L'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine : "Il est impensable de jouer dans un monde devenu fou"

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L'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine : "Il est impensable de jouer dans un monde devenu fou"

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L'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine dirigé par Oksana Lyniv
L'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine dirigé par Oksana Lyniv
- YsOU

Fondé en 2016 par la cheffe Oksana Lyniv, l'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine est momentanément réduit au silence. De leurs abris dans des villes bombardés, les jeunes ont pris la parole pour témoigner, et faire face.

"Nous avons entendu des détonations. L'artillerie russe a attaqué les cibles militaires, tout est parti en flammes. Les sirènes ont retenti dans nos villes. Dès le matin de l'attaque, mes amis musiciens se sont précipités à l'Académie de musique pour sauver leurs instruments. La semaine prochaine je devais jouer dans une masteclass. J'avais des concerts programmés. Maintenant, cela n'aura pas lieu. Je pense tout d'abord à ma propre sécurité et à la sécurité de mes proches. Je voudrais penser à la musique, donner mon art aux gens. A la place, je pense à mon armée et comment aider ma patrie."

Sur les vidéos, leurs visages sont graves, trop graves pour leur jeune âge. Viktoria, Uliana, Andrii et d'autres jeunes sont musiciens, élèves ou étudiants. Il y a encore quelques semaines, ils préparaient leur prochaine session de tutti dans  l'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine (YsOU).

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La formation s'est réunie pour la première fois en 2016, à l'initiative de la cheffe d'orchestre ukrainienne Oksana Lyniv et avec le concours de différentes institutions musicales allemandes. Destiné aux jeunes musiciens de 12 à 22 ans, l'YsOU leur offrait la possibilité de travailler dans des conditions professionnelles un répertoire orchestral varié. Depuis leur fondation, ils ont joué en Allemagne, en Autriche, en Croatie, et pour l'été 2022, ils préparaient leur première grande tournée dans les principales villes ukrainiennes.

Mais le sort en a décidé autrement. Depuis le 24 février, les abris ont remplacé les salles de répétition. Et les musiciens ont décidé de prendre la parole. "Dès le premier jour, nous avons adressé un appel à l'aide et une campagne d'information à tous les principaux médias. Il est très important que le monde comprenne qu'il ne s'agit pas d'un conflit local, d'un différent de deux pays frontaliers. Il s'agit d'une vraie guerre en plein coeur de l'Europe," explique Alexandra Zaitseva, directrice de l'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine.

Un quotidien radicalement différent de celui que ces jeunes connaissaient il y a seulement quelques semaines, dans lequel la musique n'a plus sa place. "Certains ne peuvent plus jouer. Cela leur semble impensable de prendre leur instrument dans un monde qui est devenu complètement fou."

Tous sont mobilisés à leur façon, raconte Alexandra Zaitseva, qui entretient un contact quotidien avec tous les membres de l'YsOU. Certains sont restés en Ukraine, d'autres étudient à l'étranger. Il y en a qui ont quitté le pays, à l'exception des garçons en âge de combattre. "Pour l'instant, personne n'a été recruté, mais si la situation empire, ils devront rejoindre l'armée. En tous cas, ils sont tous bénévoles auprès des populations, tous déterminés à se battre, non pas avec des armes, mais en aidant autant qu'ils peuvent," poursuit la directrice.

En Ukraine ou à l'étranger, tous les jeunes partagent la même inquiétude, la même peur de l'avenir. "Leur cœur est brisé. Certains ont perdu leur maison, ont été obligés de s'enfuir. Certains ont perdu leur proches. Les dégâts de cette guerre sur les jeunes sont déjà là, et les poursuivront toute leur vie. Comment pourront-ils oublier ou pardonner ? C'est déjà la tragédie de leur génération, en particulier pour les plus jeunes. A l'âge de 12, 14 ans, comment peut-on expliquer que le monde est si dramatiquement violent ?"

"Ce qui est important, c'est qu'ils ne se sentent pas isolés"

"Ce qui est important, c'est qu'ils ne se sentent pas isolés", souligne la directrice de l'YsOU. Le milieu musical a répondu à l'appel, et a manifesté "une solidarité au-delà de [leurs] espoirs," se réjouit-elle. De nombreux orchestres, notamment en Allemagne, ont ouvert leur maisons aux musiciens de l'YsOU et leurs familles, et l'Orchestre des jeunes de Slovénie a même proposé une procédure d'évacuation de l'orchestre entier, avec le concours du gouvernement et du ministère de la Culture Slovène, avec les possibilités de se réunir, de répéter et de donner des concerts une fois en sécurité.

"Evidemment, la principale préoccupation des jeunes pour l'instant est de rester en vie. Mais en attendant l'assouplissement des mesures concernant les réfugiés annoncé par l'Europe, certains pourraient envisager de rester étudier dans d'autres pays. Même si tout le monde espère pouvoir rentrer chez lui dès que possible. L'Ukraine est notre chez nous."

Il est ainsi nécessaire de garder l'espoir. Cet été, l'Orchestre symphonique des jeunes d'Ukraine a prévu des rencontres avec les orchestres des jeunes en Allemagne, et des dates de concerts à la fois en Allemagne et en Autriche. "Nous espérons pouvoir sortir tous les membres de l'orchestre de l'Ukraine pour qu'ils voient d'autres paysages que la destruction et la ruine. Et en fonction des possibilités de nous réunir en sécurité pour pouvoir répéter, nous allons jouer, on va jouer autant que l'on pourra pour que chaque pays européen nous connaisse et comprenne que nous sommes là et que ce sont nous, les jeunes, qui reconstruiront notre pays."