L’histoire turbulente de l’hymne national ukrainien
Par Léopold Tobisch
Composé dans les années 1860 mais adopté comme hymne national ukrainien seulement en 1992, le chant « Chtche ne vmerla Ukraïny » porte en lui toute l'histoire de son pays.
L’hymne national ukrainien, Chtche ne vmerla Ukraïny est chant patriotique qui célèbre la force et l’héritage de l'Ukraine et honore la mémoire de ses héros nationaux. Mais l’hymne ukrainien est également l’histoire d’un effort transfrontalier, d’un pays divisé entre deux empires réunis par deux hommes.
En 1862, le journaliste, ethnographe et poète ukrainien Pavlo Tchoubynsky signe le poème Chtche ne vmerla Ukraina [« L'Ukraine n'est pas encore morte »]. L’Ukraine est alors partagée entre deux empires, russe et autrichien. Installé dans l’Ukraine de l’Est, alors sous contrôle de l’Empire Russe, Tchoubynsky sera persécuté et envoyé en exil par les nationalistes russes pour son poème pro-ukrainien et pour avoir « influencé négativement l'esprit des paysans ».
Le poème est publié l’année suivante dans le journal Meta, à Lviv dans l’Ukraine de l’Ouest, du côté de l’empire austro-hongrois. C’est alors que les paroles tombent dans les mains du prêtre et compositeur Mykhailo Verbytsky. Auteur prolifique d’œuvres vocales sacrées et séculaires, ainsi que d’une centaine d’œuvres instrumentales dont 9 symphonies, et 12 œuvres scéniques, Verbytsky décide de mettre en musique le poème émouvant et inspirant de Tchoubynsk.
Ironie du sort, le compositeur est né dans le village de Jawornik Ruksi, alors sous le contrôle du Royaume de Galicie (Ukraine de l’ouest) et de Lodomérie, terre de la Couronne de l'empire autrichien. Ainsi, l'auteur de l'hymne national ukrainien est né et mort sous la domination des Habsbourg, au sein des empires autrichien et austro-hongrois.
La nouvelle chanson sera créée au Théâtre d’Ukraine à Lviv en 1864 et publiée l’année suivante. Mais Chtche ne vmerla Ukraïny n’est toujours pour l’instant qu’un chant folklorique patriotique interprété et enregistré à plusieurs reprises par des chanteurs ukrainiens à l’international.
Ce n’est qu’en 1917, à la fondation de la République populaire ukrainienne, que Chtche ne vmerla Ukraïny ne devient l’hymne nationale du nouveau pays. Mais son adoption officielle n’est jamais ratifiée par le gouvernement et l’hymne sera supprimé par les Soviétiques en 1920. Il faudra attendre 1992, un an après la libéralisation de l’Ukraine du régime soviétique, pour que la chanson patriotique soit finalement reconnue comme l’hymne du peuple ukrainien.
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Cependant, le nouveau parlement ukrainien est mécontent du ton pessimiste des paroles et décide de parrainer plusieurs concours afin de changer les paroles de l’hymne ou même l’hymne entièrement. Un consensus ne sera jamais trouvé, et l'hymne passera douze ans dans les limbes jusqu'à ce qu'un accord soit finalement signé par le président en 2003.
Finalement, seul un changement sera proposé aux paroles de l’hymne : alors que le poème de Tchoubynsky commence par la phrase « L'Ukraine n'est pas encore morte, ni sa gloire ni sa liberté », le nouvel hymne annonce « Ni la gloire ni la liberté de l'Ukraine ne sont mortes ».
Ecrit par un ethnographe de l’Ukraine de l’Est et composé par un prêtre de l’Ouest, l’hymne Chtche ne vmerla Ukraïny porte en lui toute l’histoire de son pays, étendard musical dont les paroles résonnent de manière poignante aujourd'hui :
Ni la gloire ni la liberté de l'Ukraine ne sont mortes
La chance nous sourira encore, jeunes frères,
Nos ennemis périront, comme la rosée au soleil,
Et nous aussi, frères, allons gouverner, dans notre pays.
Pour notre liberté, nous donnerons nos âmes et nos corps,
Et prouverons, frères, que nous sommes la nation des Cosaques.