Laura Perrudin, la musicienne qui casse les clichés sur la harpe

Publicité

Laura Perrudin, la musicienne qui casse les clichés sur la harpe

Par
Laura Perrudin sur scène avec sa harpe électronique.
Laura Perrudin sur scène avec sa harpe électronique.
- Nicolas Joubard

Elle est harpiste, chanteuse, compositrice et fait aussi de la musique électronique. Laura Perrudin se produit seule sur la scène de Jazz à la Villette, avec pour unique compagnie sa harpe chromatique électrique. Rencontre.

En musique, il y a les musiciens classiques, puis il y a les ovnis. Laura Perrudin fait partie de cette deuxième catégorie. De formation classique, la harpiste a vite souhaité se tourner vers les univers musicaux qui l’inspirent : jazz, électro, hip-hop… Sans laisser tomber sa formation initiale, elle souhaite donc garder sa harpe et fait appel à un luthier qui lui crée un instrument unique, sur mesure. 

Depuis, Laura Perrudin a sorti deux disques, Impressions en 2015 et Poisons et & Antidotes en septembre 2017. Elle reprendra ce dernier sur la scène de l’amphithéâtre de la Philharmonie, mercredi 5 septembre, à l’occasion du festival Jazz à la Villette. Rencontre avec une musicienne hors norme et inclassable.

Publicité

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

France Musique : Quand et comment avez-vous commencé à jouer de la harpe ? 

Laura Perrudin : J’avais envie de jouer de la harpe, le conservatoire était la solution la plus simple et accessible pour apprendre mais je n’ai pas vraiment commencé dans la musique par le classique. J’écoutais surtout des musiques très différentes, celles qui m’entouraient, du jazz, à l’électronique, en passant par le hip hop... Puis j’ai réalisé que la harpe était un instrument compliqué à adapter aux musiques que j’aimais… Donc j’ai aussi commencé à chanter. La voix me permettait de rencontrer des musiciens, d’avoir accès à différentes musiques et c’est beaucoup plus transportable. Enfin j’ai voulu adapter mon instrument, celui que j’avais choisi, à mes envies musicales. De là est née ma volonté de faire évoluer la harpe. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la création de cet instrument unique en son genre ?

Longue histoire… Il y a eu plusieurs étapes. Il faut savoir que la harpe celtique et la harpe à pédale sont des instruments limitatifs d’un point de vue harmonique. Quand on adore Wayne Shorter par exemple, c’est compliqué de jouer ses musiques. Je me suis donc renseignée sur l’histoire (complexe) des harpes chromatiques qui offrent un un panel plus large d’harmonies. Puis j’ai appris le piano en autodidacte. C’était libérateur ! Enfin, j’ai voulu trouver un système qui me semblait être le plus proche du piano mais avec une harpe. Il fallait donc toutes les cordes chromatiques sur une rangée. Cela ne semblait pas exister jusqu’à ce que je rencontre mon luthier, Philippe Volant, qui en avait créer une pour le harpiste François Pernel. Quand je l’ai rencontré, j’ai réappris mon instrument de A à Z en laissant presque tomber les autres harpes, et j’ai construit mon propre langage. 

Une heure, un concert
1h 00

Puis vous avez intégré la musique électronique à cette harpe. 

Oui. C’était la deuxième étape. Je me suis toujours intéressée à la musique électronique : j’adorais jouer avec des machines, travailler la matière sonore. Au fil du temps, j’avais envie de le faire en live, en concert. C’est à partir de là qu’il me fallait une harpe électrique. C’était devenu une évidence, donc j’ai retravaillé avec mon luthier sur une nouvelle version. 

Et comment fonctionne cette harpe électrique ? 

Cet instrument est comparable à une guitare : il n’y a pas de caisse de résonance, le son est dépendant du capteur, donc si on ne branche pas, ça ne sonne pas. Je joue avec un signal électrique. Le son de ma harpe passe dans une série de pédales d’effet et de traitement sonore que je peux contrôler. Je peux, par exemple, la sampler dans un ordinateur (l’enregistrer et la faire tourner en boucle) mais aussi sampler ma voix, puis je construis des orchestrations à partir d’échantillons de sons de voix et de harpe traités. En rendu cela peut donner des sons percussifs, des lignes de basse, des textures sonores abstraites, des sons de guitare ou de piano… Je cherche des matières sonores qui évoquent des instruments, y compris virtuels. 

La tribune des critiques de disques
1h 58

C’est loin de l’image stéréotypée que le public peut avoir de la harpe… Vous souffrez des clichés liés à votre instrument ? 

Oui. Il y a une imagerie très répandue (et très occidentale) comme quoi la harpe serait un instrument doux, poétique, mélancolique, apaisant, féminin, délicat. Je ne la vois pas du tout comme ça. C’est un des premiers instruments de l’humanité, qui a été inventé par des êtres humains. Au départ la harpe était très archaïque. Elle a une généalogie immense et est présente sur toute la planète, dans toutes les cultures, sous différentes formes… Pourquoi la confiner dans des clichés, à une fonction et une esthétique ? Ces stéréotypes me pèsent car lorsque je dis que je suis harpiste, il y a une cargaison d’idées préconçues qui viennent tout de suite, c’est parfois fatiguant.

Jouer de la harpe dans un autre univers que la musique classique, est-ce un avantage ou un inconvénient ? 

C’est à la fois simple et difficile. Quand on fait quelque chose de peu commun, certaines personnes, plus curieuses, s’en souviennent, mais d’autres s’en désintéressent complètement. Heureusement j’ai rencontré de nombreuses personnes curieuses, et j’arrive à vivre de ma musique.

Comment voyez-vous votre travail sur scène et en studio ? 

L’enregistrement en studio et la scène sont deux médias, deux sujets très différents. Le squelette de la musique reste le même, mais la forme ouvre des perspectives différentes. Le travail sur scène est mouvant, organique. Même si je travaille beaucoup avec des machines, je n’utilise jamais de métronome par exemple. Le tempo, le placement rythmique ou le timbre peut être différent d’un concert à un autre. Les morceaux aussi n’ont rien à voir. Et je garde toujours une place à l’improvisation sur scène. Il y a toujours des idées spontanées qui surviennent. C’est un travail que j’ai commencé avec le jazz et des musiciens qui ont l’habitude de la musique improvisée. 

Etes-vous en mesure de jouer avec d’autres instruments ou des groupes de musique malgré la spécificité de votre instrument ? 

Oui, je travaille avec de nombreux groupes satellites avec qui je joue de temps à autre. Peu de musiciens sont habitués à jouer avec une harpe, donc il faut trouver des solutions spécifiques. Mais c’est très intéressant. Avec les instruments ‘habitués’, on sait comment jouer les uns avec les autres. Là il n’y a aucune référence donc on invente, on imagine, c’est génial. Peut-être un peu plus difficile mais ça rend le travail passionnant. 

Le Matin des musiciens
1h 25