La musicothérapie : la connaissons-nous vraiment ?

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La musicothérapie : la connaissons-nous vraiment ?

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Musicothérapie dans l'unité des grands prématurés © Pascal Deloche/Godong/Corbis
Musicothérapie dans l'unité des grands prématurés © Pascal Deloche/Godong/Corbis

La musique soigne-t-elle vraiment et comment ? Y a-t-il des musiques qui ont plus d’effets bénéfiques sur certaines pathologies que d’autres ? A l'occasion de la Journée européenne de la musicothérapie, le neuropsychologue Hervé Platel donne quelques éléments de réponse.

Nous l'associons un peu rapidement à l'hypnose, à la sophrologie, ou à la simple relaxation. Mais au fait, savons-nous exactement ce qu'est la musicothérapie, comment elle est pratiquée et quels sont ses applications ? Le simple fait d’écouter la musique au casque dans le métro bondé en rentrant à la maison, par exemple, est-ce de la musicothérapie ?Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’Université de Caen, est l’un des premiers à avoir identifié les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique, et notamment sur les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Par rapport à la définition de la musicothérapie, il est catégorique :

« La simple exposition d’un sujet à l’écoute de la musique n’est pas de la musicothérapie. On parle de la musicothérapie lorsqu’il s’agit de l’application des soins dans un contexte thérapeutique, avec l’intervention d’une personne qualifiée - d’un musicothérapeute__. Trois paramètres sont importants : l’histoire du patient et les spécificités de sa pathologie, les caractéristiques de la musique choisie et la relation avec le thérapeute. »

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Utilisée à l’origine pour apaiser les souffrances psychiques, la musicothérapie était surtout un moyen de relaxation ou de renforcement de l’estime de soi. Avec l’évolution de la discipline, son champ d’application a été élargi : aujourd’hui elle est largement utilisée pour stimuler les fonctions intellectuelles ou cognitives.

« On rencontre aujourd’hui deux applications principales : une application active, lorsque l’intervenant travaille avec des sujets en groupe ou en individuel autour de la pratique instrumentale, et une application réceptive__, qui est basée sur la relaxation par la musique avec la médiation du thérapeute. La première technique favorise l’expression de soi, facilite la communication ou peut participer à la resocialisation de certains sujets. La technique réceptive est surtout utilisée dans le traitement de la douleur, de l’anxiété et de la dépression par le biais de la relaxation et la détente et par le détournement de l’attention. En relation avec le thérapeute, la musique peut être aussi utilisée comme déclencheur d’un échange verbal sur les émotions qu’elle provoque, elle sert à analyser et prendre conscience des pathologies développées dans une démarche psychanalitique . »

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Exemple d'une séance musicale composée selon les critères de la musicothérapie ( Source : Music Care )

La musique soigne-t-elle vraiment?

Depuis longtemps, les effets bénéfiques sur un champ très vaste de pathologies ont été démontrés de façon empirique. Mais depuis vingt ans, l’évolution des techniques de neuro-imagerie permettent d’identifier précisément les effets et les modifications que la musique peut provoquer dans notre cerveau :

«La musique capte facilement notre attention : dès qu’il y a de la musique dans l’environnement, le cerveau se synchronise très naturellement . Les voies d’entrée de la musique dans le cerveau sont beaucoup plus complexes que celles de la parole, par exemple, et sollicitent différentes régions cérébrales :la musique stimule, relaxe, calme la douleur, mais a aussi la capacité d’augmenter la plasticité du cerveau et de provoquer les modifications au niveau des connections synaptiques. Chez les personnes autistes, qui ont une hypersensibilité à la musique, outre sa fonction de médium de communication, elle a un impact considérable sur les capacités d’attention et de concentration et par conséquent, diminue les troubles de comportement. Dans les cas des patients en rééducation neurologique suite à un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral, la musique peut accélérer la récupération de certaines fonctions intellectuelles endommagées : la simple écoute régulière de la musique augmente les capacités attentionnelles et améliore les fonctions défaillantes de la mémoire. »

Une méthode-miracle ? Hervé Platel tient à modérer ses propos :

«Dans le cadre des maladies neuro-dégénératives - du type Alzheimer * - la musicothérapie va en effet retarder les effets de la maladie, mais elle n’a pas d’impact sur la guérison en elle-même, la progression de la maladie est inévitable. Par contre, seule la musicothérapie réussit à activer *les capacités résiduelles de la mémoire : alors que l'on a l'impression d'avoir les patients qui n'ont plus aucune mémoire, ils arrivent à retenir les mélodies nouvelles et sont capables de les reproduire, alors qu’ils n'en mémorisent pas les paroles.»

Le schéma de l'impact de la musique sur le cerveau
Le schéma de l'impact de la musique sur le cerveau

Quelles musiques pour quel traitement ?

Même si chaque contexte clinique est différent, le protocole appliqué par le musicothérapeute est très précis quant aux choix des musiques utilisées :

« Rien n’est laissé au hasard. Le patient peut choisir le style de musique qu'il préfère, et l'on l'expose ensuite à une matrice soigneusement élaborée : un enchainement des musiques qui ne lui sont pas familières, dans une logique dite en "U" : stimulant-relaxant-stimulant. On commence par un rythme proche du rythme cardiaque et avec des harmonies riches, pour poursuivre en ralentissant le rythme et en simplifiant le tissu musical, et dans la dernière séquence on revient à un rythme plus soutenu en recompléxifiant les harmonies.»

Technique de montage en "U" : les séances de 20 à 45 min. décomposées en plusieurs phases de 5 à 6 morceaux sur le principe "stimulant-relaxant-stimulant"
Technique de montage en "U" : les séances de 20 à 45 min. décomposées en plusieurs phases de 5 à 6 morceaux sur le principe "stimulant-relaxant-stimulant"

Outre l'importance de la musique utilisée dans le cadre therapeutique, la relation avec le thérapeute est primordiale : quel est le profil idéal d'un intervenant musicothérapeute, doit-il être musicien ?

« Ce qui est important, c’est que l’intervenant soit formé aux techniques spécifiques en fonction de la pathologie traitée, pour pouvoir s’adapter aux objectifs thérapeutiques du patient. Avant d’être musicien, le musicothérapeute doit connaître les techniques de traitement ou de la rééducation thérapeutique de la pathologie en question : l’approche ne sera pas la même dans le cas de la maladie d’Alzheimer, de l’autisme ou de la prise en charge d’un grand prématuré, tout ceci remis dans un cotexte de l’histoire du patient. »

Une pratique thérapeutique toujours pas reconnue

Même si les applications de la musicothérapie sont très largement répandues dans les hôpitaux ou dans les centres de soin, la reconnaissance de la musicothérapie tarde à venir. L'hétérogénéité des pratiques et des approches complique d'avantage les évaluations objectives des effets que la musicothérapie peut avoir sur la santé.

« Il n'existe pas un cadre institutionnel qui définirait le statut des musicothérapeutes aujourd’hui. La plupart des interventions sont effectuées par des bénévoles, parce qu’il n’y a pas de financement propre à cette discipline. On parle toujours d'une intervention de l'ordre culturel ou de l'animation. Si un établissement souhaite engager un musicothérapeute, il embauchera un aide-soignant ou un infirmier formé à la musicothérapie. La raison principale en est que les effets cliniques de la musicothérapie manquent encore aujourd’hui de preuves scientifiques, de preuves physiologiques de l'impact de la musique sur la santé. Mais les études de validité se multiplient, et l’apport des neurosciences dans les prochaines années y sera déterminant. »