Les orchestres à l'école dopent le marché des instruments de musique en France
Par Victor Tribot LaspièreDe plus en plus plébiscitée en France, la pratique collective de la musique à l’école a un effet positif sur le marché des instruments. Ce seront bientôt près de 44 000 enfants qui bénéficieront de cet encadrement, et autant d'instruments.
C’est la première fois qu’une étude de ce type est réalisée. Vendredi 1er juin à l’occasion du salon Musicora à Paris, la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) présentait les conclusions d’une grande enquête portant sur le marché des instruments de musique en France. Réalisée par le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) pour le compte de la Direction générale des entreprises (DGE), elle livre pour la première fois un panorama de l’activité économique du secteur. Luthiers, facteurs, magasins, etc. vendent chaque année 1,6 million d’instruments en France pour un marché évalué entre 375 et 417 millions d’euros.
Si la santé du marché français semble plutôt bonne, c'est que le secteur a su mettre en place des leviers pour soutenir son activité. Ce fut le cas en 1999, année où la Chambre syndicale de la facture instrumentale a l’idée de créer les Orchestres à l’école. Une idée gagnante car aujourd'hui, on compte 1 230 orchestres en France dans lesquels on pratique collectivement la musique. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter là, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a annoncé un plan de renforcement des budgets alloués aux deux associations les plus importantes agissant en ce sens : Démos et Orchestre à l’école.
En 1999, l’équipe de la CSFI prend conscience que la France est en retard par rapport à ses voisins. La pratique instrumentale collective chez les enfants représente moins de 3%. L’idée est d’inciter et de soutenir des porteurs de projet qui localement souhaitent créer un orchestre dans une classe primaire ou de collège. En facilitant la pratique d’un instrument par des enfants de classes sociales assez éloignés de ce type de loisirs, la CSFI mise sur l’avenir. C'est ce qu'explique Jérôme Selmer, pdg du groupe du même nom et vice-président de la CSFI : « Les orchestres à l’école se dotent généralement d’instruments de moyenne gamme, donc qui ne proviennent pas de chez nous. Mais nous faisons le pari que ces enfants vont poursuivre l’apprentissage de la musique et voudront acquérir un meilleur instrument, en phase avec leur progression ».
C’est ce que confirme Marianne Blayau, déléguée générale de Orchestre à l’école, association désormais totalement indépendante de la CSFI : « Cela fait partie des conditions que nous imposons aux porteurs de projet qui viennent nous voir. Il faut que les instruments soient achetés localement. Il est très important qu’un partenariat se créé avec un revendeur local pour soutenir ces artisans et pour faciliter la logique d’entretien des instruments. Les enfants visitent les ateliers, apprennent comment fonctionne leur instrument, comment en prendre soin ».
Un vrai coup de pouce pour la profession
Les Orchestres à l’école sont généralement des projets prévus pour durer trois ans, c’est-à-dire trois ans de travail garanti pour les ateliers, les revendeurs ou les luthiers. « Il est important de travailler avec ces professionnels car c’est aussi la certitude que les enfants jouent sur de bons instruments, explique Marianne Blayau. Les parcs instrumentaux sont constitués d’instruments d’étude, qui sont faits pour durer quelques années. Parfois, des collectivités essaient de faire des économies en prévoyant d’acheter des trompettes à 80 euros, par exemple. Ce n’est pas possible, nous ne rentrons pas dans ce jeu-là ».
Lors du montage d’un dossier, l’association Orchestre à l’école prend en charge la moitié du coût du parc instrumental. L’autre moitié doit être financée par les collectivités, les écoles de musique ou des mécènes privés en lien avec les porteurs de projet. Avec une moyenne de 16 000 euros pour un parc instrumental, cela représente un vrai plus pour les revendeurs d’instruments concernés. C’est le cas de Jonathan Ollivier, vendeur et réparateur d’instruments à vents installé à Agen depuis 2008.
Il a signé un contrat avec six écoles et collèges des environs. Un chiffre qui grimpera à dix prochainement. Jonathan Ollivier fournit les instruments pour ces harmonies. Sa prestation comprend également une année offerte d’entretien puis les deux autres années sous forme de forfait. « Chaque été, je me retrouve avec l’intégralité des instruments de tous les orchestres pour la révision annuelle. C’est un très gros volume de travail mais cela représente un vrai coup de pouce pour mon entreprise », explique le patron.
« Ce que je préfère, c’est le moment où l’on remet les instruments aux enfants. On leur explique le fonctionnement, on leur apprend à en prendre soin. C’est pour cela qu’on travaille dans le milieu de la musique, c’est pour ces moments de joie, pour que tout le monde puisse en profiter », précise Jonathan Ollivier. A la fin du contrat, généralement trois ans et parfois plus, les instruments reviennent aux porteurs de projet. Parfois, les enfants qui souhaitent poursuivre leur apprentissage peuvent se les faire prêter ou louer. « C’est aussi un investissement pour l’avenir, explique Jonathan Ollivier. En évoluant, les enfants qui continuent, veulent passer à un meilleur instrument et il y a des grandes chances pour qu’ils viennent me voir ».
Reproduire le modèle allemand
C'est ce qui explique pourquoi le marché allemand des instruments de musique pèse plus lourd que le français. Pour Philippe Coutureau, directeur général de Yamaha Music Europe-France et secrétaire général de la CSFI, les allemands ont développé très tôt la pratique collective à l'école.« Il y a une culture musicale très forte en Allemagne et très collective, contrairement à la France qui privilégie la pratique individuelle. On voit le résultat dans le marché allemand qui est beaucoup plus important et qui est le principal fournisseur étranger en France » analyse Philippe Coutureau_._ La CSFI reconnaît donc s'être inspirée du modèle allemand pour créer les Orchestres à l'école.
Par conséquent , la récente annonce de la ministre de la Culture prévoyant d’augmenter sensiblement les budgets (+ 2,6 millions d'euros au total) des deux principales associations œuvrant au développement de la pratique collective à l’école devrait avoir davantage de répercussions sur le secteur et aider sensiblement les petites entreprises à maintenir, voire augmenter leur activité. Selon l'étude commandée par la CSFI, les Orchestres à l'école représentent environ 2 millions d'euros de chiffre d'affaires pour le secteur. Un chiffre qui devrait considérablement augmenter dans les années à venir.
Le marché des instruments de musique en France
Le secteur, qui compte un millier d’entreprises et environ 1 500 salariés, est toujours fragile mais a su rebondir après la crise et semble s’être normalisé depuis 2012. Un chiffre important à prendre en compte, les entreprises françaises réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaire à l’export : en 2015, 61% des instruments de musique fabriqués en France étaient vendus à l’étranger. Autre enseignement important qui vient tordre le cou à une idée reçue largement répandue : internet n’a pas fait autant de mal au secteur qu'on pourrait le penser. Seulement un instrument ou accessoire sur quatre est acheté en ligne. Les magasins revendeurs sont toujours plébiscités par les clients.
Globalement, le secteur reste fragile en raison d’une balance commerciale négative. La France importe beaucoup plus qu’elle n’exporte, et subit l’invasion des instruments d’entrée et de moyenne gamme en provenance d’Allemagne et de Chine. C'est surtout la performance des entreprises françaises haut de gamme, comme Selmer (fabriquant de saxophones et de clarinettes) qui est reconnue dans le monde entier. L'entreprise de 500 salariés est installée dans les Yvelines et 85% de sa production est vendue à l’export.