Chanteuse, danseuse, comédienne, Justine Favart fut une artiste aux talents multiples, mais elle est également reconnue pour sa réforme pionnière des costumes des arts lyriques.
Le théâtre national de l'Opéra-Comique à Paris, souvent surnommé la salle « Favart », doit son nom à Charles-Simon Favart, directeur de l’établissement de 1757 à 1762. Surnommé « le Molière de l’opéra » par Voltaire, le dramaturge et compositeur est une figure majeure dans l’histoire de l’art lyrique français du XVIIIe siècle.
Pourtant, dans la famille Favart, on trouve aussi sa femme, Justine Favart, essentielle dans le rayonnement de l’art lyrique et l’évolution des costumes de scène. Artiste célèbre et pionnière de l’interprétation, Justine Favart inspire d'ailleurs à Jacques Offenbach l'héroïne de l'opérette Madame Favart (1878).
L’arrivée sur scène de Mlle de Chantilly
Née à Avignon le 14 juin 1727, Marie-Justine-Benoîte Cabaret du Ronceray arrive à Paris en 1744, accompagnée de sa mère. Elle se présente en tant que danseuse sous le nom de Mlle Chantilly, première danseuse de la Chapelle de Stanislas, roi de Pologne et Duc de Lorraine. Ses débuts en tant que Laurence dans Les Fêtes publiques, donnée à la Foire Saint-Germain, séduisent immédiatement son public parisien, dont Charles-Simon Favart, compositeur de l’œuvre et régisseur général à l’Opéra-Comique.
Ce dernier fait débuter la jeune Justine à l'Opéra-Comique, et ne tarde pas à épouser sa vedette le 12 décembre 1745. L’année suivante, le célèbre couple est engagé par le maréchal Maurice de Saxe pour diriger sa troupe de comédiens dont il se fait suivre afin de soutenir le moral de ses troupes. Le maréchal n'est pas insensible aux charmes de Justine Favart, et fera vite connaitre ses sentiments auprès de la jeune danseuse.
Par flatterie ou par contrainte, la danseuse cède aux avances du maréchal, mais cherche rapidement à fuir ses assiduités. Ce refus d’amour provoque la colère du maréchal, qui fera de la vie des Favart un véritable enfer. Charles-Simon se voit contraint de fuir et de se retirer de sa vie publique. Justine, quant à elle, sera séquestrée jusqu’aux quatre coins de la France. Elle est suivie et arrêtée par des agents du maréchal à Lunéville. De là elle est conduite aux Grands-Andelys, enfermée dans un couvent d'Ursulines. Elle est ensuite transférée dans un autre couvent à Angers, puis à Tours et à Issoudun. Cette persécution durera près de quatre ans, jusqu’à la mort du maréchal en novembre 1750.
De retour à Paris et réunit avec son mari, Justine Favart abandonne la danse pour devenir chanteuse comédienne à la Comédie-Italienne. Elle compose également de nombreuses œuvres pour son époux : elle signera au total 42 créations au courant de 27 ans d’une carrière triomphale.
Changement de costume
L’importance des contributions de Justine Favart ne se limite pas à ses talents lyriques. Sa présence scénique est d’autant plus marquante du fait qu’elle est la première à adapter son costume selon le personnage qu'elle interprète. Auparavant, les comédiennes n'hésitaient pas à se présenter en grandes robes à paniers ou en robes damassées, peu importe l'image de leur personnage, portant même des diamants et des gants blancs : l’artiste ne s’effaçait pas face à son personnage.
En 1753, Justine Favart écrit avec Harny de Guerville Les Amours de Bastien et Bastienne, parodie en vaudeville du Devin du village de Jean-Jacques Rousseau. Elle retranscrit la pastorale de ce dernier dans un contexte plus rustique, n’hésitant pas à faire patoiser ses comédiens.
Cependant, l’élément le plus marquant de l’œuvre ne se trouve pas dans la musique de Justine Favart mais dans son jeu scénique. En tant que Bastienne, jeune bergère, la comédienne se présente sur scène avec un simple jupon, coiffée en villageoise, avec des sabots aux pieds et les bras nus.
Le choc du public est absolu, mais l’impact d’une telle transformation ne manque pas d’impressionner les critiques : « Voilà des sabots qui vaudront de bons souliers aux comédiens », écrit alors l’homme de lettres Claude-Henri de Fusée de Voisenon, dit l’abbé de Voisenon.
La révolution est lancée et une nouvelle conception de l’illusion théâtrale est née. Afin d’investir pleinement ses personnages, Justine Favart n’hésite pas à faire venir des robes et des tenues de Chine et de Perse afin de s'habiller exactement selon les traditions du pays. L’illusion théâtrale devait être plus que crédible : elle devait être absolue.
« Ce fut elle qui la première observa le costume : elle osa sacrifier les agréments de la figure à la vérité des caractères », remarquera Charles-Simon Favart. Plus qu’une chanteuse, Justine Favart était une véritable comédienne, première à intérioriser les « coutumes » de son personnage, se rapprochant ainsi de la vraie signification du mot « costume ».
Ces efforts scéniques sans précédent ne tardent pas à influencer les autres salles lyriques de la capitale, dont l’Opéra de Paris mais aussi le théâtre du château de Fontainebleau et même la Comédie-Française. La célèbre actrice française Mlle Clairon (de son vrai nom Claire Josèphe Hippolyte Léris Clairon de Latude), s’inspirera des innovations de Justine Favart pour imposer à la Comédie-Française de nouvelles coutumes costumières.
Justine dans l’ombre de Monsieur Favart ?
On associe aujourd’hui l’origine du nom de la « Salle Favart » principalement à Charles-Simon Favart. Mais qu’en est-il de sa femme, dont les contributions furent tout aussi majeures ? Justine Favart rejoint-elle ainsi les innombrables compositrices et musiciennes effacées de l’histoire par le succès de leurs maris et de leurs contemporains masculins ? Bien au contraire, Charles-Simon Favart sera le premier à louer et promouvoir les talents de sa femme, ainsi sa contribution majeure à l’art lyrique.
De 1763 à 1772, il publie ses nombreuses comédies, parodies et opéras comiques en une série de dix tomes. Elle-même autrice du cinquième volume, Justine Favart est ainsi ajoutée au nom de la série de publications, intitulée Théâtre de M. Favart et Mme Favart. Il sera également l’auteur de la première biographie de Justine Favart, écrite peu après sa mort le 21 avril 1772.
Loin de tirer sa révérence dans l’indifférence, Justine Favart s’éteint en pleine gloire, ses talents largement applaudis. La nécrologie de Justine Favart publiée dans Spectacles de Paris en 1773 atteste à ses nombreux talents : « Madame Favart a eu effectivement part aux pièces où l’on a mis son nom, tant pour les sujets qu’elle indiquait, les canevas qu’elle préparait et le choix des airs que par les pensées qu’elle fournissait, les couplets qu’elle composait, et différents vaudevilles dont elle faisait la musique ; son mérite en ce genre était peu connu, parce que sa modestie l’empêchait d’en tirer avantage. »
Depuis, le nom de Justine Favart semble nous avoir échappé. 250 ans après sa mort, il est temps de remettre au premier plan les talents et contributions d’une grande dame des arts lyriques.
« Il ne suffit pas, pour lui rendre justice, de dire de Mlle Favart qu'elle fut une comédienne intelligente et douée d'une façon exceptionnelle, une artiste hors ligne et hors de pair, qui triomphait dans tous les genres où il lui plaisait de se montrer ; il faut dire aussi qu'elle rendit des services signalés en tout ce qui se rapporte à l'action scénique telle qu'on la comprenait alors, que ces services étaient tels qu'ils lui valurent une influence incontestable sur tout ce qui l'entourait, et qu'enfin cette influence s'exerça toujours au plus grand profit de l'art et des artistes eux-mêmes. C'est pour toutes ces raisons que le nom de Mlle Favart, si cher à tous ses contemporains, est parvenu glorieusement jusqu'à nous, et qu'il reste à nos yeux comme entouré d'une brillante auréole », conclut la biographie Madame Favart d’Arthur Pougin (1912).