La soprano Chloé Briot accuse un chanteur d’agression sexuelle

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La soprano Chloé Briot accuse un chanteur d’agression sexuelle

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La soprano Chloé Briot accuse un chanteur d’agression sexuelle
La soprano Chloé Briot accuse un chanteur d’agression sexuelle
- Nathalie Guyon

La chanteuse Chloé Briot a porté plainte en mars pour agression sexuelle contre l'un de ses collègues lors de la production d’un opéra. Elle a également choisi de briser l’omerta en témoignant dans la presse.

Une prise de parole assez inédite pour un milieu d’ordinaire très fermé. La revue La Lettre du musicien a publié le 19 août le témoignage de la soprano française Chloé Briot, qui dénonce des agressions sexuelles répétées de la part de l'un de ses collègues, durant une production. Des faits qui auraient duré « plusieurs semaines, même plusieurs mois », selon Chloé Briot, que nous avons contacté à notre tour. Face à la situation, elle a décidé de ne pas se taire, de raconter « pour en finir avec la loi du silence qui règne à l’opéra », souligne l’artiste à nos confrères de La Lettre du musicien.

Mais avant de parler à la presse, Chloé Briot a saisi la justice. En mars, la chanteuse déposait une plainte et rapidement, une enquête a été ouverte par le parquet auprès du commissariat de Besançon. Les faits remontent à plusieurs mois. Entre octobre 2019 et février 2020, Chloé Briot tient le premier rôle dans l’opéra L’Inondation, joué sur le plateau de l’Opéra-Comique, à Paris, puis aux opéras de Rennes et de Nantes. Dans cette production contemporaine, commandée en premier lieu par l’Opéra-Comique, on retrouve deux scènes de sexe entre les deux principaux personnages. « Certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité du public et en particulier des plus jeunes », prévenait la programmation de l’Opéra-Comique. 

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Des humiliations et une pression continue

Et c’est justement durant ces scènes que Chloé Briot dit avoir été agressée sexuellement. Des actes qui dépassaient le cadre de la mise en scène, selon elle, qui auraient été répétés. « Pendant les répétitions et les filages, je n’arrivais pas à dire à mon collègue que sa manière de me toucher me déplaisait. Il me faisait systématiquement passer pour une « chieuse » auprès du metteur en scène, en prétendant que j’étais « coincée du cul » », témoigne Chloé Briot à notre consœur de la Lettre du Musicien.

Consciente de la pression artistique qui pesait sur ses épaules, que la bonne tenue de la pièce résidait en grande partie sur elle, le premier rôle, Chloé Briot prend sur elle et ne dit rien. 

Victime pendant les représentations

Au fil des répétitions et des représentations, de nouvelles agressions ont lieu. En janvier, le spectacle se joue alors à l’opéra de Rennes. Dans son témoignage, elle enchaîne : « en pleine représentation, il a palpé mon sein droit comme de la pâte à modeler. J’ai tenté de me recroqueviller pour qu’il ne puisse plus me toucher. Dans la deuxième scène, il a écarté violemment mes jambes en mettant sa tête sur mon sexe. Durant une autre représentation il m’a murmuré : « J’ai envie de te faire mal, j’ai envie d’y aller ». »

Chloé Briot décide de parler aux assistants du metteur en scène. Ne se sentant pas écoutée, elle décide de faire remonter l’information elle-même au metteur en scène puis au directeur de l’Opéra de Rennes, Matthieu Rietzler. Elle prie le premier de « recadrer le chanteur », puis est reçue par le deuxième pour consigner sa version des faits. « À la lumière de ce témoignage, confirme Matthieu Rietzler, nous avons pris des mesures de précaution pour protéger les artistes, les éloigner. Mais Chloé Briot a clairement exprimé le souhait de poursuivre les représentations, jusqu’à la dernière à Nantes. »

Un protocole de protection mis en place

Une autre chanteuse de la production, que nous avons pu joindre, a confirmé certaines mesures pour éloigner les artistes. Elle décrit que « l_es horaires de maquillage ont été changés, les loges déplacées, afin que les deux artistes ne se croisent ni avant d’entrer sur scène, ni en sortant du plateau._ » « J’ai exigé une surveillance particulière de la part de l’assistant du metteur en scène et de la régisseuse, insiste Matthieu Rietzler. J’ai eu un suivi spécifique jusqu’à la dernière représentation. Nous n’avons rien improvisé mais suivi un protocole extrêmement clair. »

Dans sa déclaration à La Lettre du musicien, Chloé Briot indique ensuite qu’elle a expressément demandé à ce que l’affaire remonte à l’Opéra de Nantes (où le spectacle devait être joué quelques semaines plus tard) et à son directeur Alain Surrans. Elle a aussi veillé à ce qu’Olivier Mantei, en sa qualité de directeur de l’Opéra-Comique, commanditaire originel de la production, soit lui aussi prévenu. Pourtant, quand elle revient aujourd’hui sur les représentations de Nantes, elle détaille : « tout ce qu’on m’avait promis comme protection, on ne me l’a pas donné. Durant les représentations à l’opéra de Nantes il n’y a eu aucun changement, et son directeur Alain Surrans n’avait manifestement pas été mis au courant malgré ma demande. J’étais seule face à mon agresseur, que je retrouvais tous les soirs sur scène. » Contacté, Alain Surrans, le directeur d’Angers-Nantes Opéra, n’a pas souhaité donner suite à nos questions. L’Opéra de Nantes se contente de nous indiquer que les mesures similaires à celles mises en place auparavant à Rennes pour préserver les artistes ont été appliquées à Nantes. 

« J’avais beau décrire la gravité des gestes dont j’étais victime, il a fallu que mon état se dégrade pour que [les autres membres de la production] mesurent mon état », rétorque Chloé Briot.

Difficile de se faire entendre

De son côté, comme nous l’indique Chloé Briot, le metteur en scène a « recadré l’artiste en question ». Les scènes de sexe, à l’origine des agressions supposées, étaient clairement codifiées : « il n’a jamais été question qu’il me pelote le sein », réagit la soprano. 

« Toute la production a fini par être au courant », nous avoue une autre artiste de la pièce. En dépit de la situation, révélée au grand jour à toute l’équipe, le spectacle a continué. Chloé Briot, elle, a eu le sentiment que la situation n’était pas prise au sérieux. « On m’écrit souvent : « Il parait que tu as eu des petits soucis ». On est passé d’une agression sexuelle à un « petit souci » entre chanteurs. Alors je suis obligée de le dire : « non, il ne s’agit pas d’un petit souci, j’ai été agressée sexuellement » », martèle l’artiste dans la revue La Lettre du musicien.

« Je sais ce que je risque »

À l’Opéra-Comique, à Paris, alors que s’organisent déjà les prochaines saisons, L’Inondation devrait revenir en 2023-2024. Pour autant, pour Olivier Mantei, « il est inenvisageable de réunir de nouveau les deux chanteurs. » Lequel a donc pris la décision, avant même qu’une plainte soit déposée par Chloé Briot, de solliciter la soprano en 2023, mais pas l’artiste masculin incriminé. Ce dernier est par ailleurs confirmé pour d’autres productions avec l’établissement parisien. « Nous ne devons pas nous substituer à une action de justice, mais simplement protéger les chanteurs », appuie Olivier Mantei. 

Chloé Briot raconte avoir « les mains qui transpirent à chaque fois [qu’elle] parle » de ce qu'il lui est arrivé. Et encore plus depuis qu’elle a décidé de dévoiler sa présumée agression dans la presse. « Je sais ce que je risque, confie la chanteuse_, à savoir être écartée des productions, même si on ne me dira pas directement que c’est pour cette raison. Si je ne suis plus embauchée, tant pis, je ne veux plus vivre ça. »_

L’enquête en cours

À Besançon, dans le Doubs, le parquet du procureur de la République s’est saisi de l’affaire, après la plainte de Chloé Briot. L’enquête, au fil des témoignages recueillis, devra établir la vérité de ce qu’il s’est passé sur les plateaux des opéras concernés. Si les faits détaillés par la chanteuse sont avérés, le chanteur mis en cause pourrait être condamné à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende pour agressions sexuelles répétées sur sa collègue.

« Aujourd’hui je suis cassée, je ne sais pas comment remonter sur scène et je ne dors plus. Je ne sais pas comment faire pour retrouver un chemin paisible dans mon métier et je me sens vulnérable quand je chante. D’ailleurs je n’ai pas pu chanter durant plusieurs semaines après cette agression. » - Chloé Briot à La Lettre du musicien. 

Libérer la parole d’un milieu très fermé

« Je suis assez admirative de cette prise de parole, reconnaît une artiste de la production. Alerter comme l’a fait Chloé, témoigner, c’est assez inédit pour ce milieu-là. Pourtant, la situation est loin d’être inédite. » Entre tabous et pression artistique, les artistes victimes de harcèlement et d’agression sexuelle peinent à prendre la parole, ou parfois même, à se faire entendre. Les organisateurs de spectacle, comme les maisons d’opéra, sont pourtant tenus – comme le rappelle l’article de nos confrères de La Lettre du musicien – à une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et psychologique de leurs employés. 

Pour prévenir et lutter contre le harcèlement et les agressions sexuelles, la Réunion des opéras de France a d’ailleurs mis en place une Charte, signée par les institutions d’une part et les artistes de l’autre. Les mesures de protection et d’éloignement que nous évoquions plus haut y sont clairement édictées. Ce document invite également tous les acteurs de ce milieu à témoigner au maximum. Libérer la parole et « e_n finir avec la loi du silence_ » : en cela, par son témoignage, Chloé Briot a peut-être le profil de la lanceuse d’alerte que l’opéra attendait.