La Traviata est l’un des opéras les plus populaires, il parle d’un amour interdit, d’une femme libre et d’exclusion sociale, mais il est aussi le miroir de la vie sentimentale de Giuseppe Verdi. Retour en vidéo sur les origines de cette œuvre phénomène.
Après les succès de Nabucco en 1842 ou Rigoletto en 1851, Giuseppe Verdi est déjà un célèbre compositeur. En 1852, il séjourne à Paris et assiste à une représentation théâtrale qui le touche particulièrement : La Dame aux camélias, une pièce d’Alexandre Dumas fils. Le sujet, un amour impossible entre un jeune bourgeois et une courtisane, Armand Duval et Marguerite Gauthier, l’interpelle. Surtout le personnage de Marguerite, qui prend une signification personnelle pour Verdi.
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Le compositeur est veuf depuis 10 ans. Sa jeune femme et ses deux enfants sont morts tragiquement. Quand il découvre La Dame aux camélias, il vit en couple avec Giuseppina Strepponi, une ancienne soprano qui a déjà interprété ses œuvres. C’est alors une relation hors mariage qui ne plaît pas à la bonne société. « Évidemment ça fait couler beaucoup d’encre, ça a fait beaucoup jaser. », explique Chantal Cazaux, rédactrice en chef de l’Avant-Scène Opéra. « Notamment dans la ville natale de Verdi qui a gardé des liens avec le père de son ancienne épouse. Toute la bourgeoisie et son beau-père prennent mal son installation avec cette nouvelle femme, hors mariage. »
Un opéra critique de la société mondaine
Le scandale est d’autant plus important que l’ancienne cantatrice, déjà socialement mal considérée, a été quatre fois fille-mère. « Et elle vient d’avoir, peu de temps avant la Traviata_, un enfant hors mariage, dont on suppose que le père était Giuseppe Verdi »_, souligne Chantal Cazaux. Face aux critiques néanmoins, Verdi défend sa compagne. Dans une lettre datée de janvier 1852 à Antonio Barezzi, le père de sa première femme, il assure :
Je n’ai rien à cacher. Dans ma demeure vit une femme libre, indépendante, aimant comme moi la vie solitaire, disposant d’une fortune qui la met à l’abri du besoin. Ni elle, ni moi ne devons à qui que ce soit aucun compte pour nos actions. […] Qui est en droit de nous jeter la première pierre ? »
Avec la Dame aux camélias, Verdi trouve donc un moyen de régler ses comptes avec la société mondaine qui s’acharne sur sa compagne. Il transforme la pièce en opéra, avec son librettiste Francesco Maria Piave et elle prend le nom de La Traviata qui en italien se traduit par « La dévoyée ». Chez Verdi, Marguerite devient Violetta, et Armand devient Alfredo, et comme chez Dumas, l’amour est impossible entre les deux personnages. La bonne société s’y oppose et Violetta, gravement malade, en meurt.
Pour souligner sa critique de la société, Verdi veut faire jouer ses acteurs dans des costumes contemporains, pour que le spectateur s’identifie aux personnages, mais il est censuré et il doit transposer son œuvre au XVIIIe siècle. Et malgré cette première censure, La Traviata choque son public, bousculant toujours les mœurs avec son sujet tabou et sa mise en scène. Lors de la première, le 6 mars 1853, « le public est déchaîné, il hue. Il ne supporte pas qu’on lui montre une héroïne qui est une femme de mauvaise vie et pourtant qu’on en fasse une héroïne sympathique. Verdi montre en plus la maladie, une femme atteinte de la tuberculose. La partition demande de s’interrompre pour que le personnage ait une quinte de toux sur scène : ce sont des choses impensables à montrer à l’époque. Aujourd'hui, on parlerait de Gore ».
La partition, au cœur du succès de la Traviata
Passé le choc, le bouche-à-oreille fonctionne et La Traviata trouve son public. L’opéra devient un énorme succès en quelques semaines, un succès qui ne s’est pas démenti depuis. Ce triomphe qui traverse les époques s’explique, d’après Chantal Cazaux, en quatre points.
La musique d’abord, « qui est entraînante, qui entre en tête. Verdi sait faire simple. Avec le Libiamo par exemple. On commence à valser, à danser. Cet opéra est devenu un des plus populaires car il est facilement mémorisable ».
Toujours dans la composition, Verdi fait appel au suspense musical afin de maintenir l’attention du public. « Il amorce un thème à l'orchestre, il vous fait rentrer dans le thème. Et puis, tout d'un coup, paf, il arrête tout. L'orchestre s'arrête. Vous avez quoi ? Vous avez envie de la suite ? Il y a un côté hitchcockien du suspense musical. Et la suite, il vous la donne. »
Violetta, un personnage difficile à interpréter
Enfin il y a bien sûr, le mélange reconnu de La Traviata entre théâtre et opéra, et le rôle de Violetta qui est devenu un véritable phénomène dans l’histoire de la musique. Un rôle difficile à jouer, parce qu’il demande des compétences théâtrales et musicales poussées. L’œuvre demande à l’interprète trois qualités vocales en fonction des trois actes de l’opéra.
« Au premier acte, il faut avoir un chant très aigu et très brillant, quelque chose que des sopranos légers peuvent chanter plus facilement. Puis vient l'acte 2, et notamment la confrontation avec Germont père. Et là, Verdi demande à son soprano d'avoir une puissance expressive que généralement un soprano léger n'a pas. Elle doit chanter dans le médium et tenir tête à un baryton dans un grand duo. Au troisième acte, elle est en train de mourir, elle doit s'éteindre comme une petite bougie de chandelle. Donc, ici, il faut être une actrice très fine, très sensible, et jouer de sa voix sur la corde », explique Chantal Cazaux.
Ce personnage qui nécessite trois qualités vocales différentes explique la difficulté de l’interprétation de Violetta dans La Traviata. Mais c’est aussi pour cela que le rôle est devenu un véritable Graal pour les chanteuses et un moyen de marquer l’histoire de l’opéra. Maria Callas fut, par exemple, l’une des Violetta les plus célèbres.
La Traviata modernisée
L’œuvre de Verdi continue son triomphe à travers les époques, pour devenir l’un des opéras les plus joués dans le monde. Il inspire même la pop culture, avec notamment Pretty Woman, qui semble directement inspiré de La Traviata. Le personnage, Vivian, assiste d’ailleurs à une représentation de l’œuvre dans le film.
Au cinéma, comme sur les scènes d’opéra, La Traviata est désormais modernisée, loin des premières censures imposées à Verdi. Finie la crinoline, les dernières mises en scène, à l’instar de celle Simon Stone avec en vedette la soprano Pretty Yendé, mettent en avant une Violetta actuelle, proche du public, comme Verdi le souhaitait.