Le livre-disque pour éveiller les enfants à la musique (sans écran !)
Par Suzana KubikLe livre-disque est l'outil privilégié pour l'éveil des enfants à la musique et une manière poétique de résister à l’accélération du monde et à l'omniprésence des écrans. Comment se porte-t-il aujourd'hui ? Reportage à l'occasion du 35e Salon du livre jeunesse de Montreuil.
Pour sa 35e édition, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil à choisi pour thème l'Éloge de la lenteur. Avec cette question qui sera certainement au cœur des rencontres : comment retrouver le temps de lire, dans la mouvance de la slow littérature, pour résister à l’accélération de nos rythmes de vie et en préserver nos enfants ? Et par la même occasion, les éloigner des écrans ? Parmi les diverses propositions qui ne manquent pas dans la littérature jeunesse, les livres audio sont un instrument idéal qui permet à l'enfant à la fois de feuilleter un bel ouvrage illustré, de se familiariser avec la lecture et d'écouter une histoire.
«Ecouter un livre-disque, c'est aller à l'encontre du zapping, rappelle Michèle Moreau, directrice de Didier Jeunesse, éditeur des livres à écouter depuis 30 ans. Ça développe la concentration, l'attention, l'imagination de l'enfant. Or, ces moments sont devenus très rares dans leur quotidien, » constate l'éditrice.
L'idée n'est pas nouvelle : le concept - lancé par le français Lucien Adès dans les années 1950 - est parti des lectures par les meilleurs comédiens français, des romans populaires ou classiques, auxquels sont très vite associés les récits sur les vies des plus grands compositeurs classiques. Depuis Mozart raconté aux enfants par Gérard Philippe aux éditions du petit menestrel, que l'on écoutait sur 33 tours ou sur cassette audio, le marché du livre-disque autour de la musique a explosé. Les grandes enseignes comme les petits éditeurs, parfois entièrement spécialisés, rivalisent en créativité. La musique classique, le jazz, les musiques de tradition orale, et de plus en plus, les musiques actuelles, on y trouve du tout, avec un fond de "valeurs sures" : on revisite régulièrement les comptines et les berceuses, les récits sur les grands compositeurs ou sur les grandes œuvres du répertoire, ou encore le conte musical, comme Pierre le loup, disponible dans de nombreuses versions et toujours d'actualité. Parce que « le livre - disque reste un outil privilégié d'éveil à la musique, aux usages multiples et beaucoup plus accessible que l'apprentissage d'un instrument ou l'initiation au concert, » note Michèle Moreau.
Comment se porte le livre-disque sur la musique aujourd'hui ? Plus difficilement qu'il y a vingt ans, répondent de concert nos interlocuteurs. Les ventes sont en baisse, les livres-disques sont moins empruntés dans les bibliothèques et moins offerts en cadeau, notent les éditeurs.
« Je sens que l'intérêt pour les livres-disques autour de la musique classique et jazz est de plus en plus grand de la part des musiciens et des familles mélomanes, nuance Michèle Moreau. Cependant, je sens que l'on perd une partie de la classe moyenne. Il y a un regard plus banalisé sur ce que l'on propose aux enfants. Ça se réduit comme peau de chagrin en tranche d'âge qui va des tout petits jusqu'à l'âge de sept, huit ans maximum. Après cet âge, les enfants sont vite aspirés par la variété, et on penche plutôt pour une consommation des paylists sur deezer. L'objet livre-disque en tant que tel et la musique en elle-même redeviennent élitistes. »
Un secteur en pleine mutation
Le principal enjeu, selon l'éditrice, est l'évolution des supports d'écoute qui bouleverse les usages. Mais le secteur s’adapte relativement bien, même si le support CD est en train de disparaître, explique Paule du Boucher, créatrice du Département musique chez Gallimard Jeunesse Musique qui fête cette année ses 20 ans : « Ce qui différencie le livre-disque par rapport au cd isolé, c'est qu'il y a le livre qui est notre cœur de métier. Du coup, c'est un ensemble dans l'expérience esthétique, qui allie un texte littéraire, l'image et la musique. C'est un peu plus difficile parce qu'il y a moins de lecteurs cd, mais nous proposons systématiquement soit un téléchargement, soit un streaming, pour démultiplier les accès à la musique.»
Pour Coralline Pottiez, ancienne enseignante et fondatrice de Formulette Jeunesse, petite maison d'édition lancée il y a dix ans, les professionnels de la petite enfance restent une cible privilégiée. « On a des ouvrages plus pratiques, et l'avantage d'avoir à la fois un support cd et un livre, nous permet d'ajouter plein de consignes à destination des professionnels de la petite enfance, pour utiliser les textes, les musiques ou les chansons dans leur travail en classe, avec une gestuelle adaptée pour développer la motricité fine ou générale, ou pour travailler la danse. La complémentarité des deux est très importante,» constate l'éditrice.
S'adapter, veut également dire être à l'écoute du public. Tout en gardant le coté prescripteur, comme l'explique Michèle Moreau : « Même si l'on suit la tendance des 'playlist', cela ne nous oblige pas à revoir nos critères artistiques à la baisse. On fait plus qu'avant les compilations dans le genre 'Les plus belles...' Mais du moment où ces compilations sont imaginées et mises en contexte par un musicien et qu'elles racontent une histoire d'un bout à l'autre, avec le même investissement artistique quant à la proposition visuelle et littéraire, on remplit notre mission. »
Si les grandes enseignes arrivent à amortir les pertes en se réorientant et en misant sur les valeurs éditoriales sures, les petits éditeurs, nombreux, ont notamment plus du mal à se démarquer. Mais la profession s'organise :
« Nous sommes regroupés au sein du Syndicat national de l'édition qui a une commission une fois par mois, où on essaye de monter les projets d'action commune : les présentation de notre catalogue, des lectures, des petits spectacles pour enfant, qui permettent de gagner en visibilité. » Comme par exemple le festival Vox à Montreuil, dédié au livre audio, dont la première édition a eu lieu en juin dernier.