La musique d’Arvo Pärt et le tintinnabulisme au cinéma
Par Léopold TobischArvo Pärt est l’un des compositeurs les plus joués au monde, et ce sans compter les nombreuses reprises de ses musiques au cinéma depuis les années 1980. Malgré la diversité et la richesse de son oeuvre, c‘est sa musique « tintinnabuliste » qui semble fasciner le septième art.
Devenu aujourd’hui l’un des compositeurs les plus joués au monde, le compositeur estonien Arvo Pärt a contribué depuis la fin des années 1950 non seulement à la vie musicale des XXe et XXIe siècles mais aussi au paysage sonore du cinéma international.
Jean-Luc Godard, Gus van Sant, Werner Herzog, Nanni Moretti, Milos Forman, Paul Thomas Anderson, Terrence Malick, Paolo Sorrentino : de nombreux réalisateurs font appel aux œuvres singulières d’Arvo Pärt. Si certaines collaborations semblent plus appropriées, telles les œuvres cinématographiques expérimentales de Terrence Malick aux plans longs et aux sujets mystiques, d’autres peuvent surprendre, comme Avengers : L’Ere d’Ultron de Joss Whedon (2015).
Des films aussi divers que nombreux font appel au compositeur et notamment aux œuvres Für Alina (1976), Trivium (1976) Fratres (1977), Cantus in memory of Benjamin Britten (1977), Tabula Rasa (1977) et Spiegel im Spiegel (1978). Composées vers la fin des années 1970, ces oeuvres appartiennent toutes au nouveau style de composition revendiqué par Pärt dès 1976, le tintinnabuli (du Latin tintinnabulum : petite cloche). Style musical unique en son genre, les oeuvres tintinnabulistes de Pärt figurent aujourd’hui dans près de 150 films.
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Pourtant, ce n’est pas en 1976 qu’Arvo Pärt commence sa collaboration fructueuse avec le monde du cinéma et de la télévision. D’abord ingénieur puis directeur du son à la radio et télévision estonienne en 1957, Arvo Pärt devient ensuite compositeur de musiques de fictions radiophoniques, d’animations, de documentaires et de courts-métrages : il signera près d’une cinquantaine de bandes originales qui ne feront jamais partie de son catalogue officiel, comme celle du film Mäeküla piimamees [Le laitier de Mäeküla] (1965) :
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L’arrivée du tintinnabulisme
Ce sont les huit années de recherche que poursuit Arvo Pärt entre 1968 et 1976, dans un silence musical presque absolu, qui le mèneront au style de composition qui fera sa renommée internationale.
Après avoir rejeté le néo-classicisme et le séralisme du XXe siècle, Pärt se tourne au début des années 1970 vers la musique polyphonique et grégorienne pour y trouver un nouveau style de composition, le tintinnabuli. Une musique qui semble s’extraire du temps et composée de trois éléments essentiels : un accord de trois notes qui pivote sur lui-même, une ligne mélodique qui se déplace de manière linéaire et progressive, et un silence important afin de créer un espace dans lequel la musique est capable de résonner.
Ainsi, Pärt se forge une voix musicale épurée et céleste, une musique dont le tout est plus grand que la somme de ses parties, qui ne développe pas de motifs ni de thèmes mais qui fait croître plutôt des structures musicales à travers le temps et l’espace. Son nouveau style perfectionné, il compose en 1976 Für Alina, la première de ses œuvres « tintinnabulistes » qui envahiront ensuite le cinéma.
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Une musique qui sonne bien au cinéma
Après avoir quitté son pays en 1980 pour en fuir la censure, Pärt s’installe à Berlin. Il est invité par Manfred Eicher à rejoindre le catalogue du label ECM, qui réunit jusqu’alors les artistes à l’avant-garde du jazz. Une collaboration fructueuse pour le compositeur qui expose sa nouvelle musique tintinnabuliste à bon nombre de créateurs et de réalisateurs de cinéma.
Mais alors que la musique de certains compositeurs contemporains est déjà utilisée au cinéma pour évoquer ou renforcer un sentiment précis, telle la musique sonoriste de Penderecki dans les films d’horreurs et d’angoisse, la musique tintinnabuliste se montre ouverte et malléable, capable de « ménager une place pour l’auditeur» comme l’explique la chanteuse islandaise Björk lors d’une interview avec le compositeur.
L'oeuvre minimaliste de Pärt séduit rapidement par sa nature mystique et aérienne, ainsi que par sa force émotionnelle. Car si elle paraît minimaliste dans sa forme, elle ne l’est pas dans sa puissance de narration. Dotée d’un esprit de réflexion et de contemplation, la musique éthérée et enveloppante de Pärt s’adapte à la perception du spectateur afin de guider les sentiments et l’affection de ce dernier, lui permettant d’investir émotionnellement une scène ou un personnage de film sans le besoin de dialogue.
Elle est ainsi capable de faire résonner des moments de tristesse et de peine en y apportant une beauté mélancolique sous-jacente, mais aussi des moments de joie néanmoins marqués par une profondeur solennelle, des moments de menace, une agitation physique ou émotionnelle, sans oublier les moments d’introspection et de réflexion mystique.
Cette puissance narrative est souvent renforcée lorsque les sons du film sont momentanément effacés ou éloignés, afin de laisser la musique venir au premier plan et emporter le spectateur vers un état méditatif détaché, un moment qui semble s’extraire de l’avancée du temps, en suspens comme la musique, « un instant unique étalé dans le temps » selon Paul Hillier, chef d’orchestre et biographe d’Arvo Pärt.
Une musique parfaite pour des plans-séquences de longue durée, comme l’ouverture du film Gerry de Gus Van Sant :
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Si certains critiquent aujourd’hui une abondance excessive des œuvres d’Arvo Pärt dans les bandes originales de films - sa musique est très présente dès qu’il est nécessaire de faire résonner une profondeur sentimentale inexprimable, peu importe le genre de film - nul ne peut nier la puissance et la charge émotionnelle de la musique tintinnabuliste de Pärt au cinéma.
Un style de composition souvent copié aujourd’hui, non seulement au cinéma mais également par de nombreux compositeurs. Il n’existe cependant qu’un seul tintinnabuliste : Arvo Pärt !