L’immense Peter Brook nous a quittés ce samedi 2 juillet à Paris, à l’âge de 97 ans. Dans sa carrière, il n'a cessé de redéfinir l’esthétique et l’éthos des arts scéniques du XXe siècle.
C’est un chapitre majeur de l’histoire du théâtre contemporain qui prend fin. Le metteur en scène britannique Peter Brook est décédé à Paris ce samedi 2 juillet, à l’âge de 97 ans. Dans une carrière de presque 75 ans qui traversa le théâtre, l’opéra et le cinéma, il fut l’un des rares théoriciens du théâtre contemporain qui ne cessa de remettre en question les valeurs du genre et les possibilités de la mise en scène. Il révolutionne cette dernière notamment en privilégiant l’idée d’une mise en scène aux formes épurées.
Influencé par le théâtre de l'absurde de Cocteau, d’Anouilh et de Brecht, il tente de revigorer le théâtre contemporain en se détachant notamment des contraintes du langage. La rhétorique n’est plus alors l’instrument principal de la communication mais un outil parmi tant d’autres avec l'éclairage, le décor, les accessoires, les costumes et surtout l'action physique.
D’abord intéressé par le cinéma, il se tourne très jeune vers le théâtre, signant sa première mise en scène à l’âge de 17 ans et monte à seulement 23 ans plusieurs œuvres de Shakespeare pour la Royal Shakespeare Company. Loin d’abandonner le cinéma, il signe au cours de sa carrière 14 productions cinématographiques, dont Sa Majesté des mouches.
La scène du théâtre sera toujours le point central de création de Peter Brook, mais il ne manquera pas de s’atteler aux différents arts scéniques, dont l’opéra. Nommé directeur des productions, il arrive au Royal Opera House de Covent Garden en 1947 avec une envie de bousculer la production opératique : « Je suis entré dans l'opéra avec un seul but : donner à cette institution désuète et endormie une série de chocs qui la propulseraient dans le monde d'aujourd'hui », écrit-il dans son autobiographie Threads of Time: Recollections.
C’est chose faite avec sa production houleuse de Salomé en 1949, conçue au côté de Salvador Dalí, qui tiendra seulement six représentations avant de se voir retirée de l’affiche. Peter Brook sera remercié de ses services au Royal Opera House peu après seulement cinq productions, dont La Bohème (1948), Boris Godounov (1948), Les Olympes (1949) et Les Noces de Figaro (1949).
Il produit également les opéras Faust (1953) et Eugène Onéguine (1957) au Métropolitain de New York, ainsi que La Tragédie de Carmen (1981), Impressions de Pelléas (1992) et Une Flûte enchantée (2010) au Théâtre des Bouffes du Nord, et Don Giovanni (1998) au Festival d'Aix-en-Provence.
Dans le courant des années 1960, Peter Brook décide de rompre avec les fondations traditionnelles du théâtre. En privilégiant une mise scène épurée, il met au point une théorie de l’espace vide, qu’il concrétise en 1968 avec la publication de son livre The Empty Space (1968). Le texte devient l’élément fondateur du théâtre moderne de la deuxième moitié du XXe siècle, véritable manifeste pour un théâtre alternatif et expérimental : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé », annonce-t-il dès les premières lignes de son texte.
Il fonde en 1970 la troupe de théâtre expérimentale Le Centre international de recherche théâtrale (CIRT), réunissant une troupe d’acteurs du monde entier. L'ensemble se concentre sur l’improvisation et la liberté, privilégiant l'exploration du langage corporel et la communication non-verbale. La troupe se produit partout en France mais aussi à travers le monde, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique. Loin des scènes de théâtres, Peter Brook emmène ses acteurs là où le théâtre semble manquer, dont les hôpitaux, les banlieues, les ruines du Moyen-Orient, les déserts africains, de Paris au Mali en passant par l'Iran et les Etats-Unis.
Re-baptisée Centre international de créations théâtrales, la troupe s’installe en 1974 dans un théâtre parisien à l’italienne abandonné, sur le point d’être démoli. Le Théâtre des Bouffes du Nord devient alors le cœur battant de la création théâtrale de Peter Brook, lui permettant d’accomplir entièrement sa vision d'un art scénique moderne. « Je n'ai aucune raison de travailler ailleurs », affirme le metteur en scène au micro de France Musique en 2017 .
Après plus de trois décennies de créations et tournées mondiales, Peter Brook quitte la direction du théâtre en 2010, laissant derrière lui un terrain fertile, prêt à éclore : « Dans un village africain, lorsqu'un conteur arrive à la fin de son histoire, il pose la paume de sa main sur le sol et dit : "J'y laisse mon histoire". Puis il ajoute, "afin que quelqu'un d'autre puisse la continuer un autre jour" », conclut Peter Brook dans ses mémoires Peter Brook: Threads Of Time (2017).