L’oreille absolue est-elle un super-pouvoir ?

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L’oreille absolue est-elle un super-pouvoir ?

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L'oreille absolue, une capacité rare qui fascine.
L'oreille absolue, une capacité rare qui fascine.
© Getty - Stephen Vico

Alerte email, grincement de porte, sonnette de vélo... pour la plupart d’entre nous ces petits bruits de la vie quotidienne se résument à ce qu’ils sont : des sons. Mais d’autres entendent instinctivement un Do, un Fa, un Sol dièse... Ils ont l’oreille absolue.

« Quand les gens comprennent que j’ai l’oreille absolue, c’est toujours la même chose : "Waouh tu as l’oreille absolue ! Alors là c’est quelle note ? Et là ?" Même dans le monde des musiciens, ils ont l’impression que c’est un super-pouvoir ». Anjali Denis, 14 ans, a la fameuse oreille absolue. Elle a commencé la musique très jeune, à cinq ans, avec le chant et la flûte, puis elle a intégré la Maîtrise de Radio France, un parcours éducatif qui propose une formation musicale poussée au quotidien. Depuis l'enfance, elle est donc immergée dans la musique. Un élément essentiel pour acquérir l’oreille absolue.

L’oreille absolue, c'est quoi ? (en vidéo) : 

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Contrairement aux idées reçues, l’oreille absolue n’est pas liée à l’oreille, mais au cerveau, et surtout à l’apprentissage musical. Elle permet à un musicien, comme Anjali, d’identifier instinctivement une hauteur de son, sans référence auditive, sans note de repère, et d’y associer le nom d’une note. Lorsqu’un absolutiste entend un son, il reconnaît tout de suite un do, un ré, un mi…

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Cette capacité est forcément liée à l’apprentissage de la musique et du solfège, puisque l’absolutiste reconnaît une note. Et l’élément clef pour le développement de cette oreille réside dans l’âge de cet apprentissage.

« L'oreille absolue se forme si l'enfant a fait de la musique avant une période critique de six-sept ans, explique le professeur en psychologie cognitive Emmanuel Bigand. A cette période-là se créent des associations automatiques entre le signal sonore et une dénomination verbale. » Les neurones de l’enfant qui traitent le son s’activent dans le même temps que les neurones qui qualifient ce son. Si la connectivité entre ces deux groupes de neurones est sollicitée de façon répétée, l’enfant peut développer l’oreille absolue.

L’oreille absolue vs l’oreille relative

Mais attention à ne pas confondre l'oreille absolue et l'oreille relative, qui permet aussi d’identifier des notes, en passant par un chemin plus intellectualisé. L’oreille relative permet en effet d’entendre la distance entre deux notes. Le musicien relativiste retrouve les notes à la volée, mais en relation avec la note qui précède, et il recalcule ensuite l’intervalle entre les deux notes.

Face à une dictée de notes, certains relativistes ont des résultats tout aussi probants que les absolutistes : alors comment être certain de posséder l’oreille absolue ? Une solution : étudier la rapidité des réponses du musicien. « Dans les études scientifiques, on considère que quelqu'un qui se trompe à un demi-ton près a l'oreille absolue, mais pour moi, la personne qui a l'oreille absolue, c'est quelqu'un qui ne se trompe pas et qui résout le problème en 500 millisecondes », durée nécessaire pour accéder au sens d'un mot de la langue française, souligne Emmanuel Bigand. On considère que seule 1 personne sur 10 000 a l'oreille absolue, dans notre culture. Mais d’après lui, sur un échantillon de musiciens qui pensent avoir l’oreille absolue, seule la moitié la possède réellement.

L’absolutiste n’est pas forcément un musicien parfait

Bien sûr, pour ces rares élus, l’oreille absolue représente un avantage majeur. El Hakim Ahamada, lui aussi chanteur à la Maîtrise de Radio France et absolutiste, assure qu’elle l’aide « à chanter plus juste ». En cours de solfège, lui comme Anjali sont de fervents amateurs de dictées de notes. Mais ce “super-pouvoir" ne garantit pas du tout les qualités musicales du musicien.

Comme le font remarquer les deux adolescents, le chant nécessite des qualités totalement éloignées de l’oreille musicale : le souffle, la voix… Quant à Emmanuel Bigand, il insiste sur le fait que l’oreille absolue n’est pas « l’oreille musicale », celle qui intéresse les musiciens. « L'oreille absolue vous donne le nom de la note, mais elle ne vous dit rien sur sa fonction. Alors que l’oreille musicale vous donne la relation qu'il y a entre les événements sonores : pourquoi cette note est là par rapport aux autres ? Qu'est-ce qu'elle apporte dans la structure ? ».

Le baroque, bête noire des absolutistes

L’oreille absolue ne garantit donc pas les capacités musicales de l’absolutiste, et elle peut aussi le désavantager. C'est le cas lorsqu'un absolutiste est confronté à une partition baroque. Un air baroque est interprété en La 415, plus bas que le le diapason usuel de La 440 des compositions actuelles. Un air baroque leur paraîtra donc sonner faux. « On tique un peu, ça nous dérange », témoigne Anjali. Habituée à entendre les notes, la jeune chanteuse explique être parfois déconcentrée lorsqu’elle discute avec une personne qui a la voix chantante : « On entend des notes, la tessiture de sa voix, alors qu’on n'aimerait pas forcément l’entendre… ».

Malgré ces petites difficultés, Anjali et El Hakim ne regrettent pas de posséder l'oreille absolue. Ils ne la considèrent nullement comme une gêne, non plus comme une qualité, plutôt comme un trait inerrant à leur personnalité. « Je ne me vois pas vivre sans, pas parce qu’elle me rend fière, mais parce qu’elle fait partie de moi », assure Anjali. El Hakim résume : « Elle me définit ».