Les Ebène au Kenya, épisode 3 : Ghetto Classics, la musique au cœur d'un bidonville
Par Sofia AnastasioDepuis un an le Quatuor Ebène parcourt le monde pour jouer et enregistrer l’intégralité des quatuors à cordes de Beethoven sur les 6 continents. En décembre 2019 à Nairobi, ils en ont profité pour passer deux jours avec l’association Ghetto Classics, dans le bidonville de Korogocho.
Bordé d’une immense décharge à ciel ouvert, le bidonville de Korogocho à Nairobi abrite en son sein un auditorium extrêmement coloré. C’est ici que se réunissent chaque semaine les 350 jeunes qui participent au programme orchestral et social Ghetto Classics. Fondé il y a 11 ans par Elizabeth Njoroge, ce programme leur offre un enseignement de la musique classique, qui les aide à sortir plusieurs fois par semaine de leur quotidien très défavorisés.
Pendant deux jours en décembre, ces enfants et adolescents ont pu bénéficier de cours particulier du Quatuor Ebène. Divisés en section, premier violon, deuxième violon, alto et violoncelle, ils ont répété A Christmas Festival, morceau qu’ils devaient jouer quelques jours plus tard en concert.
Ces heures d’enseignements ont été bénéfiques selon Peter, premier violon de Ghetto Classics, âgé de 18 ans. Il vit à deux cent mètres de l’auditorium et étudiait avec Pierre Colombet, premier violon du Quatuor Ebène : « C’était vraiment sympa de travailler avec lui. J’ai vraiment beaucoup appris, à m’exprimer plus et accompagner les mouvements des notes avec mon corps. Ça m’a donné envie de travailler encore plus, comme ça je pourrais jouer comme eux peut-être un jour ».
« J’ai l’impression qu’aujourd’hui j’ai joué »
Les Ebène se sont également joints aux jeunes de Ghetto Classics pour jouer avec eux en orchestre pendant la répétition. Et être assis à leurs côtés était très motivant explique David, violoniste : « Ça m’a motivé et je ne sais pas comment exprimer cela mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui j’ai joué. J’ai joué parce que je les ai suivis, j’ai écouté la façon dont ils jouaient et j’ai essayé de copier. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose ».
Pendant les deux jours de cette visite, à chaque occasion, en faisant la queue pour aller manger ou pendant les séances de classe, les élèves ont posé beaucoup de questions aux musiciens, comme en témoigne Marie Chilemme, altiste du Quatuor Ebène : « On sent qu’ils ont ce besoin et ce désir d’apprendre et de capter un peu tous les conseils qu’on pourrait leur donner. »
Lorsqu’elle leur a demandé comment elle pouvait les aider, un élève lui a notamment répondu « moi j’aimerais vraiment savoir vibrer ». « Ils ont soif de ça, de nos conseils. Un autre élève casse sa corde, et il me dit que c’est la cinquième corde qu’il casse, la corde de mi, que c’est peut être son chevalet qui va pas. Et on lui a dit d’essayer de mettre un peu de crayon sur le coin où il pose sa corde, sur le chevalet, on lui a expliqué que ça allait l’aider et il était super content. »
« Pour eux, voir des musiciens de ce niveau élargit le champs des possibles. »
« J’ai jamais vu autant de personnes heureuses de jouer de la musique, quelque soit leur niveau. C’est absolument incroyable de vivre un truc pareil », déclare le deuxième violon du Quatuor Ebène, Gabriel Le Magadure. Et son enthousiasme est entièrement partagé par Elizabeth Njoroge la fondatrice du programme : « La venue des musiciens est merveilleuse, et pour tellement de raisons différentes. Ils vont nous laisser des techniques qu’on avait pas, ils vont donner du courage à nos élèves. Pour eux, voir des musiciens de ce niveau élargit le champs des possibles. »
Elizabeth Njoroge raconte qu’elle était en train de discuter avec le directeur musical de Ghetto Classics, en les écoutant jouer, et que tous deux se sont dit « Wouah, ils sonnent déjà différemment ! Ils sont accordés, ils jouent ensemble, les sons sortent… Et ça en seulement une heure ».
Cette visite fut ponctuée par un concert du Quatuor Ebène. Ils ont joué du Beethoven avec les instruments de Ghetto Classics. Un archet de violoncelle n’a cependant pas survécu. Et tous désirent prolonger cette rencontre par de nouveaux échanges.
Le reportage de Sofia Anastasio à écouter dans ce Classique info du 27 décembre