Les mairies écolo ont-elles une dent contre la musique classique ?
Par Louis-Valentin Lopez
En mars, la baisse de 500 000 euros de la subvention municipale à l'opéra de Lyon entraînait une levée de boucliers. Assez pour alimenter un petit refrain selon lequel les écologistes souhaiteraient, dans leur agenda politique, s'en prendre à la musique classique. France Musique a vérifié.
La subvention municipale de l’opéra de Lyon amputée de 500 000 euros. Il n’en fallait pas plus pour faire pleuvoir, début mars, un torrent de critiques sur la nouvelle mairie écologiste, alimenté par l’opposition. Le sénateur Les Républicains du Rhône, Étienne Blanc, prophétisait alors à notre micro une « révolution dans les politiques culturelles lyonnaises » avant de fustiger une « volonté de détruire l’excellence ». Les commentaires sur les réseaux sociaux sont aussi évocateurs :« les Verts n’aiment pas la culture », ou « dès qu’on parle de culture, l’écolo sort sa mitrailleuse ». Des critiques qui ne sont pas sans rappeler l’épisode des Musiciens du Louvre : il y a sept ans, le maire de Grenoble, Éric Piolle – premier élu écologiste à la tête d’une grande ville – décide de supprimer purement et simplement la subvention de la ville à l’ensemble de musiciens (438 000 euros tout de même), évoquant un recentrage local.
Le nouveau coup de rabot de l’équipe de Grégory Doucet vient donc raviver la crainte (le fantasme ?) d’élus écologistes « anti-culture », plus particulièrement « anti musique classique », considérée comme un genre élitiste et excluant. Le nerf de la guerre, c’est bien évidemment l’argent : les subventions et dotations municipales, qui alimentent l’opéra, les événements et festivals dédiés à la musique classique ainsi que les formations musicales.
Pour démêler le vrai du faux, France Musique a interrogé plusieurs adjoints à la culture de grandes « villes vertes ». Strasbourg, Bordeaux, Besançon, Tours, Poitiers : il apparaît alors que, loin d’être considérée comme la dernière roue du carrosse, la musique classique est dans ces villes estimée, et plutôt valorisée. Avec, certes, une approche pratique qui diffère souvent des mandatures précédentes (Précisions : l’adjointe à la culture de Lyon n’a pas pu donner suite à notre demande d’interview, et la mairie de Grenoble n’a pas trouvé le temps nécessaire pour nous répondre).
Des opéras bien pourvus
L’opéra – dans les villes vertes concernées – occupe une très large portion du budget alloué à la culture. Lyon mis à part, trois autres métropoles écologistes hébergent une maison lyrique : Strasbourg, Bordeaux et Tours. Et, dans aucune de ces villes, il n’est pour le moment question de toucher à la subvention municipale.
Tours défend avec une ardeur toute particulière son Grand Théâtre, qui dispose d’un budget annuel de 6,4 millions d'euros. « Et la ville en est le premier contributeur, avec 3 millions et demi d’euros. On est à plus de 50% du budget de l’Opéra, ce qui est très important pour une ville comme la nôtre », tient à souligner Christophe Dupin, adjoint à la culture et à l’éducation populaire : « On l’a maintenu et on est dans l’optique de le maintenir sur les années à venir », poursuit-il, en essayant tout de même de voir « si d’autres partenaires peuvent aussi augmenter un peu plus leur participation. »
Le nouveau directeur de l’établissement, Laurent Campellone (nommé en septembre), semble lui aussi confiant du présent mais aussi de l’avenir de l’institution. « Je suis arrivé avec un projet très clair qui était celui de la remise en route de cet établissement. J’ai eu à mes côtés un adjoint à la culture et un maire (l’écologiste Emmanuel Denis, ndlr) extrêmement enthousiastes, persuadés qu’il fallait relancer ce lieu sans attendre », se réjouit-il, évoquant une « collaboration très fructueuse » : « On ne m’a jamais dit non, on ne m’a jamais imposé de chose. J’ai des interlocuteurs qui portent des valeurs humaines, qui ont la nécessité de remettre la culture au centre de tout. Il ne peut pas y avoir mieux. C’est une collaboration qui va dans le même sens, et qui jusqu’à présent est plus qu’enthousiasmante. »
"Conserver les moyens, c’est déjà fondamental et ça donne des perspectives. Si demain, l’État ou la ville nous disait doubler les moyens, on serait très heureux. Mais déjà, avoir une garantie, malgré le fait qu’on n’a pas pu jouer pendant des mois…" Laurent Campellone, directeur du Grand Théâtre de Tours
À Bordeaux, une coupe de la subvention municipale versée à l’opéra national – qui dispose d’un budget annuel d’environ 30 millions d’euros – n’est pas non plus à l’ordre du jour, nous fait savoir l’Hôtel de ville. « La ville de Bordeaux approvisionne la régie de l’ONB à hauteur de 16 millions par an. À savoir aussi que l’année dernière, et encore cette année, on est venus l’aider exceptionnellement de plus de 700 000 euros pour combler un déficit », signale Dimitri Boutleux, adjoint en charge de la création et des expressions culturelles auprès du maire de Bordeaux Pierre Hurmic, également président de l’établissement : « L’opéra est donc à budget constant, avec des aides en plus durant le Covid. »
Enfin, l’opéra de Strasbourg (l’opéra national du Rhin), peut lui aussi compter sur la pérennité de sa subvention municipale de 6,8 millions d’euros, nous indique Anne Mistler, adjointe aux arts et aux cultures auprès de la nouvelle maire écologiste Jeanne Barseghian : « Il y a un public très fidèle et important à Strasbourg, qui est une ville de culture plus que séculaire. Les budgets de la ville de Strasbourg sont conséquents et importants depuis de très nombreuses années, et sont bien évidemment maintenus. »
Des formations et des festivals valorisés
Qu’en est-il, à présent, des dotations versées aux formations musicales, aux événements et festivals dédiés à la musique classique dans les « villes vertes » ? Là encore, ces subventions sont globalement similaires aux mandatures précédentes. La ville de Poitiers, par exemple, accueille trois orchestres à subventions constantes : l’orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine, doté à hauteur de 34 000 euros par la ville, l’ensemble Art Nova (41 000 euros) et l’orchestre des Champs-Élysées. « L’orchestre des Champs-Élysées reçoit une subvention de 5 000 euros mais nous allons vraisemblablement l’augmenter du tiers, parce qu’ils font un travail remarquable de médiation autour de la musique classique sur le territoire », nous précise Charles Reverchon-Billot, adjoint aux espaces publics et délégué aux droits culturels pour la ville de Poitiers.
À noter aussi les soirées lyriques de Sanxay, dans la communauté urbaine, aidées à hauteur de « 64 350 euros très précisément ». Sans oublier le Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP) : « Beaucoup d’ensembles, d’orchestres, viennent s’y produire ou enregistrer. » Le budget alloué aux représentions de musique classique au sein de la structure n’est « pas chiffrable parce que fondu dans la subvention qu’on adresse au TAP, mais c’est assez conséquent », juge l’adjoint.
« Quand nous sommes arrivés, une des premières actions était de sanctuariser l’aide au secteur culturel. Les subventions sont constantes en 2021. Il n’est pas question demain de baisser ce soutien au secteur de la musique classique », poursuit l’élu pictavien. Son homologue tourangeau va dans le même sens : « À Tours, il y a une vieille tradition de musique ancienne avec cinq ensembles qui sont soutenus par la ville. On a maintenu le soutien financier de fonctionnement à ces ensembles », affirme Christophe Dupin. Quant à Besançon, l’orchestre Victor Hugo est « soutenu à plus de 800 000 euros par an en fonctionnement, ce qui n’est pas négligeable. On est le financeur le plus important », observe Aline Chassagne, l’adjointe à la culture.
Toujours dans le Grand Est, à Strasbourg, Anne Mistler met en exergue la subvention accordée à l’Orchestre philharmonique (9,9 millions d’euros), une « formation tout à fait excellente et importante ». « Par ailleurs, cet orchestre est devenu un établissement public depuis le 1er janvier de l’année passée, mais la dotation de la ville de Strasbourg n’a pas baissé pour autant », note-t-elle : « Il n’a à aucun moment été question de la baisser. Par ailleurs, il n’est pas impossible qu’elle soit augmentée. Cela dépend d’un développement éventuel que porterait l’orchestre. On est actuellement, compte-tenu du contexte général, sur une reconduction du soutien de la ville de Strasbourg, qui est constant depuis des années. »
Quelques coupes assumées
Mais ces subventions doivent-elles pour autant être considérées comme acquises ? À Besançon, rien n’est gravé dans le marbre. « Les subventions, ce n’est pas automatique », juge Aline Chassagne. « C’est de l’argent public. Où va l’argent public ? À qui sert-il ? Ce sont des questions légitimes. Nous sommes aussi dans un mouvement de questionnement de la place de la culture dans la société, on l’a vu au cours des derniers mois, on ne peut pas fermer les yeux ». Et l’élue de prévenir : « Je ne dis pas que dans les années à venir une baisse de ces subventions est inenvisageable, pour l’instant elle n’est pas abordée. Des réajustements sont envisagés, des coupes franches, pas à ce jour. »
« Le Festival international de musique était exceptionnellement excédentaire, puisqu’un certain nombre d’événements n’ont pas pu se dérouler. Après des discussions avec la présidente, le directeur et d’autres membres du CA, on a convenu que la subvention totale n’allait pas être versée. Grâce à eux, on a pu redéployer une enveloppe pour soutenir les acteurs et les artistes en difficulté au niveau de la ville » - Aline Chassagne, adjointe à la culture de la ville de Besançon
De son côté, l’équipe écologiste de Tours a taillé légèrement dans les subventions versées à deux festivals : le festival de la Grange de Meslay et le festival Concerts d’automne. Chacun de ces deux événements a vu sa dotation municipale passer de 70 000 à 60 000 euros. Deux grignotages tout à fait acceptés par les organisateurs, selon l’adjoint à la culture Christophe Dupin : « Ces événements ont bien compris qu’on avait des objectifs à mettre en place. On a jugé que ça ne mettait pas en péril leur organisation et que ça nous permettait de développer plein d’événements par ailleurs », explique l’élu. « On veut notamment mettre un maximum d’habitants dans de la pratique artistique, à travers de petits lieux culturels dans différents endroits de la ville, des résidences d’artistes... Développer aussi des domaines comme les arts plastiques, le slam. Tours va, d’ailleurs, devenir la capitale de France du slam ! »
Aider le développement d'autres courants artistiques, c’est aussi l’objectif affiché sans ambages par la mairie écologiste de Lyon, vertement critiquée début mars après sa décision d’amputer de 500 000 euros la subvention municipale dédiée au fonctionnement de l’opéra_._ « Le budget de la ville de Lyon est depuis longtemps orienté sur les grandes institutions. 95% de mon budget, de plus de 100 millions d'euros par an, est absorbé par une dizaine d'équipements », nous expliquait ainsi Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la mairie de Lyon déléguée à la culture : « Je suis aussi dans la nécessité de trouver de nouvelles marges de manœuvre pour aider d'autres disciplines, d'autres esthétiques, comme le cinéma ou la photographie contemporaine. »
L’élue assumait également de baisser cette subvention au regard de la situation économique de l’opéra, « moins que d’autres structures lyonnaises impacté par la crise du Covid », évoquant également les aides « exceptionnelles » allouées à l’établissement, notamment de la part de l’État : « C’est une grande institution qui est plus en situation de vivre cette période de crise sanitaire ».
Sortons la calculette. 500 000 euros ont été supprimés sur un budget total de 38 millions d’euros annuels, soit une baisse d’1,30 % : la coupe budgétaire, intimidante sur le papier, est marginale. Force est tout de même de constater qu’elle est plus significative si l’on se base sur la subvention municipale dédiée au fonctionnement de l’établissement, qui passe de 7,5 millions à 7 millions. Soit une diminution de 6,6%, qui va « forcément fragiliser et réduire les projets artistiques, culturels et sociaux mis en œuvre par l’Opéra de Lyon dans la cité, en métropole et en région », pointait alors Serge Dorny, directeur de l’opéra.
La défense des "droits culturels"
Plus qu’une question de budget et de dotations, qui restent globalement stables, il semble que ce soit au niveau de l’approche pratique et sociale que se définisse la « politique classique » des mairies vertes. « Brassage », « ouverture », « découverte » sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche des élus écologistes. C’est en fait la notion de « droits culturels », mise en avant par plusieurs mairies vertes : permettre un accès le plus large possible à la culture.
À Bordeaux, Dimitri Boutleux évoque le rôle fondamental selon lui de l’espace public. « Il s’agit de ramener la musique classique, la musique tout court dans l’espace public. L’ensemble Pygmalion a, par exemple, un certain talent pour aller dénicher des lieux pour des concerts. La culture c’est le brassage, et la musique classique c’est du brassage mais c’est aussi savoir créer une harmonie, donc savoir écouter l’autre et regarder l’autre aussi. » Cela induit certaines attentes, notamment vis-à-vis de l’Opéra National de Bordeaux : « Dans la nouvelle équipe municipale, on a l’ambition que cet effort que l’on fait (la subvention à l’opéra, ndlr) doit être reversé de manière plus visible auprès des habitants, donc on va avoir une exigence peut-être un peu plus appuyée auprès de l’opéra pour des actions d’éducation artistique et culturelle, de la présence à l’hôpital en passant par les écoles et les prisons. »
« Il faut que la musique classique continue de se désenclaver, qu’on puisse continuer à faire plaisir aux "experts", mais que cela puisse atteindre de la même façon les "non connaisseurs" » , abonde Aline Chassagne à Besançon. « Un des gros problèmes, c’est le fait de jouer dans certains lieux, avec un certain entre soi, pour une certaine partie de la population. Notre idée à Besançon n’est pas de mettre à mal les ressources, parce qu’on en a besoin, mais plutôt d’utiliser ces budgets et ces forces vives pour les insuffler dans les écoles, dans des lieux qui ont besoin de s’émanciper, de s’évader. Les maisons de quartier, la prison… », égrène-t-elle, en écho à l’adjoint bordelais.
Dimitri Boutleux ne souhaite pas s’épancher sur la petite polémique du mois d’avril : une campagne publicitaire de la ville qui interrogeait la place de la culture à coup de questions considérées assez largement comme maladroites, telles que « Artiste, c’est un métier ? » ou encore « La culture, ça coûte trop cher ? ». « Malgré la crise, on a quand même tenu à ce que le budget de la culture soit symboliquement en augmentation, il a été légèrement augmenté », se défend l’élu (ce budget est d’environ 29 millions d’euros). « Ce n’est pas un débat qui me plaît beaucoup. Au quotidien, on est quand même ultra focalisé sur les dossiers, comment aider les artistes… Ça fait un an qu’on essaie de faire survivre la culture », argumente-t-il. Bordeaux, Strasbourg, Besançon, Tours, Poitiers : tous les élus écologistes interrogés confient ne pas avoir envie de rentrer dans ces polémiques. Ni de les alimenter.