Prix de piano, en 1862,après s’être tourné vers la composition, il reçoit un Second Prix de contrepoint et fugue et en 1863, le tant convoité Prix de Rome. Une réussite qu’il doit beaucoup à son professeur de composition, Ambroise Thomas (l’auteur des opéras Hamlet et Mignon). Les deux hommes entretiennent de fortes relations jusqu’à la mort du maître.
Séjour en Italie
A l’époque, le Prix de Rome est souvent le premier pas vers une brillante carrière. Massenet passe deux années dans la prestigieuse Villa Médicis. Ce séjour est un enchantement : « Comme je n’étais plus musicien, comme j’étais davantage ! », déclare-t-il plus tard au Scribner’s Magazine. Pour lui, la Villa Médicis « c’est le rêve devenu la réalité. » Pourtant, son séjour a débuté d’une étrange manière : abandonné par d’autres pensionnaires, il aurait passé sa première nuit à Rome seul, au beau milieu des ruines du Colisée.
Au cours de ce voyage, Massenet sillonne l’Italie. Il visite notamment Milan, Venise, Naples, Florence. Mais le travail le rattrape. Tout élève de la Villa Médicis a pour obligation d’envoyer des œuvres composées à Rome, dont une à caractère religieux. Massenet peine à retrouver son inspiration. Il se lance sans conviction dans une messe, qu’il remplace finalement par un Requiem (aujourd’hui disparu). Il écrit aussi, entre autres, une symphonie (la première qui sera donnée en concert à Paris), une autre suite symphonique, Pompéïa, et une ouverture de concert.
C’est aussi à Rome qu’il rencontre sa future épouse, Louise-Constance de Gressy surnommée « Ninon », une brillante pianiste que Franz Liszt lui recommande comme élève.
Mélancolique, mais vif
Massenet a toujours eu une tendance à la tristesse. C’est ce que révèlent certaines de ses lettres où il écrit « toujours triste de tout… Temps gris, pleuré depuis hier. » Selon ses biographes, le compositeur supporte mal la solitude. Sa femme et sa fille partent fréquemment en voyage, et les réponses à ses lettres se font souvent attendre.
Dans la biographie qu’il consacre à son grand-père, Pierre Bessand-Massenet écrit qu’il y a en Jules « deux natures désassorties. » Parmi ces « deux êtres », l’un est « imprégné de Schubert, de Schumann, de Chopin. » Ce lyrisme transparaît notamment dans certaines de ses premières œuvres comme ses Poèmes (Poème d’avril ; Poème du souvenir). Il est d’ailleurs l’un de ceux qui introduisent la mélodie en France, un genre musical dans la continuité du Lied.
Loin de le desservir, son lyrisme lui inspire l’un de ses chefs-d’œuvre, l’opéra Werther, créé à Vienne en 1892. Massenet reprend un roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, qui raconte une histoire d’amour malheureuse entre un jeune poète romantique et sa cousine, Charlotte. Proposée en 1887 à l’Opéra-Comique, l’œuvre est dans un premier temps refusée, jugée « trop triste. » Et la mise en scène du suicide du héros se heurte à la morale de l’époque.
Rêveur et tourmenté, Massenet est aussi vif et exalté. Le ténor Guillaume Ibos raconte comment il était guidé par le compositeur qui poussait l’interprétation du personnage de Werther à l’extrême : « Il était déchaîné, il chantait [...] il avait l’air d’un fou, traversant la scène d’un bout à l’autre. »
Juliette, son « bon singe »
Quand sa petite Juliette n’est pas à ses côtés, Jules se morfond. Née le 31 mars 1868, elle sera son unique enfant.
A partir du moment où ses relations avec sa femme se dégradent, ceux avec sa fille se renforce. Parfois, quand Ninon part en voyage, Juliette reste à Paris avec son père. Les carnets qu’elle tient entre 1880 et 1885 témoignent du lien affectif qui les unit : « J’aimais tant mon père que je préférais à tout les périodes où nous étions seuls tous les deux, et je crois que lui aussi. »
Mais contrairement à lui, Juliette ne se tourne pas vers la musique. Elle choisit le dessin. Son premier album s’intitule Théâtres et coulisses. Salles de spectacles, moments de répétitions, mais aussi vêtements… tout y passe ! Cependant, malgré tout l’amour que Massenet porte à son « bon singe », il écrit à sa femme que « Juliette ne fera rien dans l’avenir parce qu’elle n’a pas de suite dans les idées. »
Prévost, Goethe, Hugo… Massenet et la littérature
Manon, Don Quichotte, Werther, Thaïs, Le Cid, Hérodiade… Nombre des opéras de Massenet sont inspirés d’œuvres littéraires. Transporté par ses lectures, le compositeur traite ses sujets de manière très précise. Il annote ses livres, « crayonne » avec des couleurs les passages qui l’intéressent (selon Anne Massenet).
Parmi ces ouvrages, Manon Lescaut de l’abbé Prévost. Fasciné par le roman, Massenet se serait même rendu à La Haye en 1882, dans la maison où Prévost a rédigé l’œuvre (du moins il le projetait, comme le révèle sa correspondance). Il s’y serait caché pour composer sa propre Manon, notamment la célèbre scène entre l’héroïne et le Chevalier Des Grieux à Saint-Sulpice.
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Autre source d’inspiration : Notre-Dame de Paris. Mais contrairement au roman de Prévost, celui de Victor Hugo ne verra jamais le jour à l’opéra. Massenet en avait pourtant préparé des esquisses lors de son séjour à Rome, en vue d’une œuvre qu’il envisageait d'appeler Esméralda. Ce projet le travaille pendant une vingtaine d’années avant d’être finalement laissé de côté.
Sibyl Sanderson, sa cantatrice préférée
« La voix de Sibyl Sanderson était (…) d’une étendue exceptionnelle – couvrant trois octaves et donnant aisément le contre-sol – ainsi que d’une couleur et d’une souplesse sans égales. » Pierre Bessand-Massenet dans Massenet.
Sibyl Sanderson a 22 ans quand elle rencontre le Maître en 1886. Américaine, cette belle rousse deviendra son interprète favorite. Elle crée les rôles titres d’Esclarmonde (1889) et de Thaïs (1894) et surtout, c’est à elle que le personnage de Manon doit toute son aura. Conquise par l’héroïne de Massenet, il lui arrive fréquemment de signer ses lettres « Votre Manon. »
Malgré les rumeurs, aucun document ne permet d’affirmer qu’il y aurait eu une liaison entre le compositeur et sa cantatrice. L’admiration qu’ils se portent mutuellement était probablement d’ordre platonique. Sibyl Sanderson meurt à seulement 38 ans, en 1903.
Il donne des cours de bon matin
Massenet enseigne la composition de 1878 à 1896. De grands noms sortiront de sa classe comme les compositeurs Reynaldo Hahn, Ernest Chausson ou encore Gabriel Pierné, tous lauréats du Prix de Rome. Simple, attachant, de bonne humeur… Tous gardent une image positive de leur professeur. L’un de ses élèves, le compositeur et critique musical Fernand Le Borne, raconte que le Maître convoquait chez lui ses « favoris » le dimanche matin, à 7h précises, pour examiner leur travail et les conseiller.
Un autre élève, le compositeur et chef d’orchestre Alfred Bruneau, rapporte que Massenet dormait très peu. « Dès qu’il s’éveillait, avant l’aube, il quittait son lit pour se remettre à l’œuvre en cours, et je le trouvais devant son bureau. » Un bureau un peu particulier car en guise de tiroir, l’auteur de Werther s’est aménagé un clavier de piano !
Massenet ne se contente pas d’un enseignement musical. Ses poulains doivent aussi s’intéresser aux autres formes d’art, enrichir leur culture. « Voyager, lire, voir des œuvres d’art, tout cela aussi, c’est de la musique ! »
Attristé par la mort de son mentor Ambroise Thomas en 1896, il donne sa démission et refuse même de le remplacer à la tête du Conservatoire. C’est finalement Gabriel Fauré qui reprend en main sa classe de composition.
Massenet et Saint-Saëns : amis ou rivaux ?
Ils ont sept ans d’écart, Saint-Saëns est l’aîné. Pourtant, c’est bien Massenet qui est élu le premier à l’Institut de France, à l’Académie des Beaux-Arts en 1878. Il obtient 18 voix contre 13 pour Saint-Saëns, pourtant donné en tête. Ce dernier ne fera son entrée à l’Académie que trois ans plus tard.
Selon certains, cette blessure d’orgueil aurait assombri leurs relations… Une affirmation sans doute à prendre avec des pincettes car les deux hommes n’hésitent pas à se féliciter quand ils le méritent. Par exemple, en avril 1894, Saint-Saëns enthousiasmé par Thaïs, signe sa lettre ainsi : « Merci pour ces jouissances d’art que tu m’as données. » Ou encore, à propos du Cid : « Je ne trouve qu’un mot : c’est éblouissant. »
De son côté, Massenet propose parfois à ses élèves d’étudier des œuvres de Saint-Saëns, notamment son opéra Samson et Dalila.
Une fin de vie assombrie
Une personnalité vive et mélancolique, oui. Mais à la fin de la vie du compositeur, la deuxième tendance prend le pas sur la première. En 1899, il s’installe à Egreville, en Seine-et-Marne et y passe la plupart de ses étés. Massenet a perdu son enjouement, comme le remarque Reynaldo Hahn. Il apparaît vieilli, fatigué. Il aurait confié à son ancien élève : « Je me plais souvent dans les amertumes que je me suis créées. »
Les dernières années se caractérisent par une composition « à la chaîne ». Massenet s’acharne au travail et multiplie les opéras, à raison d’un par an. Chérubin (1905), Ariane (1906), Thérèse (1907), Bacchus (1909), Don Quichotte (1910)… Comme le rapporte Pierre Bessand-Massenet, on lui reproche de « s’être mis à fabriquer du Massenet », il en fait « trop ». D’autant plus qu’aujourd’hui, la plupart de ces œuvres ont quasiment disparu des répertoires…
Jules Massenet s’éteint le 13 août 1912, à la suite d’un cancer des voies digestives. Face à sa tombe, on aurait planté un cyprès, en souvenir de sa chère Italie.