« Le monde du spectacle reviendra, j’en suis convaincu » - Peter Gelb au micro de Jean-Baptiste Urbain
Par Jean-Baptiste Urbain, Léopold TobischPeter Gelb, directeur du Metropolitan Opera de New York, s’exprime au micro de Jean-Baptiste Urbain au sujet de la fermeture du Met jusqu’en septembre 2021, de l’impact de la pandémie sur l’art lyrique américain, et de sa réaction face à cette situation inédite.
Le 23 septembre 2020, le Metropolitan Opera de New York fait une annonce historique : la saison 2020-2021 est entièrement annulée suite à la pandémie Covid-19 qui ne cesse de se propager à travers les Etats-Unis et le monde entier. Une reprise est prévue le 27 septembre 2021.
Aux problèmes de dissolution de divers orchestres américains dont les ensembles d’Indianapolis et de Nashville, s’ajoutent les tensions sociales, politiques, et économiques qui bouleversent actuellement le pays. La crise aux Etats-Unis est loin de la situation en France et du soutien gouvernemental français qui s’élèvera jusqu’à 2 milliards d’euros pour les établissements culturels : « J’applaudis les efforts effectués par les autorités françaises pour soutenir le spectacle vivant. Ici nous sommes seuls face à la pandémie et seuls face à la crise, » se désole Peter Gelb, directeur du Metropolitan Opera.
Un nouveau président, un nouvel espoir ?
Les récentes élections américaines, qui ont nommé le démocrate Joe Biden comme prochain président des Etats-Unis, peuvent-elles signer un changement positif pour le Met ? D’un point de vue économique « avoir un président républicain ou démocrate ne change pas grand-chose », affirme Peter Gelb, car « les autorités ont toujours eu une approche passive envers le monde du spectacle ».
En temps normal, seule une « toute petite fraction » du budget annuel de 300 millions de dollars vient de sources gouvernementales, des villes ou au niveau fédéral. La majorité du budget provient de donateurs et de sponsors, qui bénéficient d’avantages fiscaux. Cependant, le Met est fermé depuis mars 2020 et sans moyens de maintenir la rémunération de l’intégralité de son importante masse salariale, le directeur a été contraint de licencier, de manière temporaire précise-t-il, l’intégralité des 3000 salariés, artistiques mais aussi administratifs.
Si la mutuelle, quant à elle, est toujours assurée pour l’ensemble des salariés, des négociations ont été lancées avec les différents syndicats afin de trouver un accord de baisse salariale, presque deux tiers du budget, jusqu’à un retour à la normale, afin d’assurer la bonne santé de l’opéra sur le long-terme :
« On va essayer de continuer à payer ce que l’on peut pendant la pandémie, qui va certainement durer je pense au moins jusqu’à l’été prochain. Mais pour que l’opéra puisse survivre de manière durable, chaque personne qui travaille à l’opéra doit comprendre l’importance des coûts, surtout à New-York où tout est plus cher […] et nous devons aujourd’hui consentir à baisser ces salaires. Les bénéfices ont été très fortement impactés et nous devons trouver une solution aujourd’hui, une solution collective pour s’en sortir tout simplement. Il faut réduire les coûts, sans réduire la production artistique. » Pour Peter Gelb, ceci est tout simplement une question de survie.
Loin de la scène, mais toujours connectés
Comment faire face au décret gouvernemental interdisant tout rassemblement à l’intérieur ? Face à l’impossibilité de monter sur scène s’ouvrent les voies électroniques de l’opéra :
« Nous avons énormément de programmes dont nous disposions déjà. Nous avons également des enregistrements qui remontent aux années 70 et 80, dont certains que j’ai produits moi-même en tant que producteur à la télévision à l’époque. » Une manière originale pour le directeur de conserver un lien avec son public, un catalogue qui ravit plusieurs millions de spectateurs, non seulement américains mais également à l’international :
« Depuis que l’opéra a fermé, mon objectif a été de garder un lien avec notre public, et je pense que ce projet est quelque chose d’assez unique. Nous avons un public extrêmement large, et lorsque nous organisons aujourd’hui nos sessions Met Stars Live_, deux-tiers du public qui nous regarde se trouve à l’extérieur des Etats Unis._ »
A cela s’ajoute un nouveau concept, le « Met Stars Live in concert », développé par Peter Gelb avec son collaborateur Gary Halverson. Projet de concerts produits à partir de différents sites partout dans le monde, avec des caméramen en direct via satellite depuis le monde entier, Met Stars Live représente une avancée numérique pour le Met, déjà testé dès ce 21 novembre 2020 avec la captation d’un concert de Sonya Yoncheva en direct depuis la bibliothèque Baroque du cloître Schussenried en Allemagne.
Un vaccin, le seul espoir pour le Met ?
Suite aux récents résultats positifs des essais cliniques aux Etats-Unis d’un vaccin contre le Covid-19, la situation pourrait-elle s’améliorer pour le Metropolitan Opera et les autres institutions culturelles américaines ?
« Mon espoir serait que grâce au vaccin, nous pourrons ouvrir en septembre 2021. Je n’imagine pas qu’un vaccin sera disponible en quantités suffisantes et suffisamment rapidement pour que nous puissions vacciner tout le monde puis ouvrir. Par contre si ce vaccin est disponible, et ce de manière rapide et efficace, je pense que son impact nous permettra de se préparer pour l’ouverture de septembre dès le début de l’été, et donc ouvrir dès le mois de septembre. »
La saison 2021, saison du contemporain
Pas facile de préparer une saison en pleine pandémie, explique Peter Gelb : « Tout est différent. Tout d’abord, cette pandémie nous a donné l’opportunité de voir comment on peut changer, une programmation par exemple. »
Suite au succès des productions de deux opéras contemporains de la saison 2019-2020, Akhnaten de Philip Glass et une nouvelle production de Porgy and Bess de George Gershwin, joués à guichets fermés, la saison 2021 du Met sera tournée vers l’opéra et le spectacle contemporain, avec trois productions (une première depuis 1928) dont Eurydice de Matthew Aucoin et Hamlet de Brett Dean.
Mais d’abord, la saison 2021 s’ouvrira avec l’opéra Fire Shut Up in My Bones de Terence Blanchard, premier opéra proposé par un noir américain, moment particulièrement important dans l’histoire de l’institution lyrique :
« Suite aux événements récents, notamment le mouvement Black Lives Matter, les gens sont aujourd’hui beaucoup plus conscients qu’il faut être plus pertinent dans ce que l’on propose, notamment socialement, et l’opéra a un rôle à jouer, d’enrichissement culturel et de pertinence culturelle auprès du public, et le répertoire que nous choisissons est donc particulièrement important. […] Je pense que nous sommes entrés dans une phase de changement, y compris au niveau de la programmation et c’est très important pour la survie de l’opéra de New York. »
Le Met pourrait-il mourir ?
Malgré la gestion douteuse de cette pandémie de la part des Etats-Unis, ce qui n’a bien évidemment pas aidé la situation financière déjà précaire de l’institution, le directeur reste confiant que ceci n’est pas la mort assurée de la célèbre salle d’opéra : « Je pense que le Met se relèvera, certifie-t-il avec confiance, c’est ce à quoi je travaille, et ce à quoi travaillent toutes les personnes qui m’entourent. Si l’opéra devait ne pas survivre, je crains que l’opéra aux Etats-Unis et ailleurs soit particulièrement affecté, donc je ne pense pas à cette alternative qui consisterait à mourir. »
Mais afin de retrouver un développement durable, une certaine évolution est à envisager selon Peter Gelb : « Il faut travailler sur un certain nombre de paramètres, notamment les coûts de la masse salariale, retravailler la programmation et essayer de se connecter avec d’autres publics. Si nous y parvenons, je suis persuadé que nous nous relèverons. Tout cela est temporaire, nous devons nous convaincre, nous devons être persuadés que la ville et le monde du spectacle reviendra, j’en suis intimement convaincu moi-même. »