L'Espagne, Monaco... ces terres d'accueil pour artistes en manque de public
Par Louis-Valentin LopezMalgré la crise du Covid, certains États comme l'Espagne ou Monaco autorisent des représentations, dans le respect d'un protocole sanitaire. Au grand bonheur de certains artistes, qui retrouvent la ferveur d'un public avide de musique et de culture.
Tous les artistes s'accordent à le dire : aller jouer à l'étranger, en ce moment, requiert d'abord une organisation drastique. Ce n'est pas l'organiste Thomas Ospital qui dira le contraire. Le jeune homme a donné un récital à Madrid la semaine dernière, non sans peine :"On nous demande d’avoir un test normalement valable 48 heures avant", explique-t-il. "J'ai dû le faire en France, puis sur place en Espagne j’ai dû trouver un laboratoire pour un test le jour du concert, pour pouvoir retourner en France le lendemain."
Et ce n'est pas tout : "Pour aller jouer en Espagne, vous devez obtenir un formulaire A1 (formulaire qui permet de travailler temporairement à l'étranger, ndlr). Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé d’essayer d’obtenir de la sécurité sociale française un document administratif dans un délai record de trois semaines, surtout dans une époque où on traverse une crise sanitaire…", lâche, avec un brin d'ironie, l'organiste.
"Il y avait une émotion incroyable de retrouver la musique"
Mais une fois sur place, oubliés, ces petits désagréments. Jean-Christophe Spinosi, chef d'orchestre, est en ce moment à Monaco où il dirige un opéra de Rossini, Le comte Ory. Une véritable renaissance après de longs mois sans représentations. "Le dernier concert qu’on a pu faire, c’était officiellement à la Seine Musicale, à la mi-octobre. Là, c’était inespéré, je n’y croyais pas", témoigne l'artiste, qui a vécu une série d'annulations de concerts l'an dernier, à Berlin, Vienne ou encore en Norvège. "Quand on est venus à la première répétition lundi, à Monte-Carlo, il y avait une émotion incroyable de retrouver la musique. Ce n’est pas mon orchestre mais il y a des gens que je connais, des gens de mon orchestre qui jouent dans cet opéra."
Ça a été incroyable, alors que ça n’était qu’une répétition. La reprise était super émotionnelle" - Jean-Christophe Spinosi, chef d'orchestre
Un public attentif comme jamais
L'émotion de retrouver la musique, l'émotion de retrouver, aussi, un public, même si masqué et clairsemé, protocoles sanitaires obligent. "C'était vraiment un très beau moment, parce que la salle était petite, il y avait moins de public", se rappelle Sandrine Piau, qui a chanté à Bilbao en décembre : "Les gens étaient là avec un silence religieux, et je crois qu'on était tous très émus d'avoir des personnes en chair et en os."
C'était étrange parce que l'on jouait du Haendel, un programme plutôt extraverti, virtuose. Mais en même temps on ressentait ce besoin de culture et de spiritualité, pas religieuse, mais de communion avec les autres. Ça nous manque tellement !" - Sandrine Piau
Thomas Ospital se souvient lui d'une représentation particulièrement marquante, en Russie : "Pendant ces concerts-là, je sens profondément que le public est d’autant plus attentif. Lors du concert au Mariinsky, le silence du public était extrêmement puissant. On sentait une concentration d’écoute énorme. Je n’ai jamais fait autant de bis, le concert a duré plus de deux heures, et un récital d’orgue qui dure plus de deux heures, c’est quand même énorme !"
Ils en redemandaient : on sentait que les gens avaient soif de culture" - Thomas Ospital, organiste
Des inégalités entre les artistes
Même ressenti pour Sabine Devieilhe, qui s'est produite en novembre à Madrid avec Alexandre Tharaud au théâtre de la Zarzuela. "On se rend encore plus compte à quel point on a besoin de notre public. Que finalement on est rien sans les gens dans la salle, sans l'émulation et le besoin des gens d'avoir un spectacle vivant." Mais la soprano colorature est consciente de la chance qu'elle a de pouvoir se produire à l'étranger : "Les musiciens identifiés sont appelés au pied levé pour monter sur scène, en France pour des streamings ou à l'étranger pour des concerts devant du public", note-t-elle, et finalement, les personnes en début ou en fin de carrière, au second ou troisième plan, se retrouvent un peu comme les dernières roues du carrosse..."
Pour Sabine Devieilhe, il faut donc "coûte que coûte" poser une date pour rouvrir les salles. Pas à Monaco, en Russie ni en Espagne, mais en France, cette fois.