Laurent Hilaire, après son départ du Théâtre Stanislavski : "Il n’y a plus d’avenir dans la compagnie"

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Laurent Hilaire, après son départ du Théâtre Stanislavski : "Il n’y a plus d’avenir dans la compagnie"

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"Toutes les œuvres étrangères vont être retirées", s'inquiète notamment Laurent Hilaire
"Toutes les œuvres étrangères vont être retirées", s'inquiète notamment Laurent Hilaire
© AFP - Joël Saget

Le Français, nommé il y a 5 ans directeur de la troupe de ballet, a annoncé dimanche sa démission au vu du contexte. Au micro de France Musique, il revient sur sa décision, confie sa tristesse et son immense inquiétude.

C'est la première fois qu'il s'exprime en longueur dans un média français depuis sa démission, annoncée dimanche dernier dans la foulée de l'assaut lancé par la Russie sur l'Ukraine. Laurent Hilaire, désormais ex-directeur de la troupe de ballet du Théâtre Stanislavski à Moscou, a répondu ce vendredi matin aux questions de Jean-Baptiste Urbain. Et c'est le cœur lourd que l'ex-étoile de l'Opéra de Paris s'est séparé de ses danseurs, sidérés lorsqu'il leur a annoncé et expliqué en personne la triste nouvelle : "Ils étaient en état de choc, effondrés. Parce que d’une certaine manière ils ont très vite compris, au-delà du fait que ce soit moi, que j’étais une forme de garantie par rapport à un avenir possible pour eux, en terme de création, de rencontres, tout ce qu’on a fait pendant 5 ans."

Depuis son arrivée, Laurent Hilaire avait ainsi engagé des danseurs russes, étrangers, avec lesquels il avait tissé des liens très forts. Quid de leur futur ? "Les danseurs étrangers que j’avais engagés partent tous. Certains danseurs parlent d’arrêter la danse, parce qu’ils ne se projettent pas. Je pense que l’avenir pour la culture, le ballet, l’opéra, s'annonce extrêmement compliqué. Aucune co-production ne sera possible, et pour retrouver la confiance après une chose aussi dramatique que celle que l’on est en train de vivre, je pense que cela prendra une dizaine d’années."

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J’ai été accueilli formidablement, fait des rencontres et des expériences formidables avec le public qui nous suivait. Ça me rend profondément triste et je me demande ce qu’ils vont devenir, il y a une grande inquiétude."

Un retour vers le passé ?

Les danseurs "vont retourner à un système de grand ballet classique, toutes les œuvres étrangères vont être retirées", prédit Laurent Hilaire : "On devait faire une création avec Sharon Eyal, c’est terminé. Hofesh Shechter, Balanchine, Robbins, tout ça s’annule. On devait venir à Paris au mois de décembre avec la compagnie, c’est annulé. Tout s’arrête. Le seul répertoire qu’ils ont, c’est le répertoire qu’ils avaient auparavant. Un beau répertoire, mais un répertoire qu’ils connaissent par cœur, il n’y a pas de nouveauté."

La décision fut difficile à prendre. "Ma première réaction était de penser aux danseurs, de ce qu'il allait se passer en termes de responsabilité. On a fait des choses ensemble, des challenges, j’ai des amis sur place". Laurent Hilaire a ensuite estimé qu'il lui était impossible "en tant que personne, d'être d’une certaine manière, même dans une toute petite mesure, caution de vivre dans un pays qui déclare la guerre, alors que le mot 'guerre' ne peut pas être utilisé sur place."

Il y a un phénomène de sidération, même en étant à Moscou. Je ne pensais pas que c’était possible. J’ai pu quitter la Russie, avec beaucoup de tristesse évidemment."

Le communiqué de la discorde

À partir du moment où Laurent Hilaire a donné sa démission au directeur, il a souhaité rédiger un communiqué. "Le directeur m’a dit que bien sûr, j’avais la liberté de pouvoir m’exprimer. J’ai donc préparé un communiqué pour mettre sur le site du théâtre, très simple, sans partir dans les détails." C'était sans compter le veto de l'administration Poutine : "Le ministère de la Culture a dit 'non, finalement il n’y aura pas de communiqué, aucune information'. Quand vous avez ce genre de détails, vous vous dites que les choses ne sont pas acceptables. À titre personnel je me suis dit qu’il fallait que je prenne mes responsabilités, que je ne pouvais pas cautionner ça. Donc je démissionne."

Cela n'empêche pas Laurent Hilaire de prendre régulièrement des nouvelles de ses danseurs. Le deuxième Français à diriger une troupe de ballet en Russie se dit également prêt à aider "à la transition au niveau de la direction, pour qu’ils se sentent accompagnés, voire protégés. Ce ne sont pas des gens faibles, les danseurs. Ils sont forts, mais ils sont aussi fragiles."

Musique matin
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