La médiation musicale : une voie professionnelle qui a le vent en poupe auprès des étudiants musiciens

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La médiation musicale : une voie professionnelle qui a le vent en poupe auprès des étudiants musiciens

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L'association Musique et santé accompagne la formation des étudiants à la médiation musicale
L'association Musique et santé accompagne la formation des étudiants à la médiation musicale
© Getty - Godong

De plus en plus d'étudiants musiciens se forment aujourd'hui à la médiation musicale en parallèle avec leur cursus d'interprète. Une voie professionnelle qui prend tout son sens dans le contexte actuel de la crise sanitaire. Reportage à l'hôpital Armand Trousseau à Paris.

« Qu'en avez-vous pensé ? C'était intéressant, n'est-ce pas ? » Dans le service orthopédique de l'hôpital Armand Trousseau à Paris, c'est l'heure du bilan. Or ce ne sont ni les infirmières ni les médecins qui sont réunis devant une porte, mais des musiciens. Et le point rapide porte non pas sur une intervention médicale mais musicale, auprès des enfants hospitalisés. Philippe Bouteloup, musicien et fondateur de l'association Musique et Santé, accompagne Yann Pannecoucke et Cassie Martin, deux étudiants en guitare au CNSM de Paris, dans leur stage pratique en médiation en milieu hospitalier. 

« Si vous faites une musique dansante et l'enfant se met à bouger, alors qu'il est immobilisé, ce n'est pas bon. C'est là où le choix du répertoire est important. » Yann Pannecoucke a 19 ans et est en 3e année de licence de guitare. En plus du cursus d'interprétation, il a choisi de suivre celui du Diplôme d'état (DE), qui le formera à enseigner et à intervenir auprès des publics éloignés des salles de concert_. "Quand j'ai vu qu'il a commencé à s'agiter, j'ai tout de suite ralenti le tempo,"_ répond-il. Prévoir l'imprévisible, c'est le mot clé, conseille Philippe Bouteloup avant de pousser la porte pour une nouvelle intervention.

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Dans la chambre, un bébé, une petite fille qui a une blessure importante sur la cuisse. Elle est assez agitée. Les jeunes musiciens choisissent des mélodies douces qu'ils jouent en duo. Le bébé s'arrête, écoute, commence à se balancer en rythme. Lorsqu'ils ont fini de jouer, les musiciens engagent la conversation avec la maman. Elle est Sénégalaise. Elle a beaucoup aimé l'intervention des musiciens. Avant de partir, Philippe Bouteloup prend sa guitare et entonne une berceuse traditionnelle sénégalaise. Le lien est créé. Lorsque les musiciens quittent la chambre au bout d'une dizaine de minutes, le bébé est apaisé.

Donner à ces futurs musiciens professionnels un maximum de compétences au-delà de simplement devenir d'excellents musiciens, voici la mission de l'association Musique et santé, explique Philippe Bouteloup. « Le métier de musicien est protéiforme : on ne leur demande pas simplement d'être de bons musiciens, en orchestre ou en soliste, mais aussi d'être capable de parler de la musique et de leur métier, de jouer face à des publics qui n'ont pas forcément accès à la culture. Cette capacité d'accordage avec la personne en face, que ce soit avec un bébé et sa maman dans un hôpital ou que ce soit avec un adolescent au lycée ou dans une bibliothèque, la boite à outils est la même, mais je dois pouvoir m'adapter. 

Si je travaille à l'hôpital, Au clair de la lune sera toujours Au clair de la lune_. On ne va pas changer les notes. Par contre, l'intention, ma capacité d'accordage avec la situation va faire que la séquence ne sera pas du tout de la même couleur qu'il s'agisse du contexte de médiation ou d'enseignement. Donc, cette dimension de la médiation fait partie, aujourd'hui, du métier de musicien et les jeunes musiciens en ont conscience_ », explique le professionnel.

A l'heure de la fermeture des salles, partager la musique ailleurs

De plus en plus d'étudiants instrumentistes, chanteurs ou chefs d’orchestre intègrent le double cursus d’interprète et de formation diplômante au diplôme d'état (DE). Et même si la médiation musicale a été intégrée au cursus du DE bien avant la crise sanitaire, c'est dans ce contexte actuel qu'elle prend tout son sens : « Le métier d'enseignant en conservatoire a aussi pas mal évolué et continue à évoluer, explique Sabine Alexandre, responsable de professionnalisation et de médiation au CNSM de Paris. Aujourd'hui, un enseignant en conservatoire, c'est d'abord un musicien sur un territoire, une réinvention du métier des musiciens qui, effectivement, n'ont pas attendu qu'on leur en parle pour le faire. Mais peut-être qu'il y a un éclairage plus particulier qui est apporté dans cette période un peu particulière. Les salles de spectacles sont fermées, donc il faut partager la musique ailleurs. »

Réalisée en partenariat avec la Philharmonie de Paris et l'association Musique et Santé, experte depuis plusieurs décennies dans les interventions auprès des publics éloignés des salles de concert, la formation à la médiation musicale est ainsi constituée, à part des cours théoriques sur la méthodologie et des outils pour animer les ateliers, d'une partie pratique d'application sur le terrain : dans les salles de concert, pour l'instant suspendu à cause de la crise sanitaire, et en milieu scolaire, dans les médiathèques et dans le secteur du soin et du handicap. 

Cassie et Yann ont choisi les interventions en milieu hospitalier et auprès des personnes porteuses d'un handicap. Du haut de ses 18 ans, Cassie est déjà impressionnante de réactivité : « On a été très encadrés ici, c'est assez rassurant de savoir quel patient on va voir, quelle est sa pathologie, s'il a des séquelles visibles pour pouvoir mieux s'adapter. Bien sûr, après, on a des petites astuces. Par exemple, ne pas dire "Je vais vous jouer ça" sans laisser le choix aux patients. On dit plutôt "Je vous propose un petit moment de musique" et souvent, on a une réponse positive. Il faut être très vigilant et toujours à l'écoute du patient, de ses parents, ne pas rester juste sur son jeu et sur soi, mais être ouvert aux autres et faire très attention tout le temps. C'est assez éprouvant finalement, mais c'est de la bonne fatigue, » sourit-elle.

La musique n'est pas qu'une simple distraction

Les partenariats avec le milieu hospitalier ne s'improvisent plus. « On n'intervient pas auprès de l'enfant en proposant n'importe quoi sous prétexte qu'il est à l'hôpital et qu'il faut l'occuper, tranche Nathalie Colas, éducatrice spécialisée qui accompagne les interventions musicales au chevet des enfants hospitalisés. Il y a une façon de proposer la musique à l'enfant, aux parents, aux soignants. Ça leur fait du bien aussi. Et donc, on ne peut pas accueillir n'importe quoi parce qu'on veut de la musique ». Au-delà de la bonne intention, il faut avoir acquis « des compétences sur l'éthique, sur l'hygiène, sur le répertoire, sur la capacité d'adaptation, sur le partenariat avec les équipes, ce sont des notions que les étudiants doivent entendre et surtout pratiquer », renchérit Philippe Bouteloup.

Après trois heures de musique auprès des enfants, Yann, Cassie, Sabine Alexandre, Nathalie Colas et Philippe Bouteloup se posent pour débriefer la journée. Cassie raconte le bonheur d'un enfant qui a cru que le petit concert était le « super beau cadeau de Noël » de sa maman : « C'est toujours très réjouissant et ça donne encore plus envie d'intervenir plus souvent, pas uniquement dans le cadre de ce cours, mais tout au long de notre carrière, s'enthousiasme la jeune guitariste. C'est très important de continuer ce genre d'interventions, c'est important de ne pas juste faire des concerts et des CDs, mais aussi de s'ouvrir à d'autres choses. Et quand on voit quelqu'un qui dit que c'est un beau cadeau de Noël, c'est génial. C'est un ajout à notre métier. Quand on commence, on n'y pense pas vraiment. On pense surtout à la scène, au public, nombreux, dans une salle de concert. Mais c'est vrai que ce côté vraiment proche des gens, c'est assez génial, » conclut-elle.

A cause de la crise sanitaire, seuls les stages en milieu hospitalier ont pu avoir lieu cette année. Mais selon Sabine Alexandre, tous les étudiants ont montré un engagement exceptionnel auprès des publics éloignés des salles de concert. Une prise de conscience du fait que la médiation est une part grandissante de leur futur métier.