Les 5 oeuvres contemporaines qui ont le plus marqué les compositrices et compositeurs
Dans le cadre de la semaine de la création Action! Création!, nous avons demandé aux créatrices et créateurs d'aujourd'hui quelles étaient les oeuvres les plus marquantes écrites après 2000. 155 compositeurs et compositrices ont répondu à notre sondage.
Du lundi 22 au vendredi 26 mars, France Musique dévoile chaque jour les 5 œuvres composées depuis 2000 qui ont le plus marqué les créateurs. 155 compositrices et compositeurs ont répondu à l'appel, proposant chacun trois oeuvres.
Le classement sera actualisé chaque jour, avec les commentaires des compositeurs sondés, jusqu'au lancement de la journée "Action! Création!" Vendredi 26 mars.
n°1 avec 15 voix : Written on skin de George Benjamin (2012)
Il n’existe pas beaucoup d'opéras dans toute l’histoire de la musique à avoir atteint un tel degré de perfection et cohérence entre musique, livret et mise en scène. Barbara, I love you.
Francesco Filidei
Written on skin est un exemple de cette difficile conjonction entre une force dramatique qui t'emporte dès la première seconde et une écriture d’une merveilleuse sophistication.
Joan Magrané Figuera
Les sentiments explosifs de ce drame à la fois contenu et violent questionnent le mensonge, la jalousie, la colère, la douleur, la cruauté, la folie et le crime qu’engendre la tyrannie des rapports humains de possession.
L’architecture des scènes superposées nous plonge dans un tableau médiéval dont contours et lignes de force sont faits d’oppositions contrastées (intérieur-extérieur, lumières froide et chaude, enfer-paradis, féminin-masculin, présent-passé, réel-vécu, pensé-analysé, absence-conscience...)
La sonorité de cœur brisé de la viole de gambe au milieu de l’orchestre, au centre de l’œuvre, est une émotion qui essaime tout le long du pupitre des cordes pour le faire pleurer, donner à l’orchestre au complet sa pleine fonction intimiste.
Une enluminure sonore incontournable!
Caroline Marçot
Written on skin à Aix...c’est aujourd’hui pour moi le souvenir d’une série de chocs bienveillants...
La musique de Benjamin que je connaissais peu à l’époque, et que j’ai reçue comme une vague immense et tempétueuse...Barbara Hannigan, en majesté !!! Bejun Mehta bouleversant...!
Mémoire encore plus vive et aujourd’hui presque douloureuse puisque le spectacle vivant nous est pour l’instant interdit....
Bruno Fontaine
n°2 : An index of metals de Fausto Romitelli (2003)
Avec quatorze voix, An index of metals de Fausto Romitelli rejoint la 2e place du classement.
"J’aime beaucoup chez Romitelli son penchant pour l’impureté, qui se reflète dans le travail des timbres, la polyphonie effrénée et l’influence du rock noise. Avec cette œuvre, il est au sommet de son art. Mais ce qui me retient en particulier, c’est l’écriture vocale, assez rare chez lui, merveilleusement rendue par Donatienne Michel-Dansac dans l’enregistrement avec Ictus. Son lyrisme un peu malade m’ouvre un espace imaginaire hautement psychédélique."
Pierre-Yves Macé
"Ce que je trouve fascinant dans An Index Of Metals c’est l’art de Romitelli d’absorber des références rock tout en se détachant de géants comme les Pink Floyd et les Who! . Parce qu’au final, nous assistons à une véritable dramaturgie: un fleuve sonore qui s’interrompt par vagues, sans jamais s’arrêter. Un univers qui déforme le rêve psychédélique, inspiré tout autant par la musique spectrale française que par la musique industrielle, les timbres électriques, la voix et les harmonies instrumentales brutes et saturées. Aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai découvert cette œuvre assez tardivement . Ecrite en 2003, cette musique n’a rien perdu de sa force."
Georgia Spiropoulos
"Ce que j’aime dans la musique de Fausto c’est le mélange subtil entre la rigueur de l’écriture et une distorsion du son qui casse le conformisme et les préceptes acoustiques tout en les maîtrisant . J’avais des échanges téléphoniques avec Fausto presque tous les soirs entre Milan et Paris . Il me poussait à assumer mes libertés de l’imagination"
Michael Levinas
"An Index of Metals est un chef-d'oeuvre. Ce qui m'a profondément marqué dans la musique de Fausto Romitelli c'est sa capacité à extraire d'autre répertoires un "sound" à travers la construction d'un processus de filtrage tellement naturel et personnel. J’ai toujours été intéressé par son exigence, sa technique et son ouverture sur la production musicale contemporaine, au-delà des styles, des grammaires, des étiquettes. Romitelli regarde le monde avec une perspective nouvelle, en traversant des paysages musicaux différents mais en explorant ses abysses. An Index of Metals nous invite à un voyage mystérieux, hallucinant, relié par une énergie hors temps, encore tellement vivante et actuelle."
Matteo Franceschini
n°3 : Concertini d’Helmut Lachenmann (2005)
Avec huit voix, Concertini d’Helmut Lachenmann rejoint la 3e place du classement.
"Concertini de Helmut Lachenmann est d’une certaine manière, la culmination des recherches effectuées par le compositeur les cinquante dernières années. La pièce réunit l’exploration sonore de la musique concrète instrumentale, un traitement rigoureux de la forme à grand échelle, l’utilisation des citations et situations du type « concertantes » (avec ses solistes), un travail de spatialisation de l’ensemble inouï et une grande beauté expressive. Malgré l’aspect « déconstruit » et labyrinthique dans le traitement du matériel chez Lachenmann, la musique est fluide et respire comme dans les grandes symphonies romantiques. Concertini est un véritable tour de force qui s’impose."
Roque Rivas
"Le grand choc de la musique de Lachenmann est, à chaque fois, l’imprévisibilité et la magie de la durée. Au-delà de son vocabulaire et de son esthétique, restent pour moi ses architectures étendues et instantanées, ces territoires âpres et tendres qui nous soustraient à la réalité où, comme le temps à la vitesse de la lumière, le vécu est tellement intense que la durée hypnotique de la pièce se vit comme un instant. Concertini a été pour moi de ces œuvres-là, clé d’un univers hyper-expressif."
Ramon Lazkano
"L'œuvre de Lachenmann prend sa forme caractéristique bien avant Concertini, mais pour de nombreux compositeurs des jeunes générations, elle est le grand jalon de sa musique au 21e siècle - à la manière de Kontradenz ou Mouvement pour le 20e - . C’est ici que l'on entend la pleine expression d'un univers musical, sonore et conceptuel qui est pour beaucoup l'une des esthétiques les plus énergiques, à la fois en termes d’impulsion et de propulsion. L’imagination sonore instrumentale et conceptuelle de Lachenmann est telle que tout devient possible; grâce à l’écoute, tous les sons (même les plus étranges et les plus inconnus) deviennent un support merveilleux du langage musical. On entend encore chez Concertini, mais au XXIe siècle, cette ouverture infinie à l'esprit et à l'oreille, rendant possible bien d’autres types de musiques."
Fabià Santcovsky
n°4 : Skin de Rebecca Saunders (2016)
Avec sept voix, Skin de Rebecca Saunders rejoint la 4e place du classement.
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"Skin de Rebecca Saunders est une pièce enivrante! Le corps à corps d'une voix mutante prend place, au plus proche, dans l'instant. C'est l'immédiateté de la sensation qui nous saisit, qui fait "peau" et attire irrésistiblement dans l'écoute"
Pascale Criton
"Skin, un titre qui frappe immédiatement l’imagination. L’un des buts associés aux sens multiples de ce mot est d’écorcher la surface des choses pour aller voir à l’intérieur. Ici, la voix est intégrée à l’ensemble des 13 instruments, elle nous parle de l’intérieur, elle partage les mêmes matériaux que chaque instrument pour former une mélodie infinie. L’environnement de cette mélodie constitue un paysage acoustique minutieusement travaillé, qui représente une surcharge d’énergie évidente, comparable, ainsi que le dit la compositrice, à la colère divine."
Suzanne Giraud
"Skin est remarquable. Rebecca Saunders entend chaque son, chaque détail de façon si claire qu’elle transmet cette vitalité musicale au public. J’ai entendu la pièce pour la première fois à Porto en 2017 et le concert était électrisant: on pouvait presque entendre le public retenir son souffle avec la soprano Juliet Fraser. L’écriture vocale est si intime et pourtant si violente, si viscérale, si physique. Juliet se l’approprie entièrement, tout en laissant libre l’auditeur. Skin est d’une grande sauvagerie. J’adore cette oeuvre."
Philip Venables
n°5 : Limited Approximations de Georg Friedrich Haas et Speakings de Jonathan Harvey (ex aequo)
Deux œuvres se partagent la 5e place du classement, avec cinq voix chacune : Limited Approximations de Georg Friedrich Haas (2010) et Speakings de Jonathan Harvey (2008).
- Limited Approximations de Georg Friedrich Haas (2010)
"Limited approximations, c'est comme se perdre dans un océan de textures et de couleurs et de températures merveilleuses et effrayantes à la fois. Une musique vertigineuse, à la virtuosité d'écriture et d'orchestration sans pareille, nouvelle, étonnante et hypnotisante."
Arthur Lavandier
"Limited Approximations est la porte d'entrée vers un autre monde. On se retrouve submergé dans un amas sonore mouvant et massif. L’écriture spectrale appliquée à l'orchestre mène à des découvertes timbales inattendues. La version 2.0 de Ligeti peut-être?"
Etienne Haan
L'écriture de Haas est pour moi singulière et d'une grande force expressive. Un univers hyperactif de paysages microbiologiques. On se trouve face à des éruptions de matières incandescentes, à des matériaux mutants qui émergent dans des espaces immenses et qui vous submergent ensuite dans des profondeurs infinies. L'oeuvre est menaçante, orgueilleuse : c’est une pure merveille.
Arturo Gervasoni
Je trouve que Limited approximations est un feu d’artifice en matière de couleurs instrumentales. Georg Friedrich Haas propose une synthèse magique obtenue par les textures créées par les 6 pianos et l'orchestre. Une expérience musicale quasi mystique.
Victor Ibarra
- Speakings de Jonathan Harvey (2008)
"Cette pièce représente pour moi, depuis sa création en 2008, un point d’équilibre rare entre modernité et tradition. Tout y est : l’imagination harmonique, mélodique, rythmique, et dans le domaine du timbre ; une conception novatrice du rôle de l’électronique en lien avec l’orchestre pour évoquer la parole humaine... et au final, une portée poétique et spirituelle – le tout sonnant de manière puissamment originale"
Franck Bedrossian
J’ai pu assister à la création de ce chef-d'œuvre à mon arrivée à Paris. Encore aujourd'hui, je reste saisie par l'extraordinaire lyrisme de cette pièce, mais aussi son énergie et sa portée spirituelle. La forme musicale est très naturelle et captivante. Personnellement, je trouve la montée vers le climax bouleversante. Le silence qui succède à l'œuvre possède une magie unique.
Núria Giménez Comas
"Les compositeurs s’intéressent aux œuvres de manière très égoïste : il faut avant tout qu’elles apportent quelque chose à leur propre musique. En parlant de Speakings, je vais donc parler de moi et surtout de ma stupéfaction totale à son écoute : cela faisait une décennie que je cherchais de manière isolée, obsessionnelle et un peu empirique comment faire "parler" l’orchestre ; et là, au début des années 2000, le génie de Jonathan Harvey, aidé par Gilbert Nouno et les technologies de l’Ircam me montraient qu’ils avaient, génialement donc, déjà atteint cette Everest, et très bien réglé le problème !"
Pierre Charvet
"Musique vocale sans la voix, projet utopique (faire parler un orchestre), le propos de Speakings est mené de bout en bout avec détermination et maîtrise technique avec un dispositif technologique au service exclusif du projet et de sa dimension poétique et lyrique. La conduite dramaturgique de l'œuvre prend l'auditeur par la main pour l'amener pas à pas vers la seule expression vocale réelle qui sera présente à la fin de l'œuvre :celle d'un nouveau né."
François Paris