Avec la sortie de "La La Land" de Damien Chazelle, le jazz s'invite une nouvelle fois au cinéma, et comme bien souvent, les critiques et les fans de jazz crient au sacrilège. Mais le jazz a t-il déjà été bien représenté au grand écran ?
Il y a quelques semaines, lors des Golden Globes, la comédie musicale La La Land a fait sensation en remportant sept récompenses, dont le prix de la meilleure musique et chanson originale. Il entrait ainsi dans l'histoire des films à succès mettant en scène l'univers du jazz. Si le travail cinématographique a largement été salué par la critique et le public, comment le milieu du jazz l'a-t-il perçu ?
Dans La La Land, le jazz souffre d'un double cliché. D'un côté, le personnage principal joué par Ryan Gosling est un musicien tourné vers le passé, qui veut ouvrir un lieu moitié club et moitié musée du jazz. Il défend un « jazz en train de périr », qui n'aurait jamais évolué depuis les années 1950 et n'intéresserait personne aujourd'hui. Face à lui, son antagoniste incarné par John Legend, musicien tourné vers l'avenir, qui cherche à avoir un public et prétend faire évoluer le jazz en jouant un mélange de soul, de funk, de pop... qui n'a franchement rien de jazz.
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Pour Thierry Jousse, critique de cinéma et producteur à France Musique, « c'est un décor, une mythologie dans laquelle on plonge. De manière générale, c'est assez conventionnel. Ce qui est assez frappant, c'est que le film se passe à une époque indéterminée. Il y a quelques signes contemporains mais en réalité ça pourrait aussi bien se passer dans les années 80 ou les années 50. Du coup, c'est une idée du jazz assez intemporelle, qui n'aurait pas eu beaucoup d'évolutions historiques. Il y a quelque chose d'un peu figé dans l'idée qu'on se fait du jazz comme un truc de pureté artistique, qui en plus n'est pas tellement pris en charge de façon convaincante par la bande son. C'est un film qui travaille avec les clichés. Après, qu'est-ce qui en est fait ? Par grand chose de plus que du cliché d'eux-mêmes. » Le New York Times ira même plus loin dans un article intitulé " Does 'La La Land' Get Jazz or Exploit It ?" déplorant que malgré la volonté du réalisateur d'utiliser le jazz avec passion, le film se trouve avoir « très peu de respect pour le jazz en tant que forme d'art vivant. »
Un mélange historiquement compliqué
Il faut remonter très loin dans le passé pour retrouver la première trace du jazz au cinéma. En 1927, le réalisateur Alan Crosland signe le premier acte de mariage entre le jazz et le cinéma avec son film Le chanteur de jazz, dont le personnage principal, Jack Robin, annonce avec la réplique « attendez un peu, vous n'avez encore rien entendu » à la fois l'arrivée d'une nouvelle ère dans le cinéma, l'ère du cinéma parlant (le film est considéré comme le premier à mélanger le muet avec des passages chantés), et l'apparition du jazz au grand écran. Un premier acte considéré comme manqué puisque malgré son titre, le film n'est pas pour autant un film sur le jazz.
Thierry Jousse : « Si je devais résumer de façon schématique, il y a d'abord la période qui va jusqu'aux années 50, avec des musiciens historiques, qui ont peuplé les films de manière assez homéopathique. Je pense à Ella Fitzgerald, Cab Calloway, Lena Horne, ou des artistes comme ça qui apparaissent dans des films comme Stormy Weather_, ou_ A Cabin in the Sky_. Ce qui est frappant, c'est que les noirs sont relégués à des rôles de soubrettes et de domestiques. Le jazz n'était donc pas absent, mais il était relégué à une place inférieure, en quelque sorte. Il faut attendre les années 50 pour arriver à une autre représentation._ L'homme au bras d'or_, d'Otto Preminger, par exemple, avec_ Franck Sinatra dans le rôle d'un batteur drogué et où la musique apparaît de manière centrale dans le film. » A partir de là, les exemples sont plus nombreux. On peut déjà noter les films qui ne parlent pas de jazz mais où cette musique est omniprésente et ont donné lieu à des situations où la bande originale a finalement surpassé le film, comme Ascenseur pour l'échafaud par Miles Davis ou encore Mission : Impossible par Lalo Schiffrin.
L'ère du biopic
Il faut attendre 1958 pour qu'arrive ce qui est considéré à l'époque comme le véritable acte de naissance d'un cinéma jazz : Shadows de John Cassavettes, dont la trame documente le quotidien des musiciens de jazz à New York, avec une musique composée spécialement par Charles Mingus et son saxophoniste Shafi Hadi.
Ces dernières années, le jazz a surtout été présent à travers des biopics plus ou moins réussis, sur Ray Charles, sur Chet Baker ou encore sur Miles Davis. La France n'est pas en reste avec la sortie en avril 2017 de Django, avec Reda Kateb dans le rôle de Django Reinhardt, et qui, selon Bruno Guermonprez, ancien directeur marketing du label impulse! (chez qui sortira la bande originale au printemps) et passé récemment chez ECM, aura déjà le mérite de « faire beaucoup entendre de musique. Reda Kateb est crédible dans le rôle, il a beaucoup travaillé la guitare donc la synchronisation entre le son et l'image passe très bien. »
L'une des rares exceptions de style reste Whiplash sorti en 2014, du même réalisateur que La La Land, lui aussi salué par critique et public, mais qui a pourtant laissé perplexes les amateurs de jazz. Pour Bruno Guermonprez, « le film pourrait parler de macramé, de ballade à cheval ou sport de compétition ce serait strictement la même chose. Le jazz est un support aux rapports de manipulations entre les personnages. » Et Thierry Jousse d'ajouter : « Il y a des moments assez convaincants sur la musique, pas trop mal filmés. Et puis le film a eu le mérite de faire revenir le jazz, non plus comme une musique du passé, mais comme quelque chose d'assez contemporain. Mais le film raconte quand même un peu la même chose que La La Land : qu'il faut sacrifier sa vie privée pour réussir. Ce qui est très américain finalement. »
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Une entente impossible ?
« Le jazz au cinéma, c'est forcément un malentendu, explique Bruno Guermonprez, soit ça parle de cette musique par le biais d'une fiction, inspirée de faits réels, de type Autour de minuit de Bertrand Tavernier qui est inspiré de Bud Powell, Lester Young et Francis Paudras, soit c'est un biopic à la Bird de Clint Eastwood ou Miles Ahead de Don Cheadle, soit le jazz est un élément secondaire ou de décor. Je crois qu'il ne peut pas y avoir de film qui traite du jazz sans tomber à un moment ou un autre dans un cliché, dans une réduction ou dans une simplification. Mais ça tient à la nature même du support. Est-ce que la chose filmée peut réussir à capter un grand moment d'émotion et de grande expressivité dans un chorus ? »
Fred Pallem du Sacre du Tympan et compositeur de musiques de films évoque même la difficulté de manière générale, dans le cinéma, de raconter la musique : « avec la musique, on est dans l'abstraction totale. C'est quelque chose de sensitif. Dans un biopic, on va parler de ce qu'il y a à côté, les répétitions, les problèmes avec le manager, les problèmes de drogues, les engueulades avec sa femme et ses enfants, etc. Mais on ne parle pas de l'inspiration ou de la composition car c'est trop abstrait. Par exemple, Pat Metheny parle à ses musiciens, il leur demande de jouer un morceau en 15/8, ses musiciens savent ce que c'est, mais pas la majorité des gens. Metheny, dans la réalité, ne romance pas son discours comme on pourrait le voir dans un film. Du coup, dans les films et surtout avec le biopic, on tombe souvent sur la même chose, la même trame : ses débuts, ensuite il émerge, le succès, la chute, etc... Mais que raconter d'autre ? La sensation de jouer ou d'écouter de la musique, c'est inénarrable ».
C'est toujours mieux que rien
Quand il s'agit d'expliquer ce désamour, l'amateur de jazz reconnaît tout de même sa part de responsabilité. Thierry Jousse souligne que « le fan de jazz a des attentes très hautes quand un film sur cette musique ou sur un musicien sort au cinéma. L'accueil de Bird de Clint Eastwood a été mitigé par exemple. On a un film qui atteint une sorte d'équilibre entre romanesque, hollywoodien et authenticité du propos sur le jazz, et malgré tout, un certain nombre de gens avaient fait la fine bouche, parce que ce n'était pas tout à fait Charlie Parker, ce n'était pas ceci ou cela. Mais c'est une réaction qu'on retrouve chez les fans de jazz, comme chez tous les spécialistes de quelque chose. »
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Dans la mesure où le jazz souffre déjà d'un déficit de représentation et de reconnaissance, certains, comme Fred Pallem, vont jusqu'à reconnaître que malgré tous les défauts des films, le fait que le jazz trouve une petite place au cinéma, est en soi, déjà une bonne chose : « si on parle de jazz en tant que sujet du film, il est uniquement représenté via les clichés, parce que ça correspond, dans la tête des gens, à une époque donnée, à quelque chose de très arrêté dans le temps, alors que c'est une musique qui continue à évoluer. Il y a des biopics aussi, mais de manière générale, ça parle toujours du jazz au passé. C'est toujours mieux que rien, mais bon... »
Comme souvent à quelque chose malheur est bon, La La Land aura par exemple eu le bénéfice de rendre curieux un public de non-initiés au jazz. Le Caveau de la Huchette, temple du jazz dans le 5ème arrondissement de Paris et qui figure reconstitué dans le film, reçoit déjà des curieux, et pourrait bien, comme le Café des 2 Moulins à Montmartre (présent dans Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain), devenir même un lieu de passage pour les touristes étrangers.