L’histoire de Robert McFerrin, père de Bobby et premier chanteur afro-américain au Met

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L’histoire de Robert McFerrin, père de Bobby et premier chanteur afro-américain au Met

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Robert McFerrin, premier chanteur lyrique afro-américain à se produire au Metropolitan Opera.
Robert McFerrin, premier chanteur lyrique afro-américain à se produire au Metropolitan Opera.
- Carl van Vechten

On connait tous le chanteur Bobby McFerrin et son tube planétaire Don’t Worry, Be Happy. Mais il existe un autre McFerrin dont la carrière marquera l’histoire de l’opéra : voici l’histoire de Robert McFerrin, père !

En 1988, le chanteur et vocaliste américain Bobby McFerrin devient une star internationale avec sa chanson Don’t Worry, Be Happy, ode musicale au bonheur et à la paix aux airs décontractés et cool. Certes le plus connu des McFerrin, Bobby n’est pas le seul à se faire remarquer pour ses talents lyriques.

En effet il existe deux Robert McFerrin : le fils mais aussi le père. Alors que « Bobby » McFerrin est connu pour ses chansons de jazz-folk et ses percussions vocales, Robert McFerrin père (1921-2006) est applaudi à l’opéra pour sa voix de baryton lyrique et envoûtante.

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Mais au-delà de ses talents lyriques, la présence scénique de Robert McFerrin sera d’autant plus marquante pour la simple raison de la couleur de sa peau : il est le premier chanteur lyrique afro-américain à se produire au Metropolitan Opera de New York ainsi qu'au Teatro San Carlo de Naples.

Né le 19 mars 1921, Robert McFerrin se fait remarquer dès son plus jeune âge pour ses capacités vocales. Après ses études au Chicago Musical College, interrompues par trois ans de service militaire, il s'installe à New York et se consacre à une carrière en tant que chanteur lyrique. Sa prestation à Broadway dans Lost in the Stars de Kurt Weill et Maxwell Anderson lui attire l'attention de plusieurs compagnies d'opéra dont le National Negro Opera et l'Opéra de New York.

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En 1953, il remporte le concours « Auditions of the Air », parrainé par le Metropolitan Opera de New York, qui propose une formation professionnelle avec la possibilité de décrocher un contrat au sein du temple de l’opéra aux Etats-Unis. Robert McFerrin hésite à postuler, sceptique quant à ses perspectives professionnelles en tant que chanteur noir.

Son intuition est juste : il remporte le concours et profite de la formation mais ne recevra aucune proposition de contrat. Est-il encore trop tôt pour faire monter un chanteur noir sur la plus grande scène lyrique du pays ? Le nouveau directeur général du Metropolitan Opera, Rudolf Bing, largement responsable du changement d'attitude du Met envers les artistes afro-américains, tient alors à assurer le contraire :

« Si nous ne pensions pas qu'il y avait une chance que M. McFerrin se produise avec la compagnie du Met, nous ne l'aurions pas choisi. Si nous ne pensions pas sincèrement que la couleur de sa peau n’avait aucun impact, nous ne serions pas aussi cruels au point d’inviter un chanteur afro-américain à participer. »

Ainsi, en janvier 1955, Robert McFerrin fait officiellement ses débuts au Met en tant qu’Amonasro, grand roi d'Éthiopie dans Aïda de Verdi. Il est également invité à se produire dans des salles d’opéra européennes, notamment au Teatro San Carlo de Naples en 1956, devenant le premier artiste lyrique noir à se produire dans la célèbre salle italienne.

Robert McFerrin dans le rôle d'Amonasro avec Rudolf Bing, directeur général du Met, en janvier 1955.
Robert McFerrin dans le rôle d'Amonasro avec Rudolf Bing, directeur général du Met, en janvier 1955.
- E. Azalia Hackley Collection, Detroit Public Library / Sedge LeBlang

Les débuts de Robert McFerrin arrivent en plein mouvement des droits civiques aux États-Unis, dans la foulée de la décision de la Cour suprême selon laquelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques et dans l'armée était inconstitutionnelle.

Mais au cours de trois saisons au Met, Robert McFerrin ne participera à seulement dix représentations, à travers trois rôles différents : Amonasro, Rigoletto et Valentin dans Faust. Bien qu’il ait été à la tête d’une avancée majeure pour les chanteurs lyriques afro-américains, ce manque d’activité sera une déception majeure pour McFerrin, qui verra peu d’espoir d’évoluer au sein de la prestigieuse salle d’opéra :

« Je me suis rendu compte que les opportunités au Met étaient dans l’impasse. J'y étais depuis trois ans et je n'avais joué que trois rôles, ce qui faisait en moyenne un rôle par an. Je ne voulais pas continuer dans l'incertitude de mon avenir […]. Je voulais chanter Wotan ou Comte de Luna, ou un rôle principal romantique. Mais je suppose que cela aurait été trop controversé ; par conséquent, j'ai choisi tout simplement de quitter ma position au sein du Met et de tenter ma chance à Hollywood » avoue-t-il lors d’une interview en 1988.

En 1959, il prête sa voix au comédien Sidney Poitier pour l'adaptation cinématographique de l'opéra Porgy and Bess par Otto Preminger, mais la carrière hollywoodienne de Robert McFerrin n'ira pas plus loin. McFerrin se tourne alors vers la pédagogie et décide de fonder une école vocale à Los Angeles. Il sera également invité à enseigner à la Sibelius Academy de Helsinki, au Sacramento State College et au Fullerton College en Californie, au St. Louis Institute of Music, et à la Roosevelt University de Chicago.

Au courant des années 1970 et 1980, Robert McFerrin ne montera plus sur scène qu’aux côtés de ses enfants musiciens et notamment son fils Bobby. Avec peu d’enregistrements à son nom et une courte carrière sur scène sans rôles majeurs, sa mort le 24 novembre 2006 passe largement inaperçu, le baryton étant tombé dans l’oubli général. Son décès suscite néanmoins de vives émotions de la part de quelques rares figures du monde de la musique, conscientes de l’importance du baryton dans l’histoire de l’opéra et de la sous-représentation des artistes de minorité dans la musique classique, sujet encore d’actualité au moment de sa mort.

Si Robert McFerrin ne marquera pas l’histoire de la musique par la richesse ou la diversité de sa carrière à l’opéra, son arrivée dans un monde lyrique jusqu’alors restreint annonce un changement majeur et définitif dans l’histoire de ce genre.