L’Enlèvement au sérail de Mozart revisité par l'écrivaine turque Asli Erdogan

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L’Enlèvement au sérail de Mozart revisité par l'écrivaine turque Asli Erdogan

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L'Enlèvement au sérail de Mozart revisité au Grand Théâtre de Genève
L'Enlèvement au sérail de Mozart revisité au Grand Théâtre de Genève
- Carole Parodi

Le Grand Théâtre de Genève revisite L’Enlèvement au sérail de Mozart. Pour repenser l’oeuvre, l’institution a fait appel à l’écrivaine et militante turque Asli Erdogan.

Comment revisiter un chef-d’oeuvre pour qu’il s’inscrive dans notre époque ? C’est la question que s’est posé le directeur du Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn, en proposant cette saison un opéra de Mozart vu et revu : L’Enlèvement au sérail. L’institution a donc souhaité faire appel à une personne extérieure au monde lyrique et c’est à l’écrivaine et militante turque Asli Erdogan qui a collaboré pour cette nouvelle production en apportant son regard, et surtout ses textes. 

L'écrivaine turque vit en exil en Allemagne et a connu la prison dans son pays après avoir ouvertement soutenu les Kurdes et dénoncé le pouvoir en place. Une histoire qui n’est pas sans rappeler le livret de l’opéra de Mozart qui raconte l’emprisonnement d’une jeune fiancée, Constance, et de sa servante, par un pacha turc insistant pour obtenir les faveurs de la jeune femme. 

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Des textes parlés très faibles, stupides, ridicules, complètement datés.

Un récit actuel pour le directeur du Grand Théâtre de Genève, mais qu’il fallait absolument revisiter : « Cette oeuvre contient des sujets d’actualité, avance Aviel Cahn, la tolérance, le racisme, les préjugés contre les gens d'autres origines culturelles, la menace contre les femmes, de les enfermer, les forcer à l'amour, la torture… Mais tout ça est mis dans une comédie avec un livret, et surtout des textes parlés très faibles, stupides, ridicules, complètement datés. »

Des dialogues complètement réécrits

En collaboration avec Asli Erdogan, le metteur en scène belge Luk Perceval a donc choisi de supprimer tous les dialogues de l’opéra pour ne garder que les airs chantés : « On s’est posé la question avec Asli Erdogan : quelle est l’essence de cet opéra ? Et au final ce que Mozart exprime c’est un désir humain, à la fois beau et destructeur. Un désir qui n’a pas de limites et qui montre que nous sommes des créatures qui n’avons jamais assez. Le compositeur montre une mélancolie, qui est à la fois merveilleuse et meurtrière. » 

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De cette mélancolie, le duo inédit entre l’écrivaine et le metteur en scène en a fait un opéra qui revisite complètement le livret de cette oeuvre pour en faire ressortir une idée fixe : celle de l’emprisonnement des individus, au sens figuré. « Quand on regarde les gens dans la rue, sur leurs téléphones, en train d’écouter de la musique, explique Luk Perceval… Tous ces gens sont mélancoliques, mélancoliques d’une vie plus libre. Ces personnes sont emprisonnées dans des pensées souvent très négatives, et dans cet emprisonnement, cet isolement, il ressort une solidarité dans les émotions, un désir d’être unifié par cette mélancolie. » 

Une mélancolie universelle

Le metteur en scène reste convaincu que c’est par la musique que l’on peut rassembler les êtres humains autour de cette mélancolie universelle. A travers L’Enlèvement au sérail, ce n’est donc pas l’expérience d’un emprisonnement politique comme l’a vécu Asli Erdogan qui est raconté, mais bien un isolement psychologique :  « Dès le début, on a décidé qu’il ne fallait pas que la captivité dans cet opéra se limite à une expérience de prison politique. Ce qui est dit dans le texte est beaucoup plus grand, plus large, plus profond, témoigne l’écrivaine turque. L’oeuvre ne parle pas seulement d’un emprisonnement de femmes, non, c’est plus que cela : tout le monde est captif, de son propre genre, de ses propres règles, de son pouvoir ou de l’absence de pouvoir. »

Les textes choisis pour remplacer les dialogues, à l’origine écrits par Johann Gottlieb Stephanie, sont signés Asli Erdogan. Beaucoup proviennent de son livre Le Mandarin miraculeux, sorti en 1996. Sur la scène du Grand Théâtre de Genève, ils sont lus par deux comédiens et deux comédiennes qui doublent chacun des quatre personnages principaux de l’intrigue. Un double présenté comme un alter ego, plus âgé, parfois plus sage, parfois plus diabolique que jamais.