Les professionnels de l'enseignement musical interpellent les candidats à la présidentielle
Par Suzana KubikMéconnaissance des missions et du statut, précarité, crise des vocations…les professionnels de l’enseignement musical espèrent sensibiliser les candidats à la présidentielle sur leur situation professionnelle et sociale. Et appellent à une refondation de l’enseignement artistique en France.
Il y a d’un coté le mal-être des professeurs de conservatoire et des écoles de musique. Le 24 mars le Syndicat National des Enseignants Artistiques SNEA-UNSA adressait une lettre ouverte aux candidats à la présidentielle, accompagnée d’ une pétition en ligne : « L'ensemble des enseignants artistiques, du public comme du privé vit de plus en plus mal sa condition d'artiste-enseignant, souvent incompris, non respecté professionnellement et socialement, de plus en plus qualifié et paradoxalement, mal rémunéré », peut-on y lire. Oubliés par le gouvernement actuel, absents de la campagne présidentielle, les professeurs des conservatoires et des écoles de musique seraient face à « un mouvement de déstabilisation sans précédent » à cause « d'un statut de plus en plus hybride qui créé de nombreuses dérives », explique Michel Ventula, secrétaire général du SNEA-UNSA. Leurs missions d'enseignement artistique sont définies par les textes du ministère de la Culture, mais leurs employeurs sont les collectivités territoriales, précise le syndicaliste. Face au désengagement financier de l'Etat, ce sont ces dernières qui redéfinissent à la fois les conditions d'embauche et les missions des enseignants artistiques :
« Parfois l’employeur – la collectivité territoriale, notamment dans des établissements de taille modeste – sollicite les professeurs des conservatoires pour intervenir dans des écoles, comme par exemple sur des projets tels que l'Orchestre à l’école, ou dans des centres de loisirs pendant les vacances pour faire de l’animation auprès d’un public non-inscrit au conservatoire. Ce n'est pas leur formation initiale, ni leur mission, souligne le syndicaliste. Il y a une différence entre l'éducation artistique et culturelle qui est du ressort de l'Éducation nationale et des écoles de musique, qui ont une mission d'enseignement artistique. »
Michel Ventula souligne également un autre problème, à savoir la « stagnation des salaires alors que le niveau du recrutement a été relevé. En effet, les quelques 300 000 professeurs des conservatoires et des écoles de musique titulaires relèvent de deux catégories dans la fonction publique territoriale : celle de l’Assistant territorial d'enseignement artistique (ATEA), titulaire d'un diplôme d'Etat (DE), et celle du Professeur d'enseignement artistique (PEA) et titulaire d'un Certificat d'aptitude (CA).
Or, « le DE et le CA ont été homologués au niveau européen : le DE est devenu un diplôme de niveau 6 qui requiert une licence (BAC+3), et le CA passe en catégorie 7, donc un master du niveau BAC+5. Par contre, les grilles indiciaires, calées sur l'Education nationale, n'ont pas été revalorisées. Alors que l'Education nationale obtient une revalorisation, à juste titre, les enseignants artistiques, toutes disciplines confondues, n'ont rien obtenu,» précise-t-il. De plus, certaines collectivités territoriales, pour faire des économies, ferment les postes des PEA, préférant embaucher les ATEA, qui font plus d'heures et sont moins payés, poursuit-il. Ce qui représente une différence de salaire qui peut aller de 200 à 600 euros brut, en début et fin de carrière.
Professeurs des conservatoires et dumistes, même combat
Autre métier en tension, celui des musiciens intervenants, les dumistes, qui serait même menacé selon la Fédération Nationale des Musiciens Intervenants. Alors que l'employabilité des dumistes à la sortie des CFMI (Centres de formation des musiciens intervenants) est de 100%, selon le Conseil national des CFMI, les organismes de formation ont du mal à recruter les candidats. Or, en 40 ans d'existence, ils ont formé environ 4500 dumistes - 70% sont des femmes, dont seulement 1 500 sont titularisés. « On parle de 100% d'employabilité, mais sur des emplois précaires, souvent sous-rémunérés, des heures cumulées entre plusieurs collectivités, des CDD avec des périodes de chômage entre les deux, et avec un salaire autour de 1200 à 1300 euros, ce n'est pas ce qui va attirer les candidats », nuance Olivier Hégo de la FNaMI.
Pourtant, en 40 ans d'existence, le métier a évolué : initialement imaginé pour les besoins de l'éducation musicale en milieu scolaire, un musicien intervenant peut aujourd'hui travailler en milieu hospitalier ou social, ou dans des structures réservées à la petite enfance. « Au bout de quelques années à exercer, les gens quittent le métier pour devenir notamment professeurs des écoles ou professeurs de musique au collège. Avoir une solide formation en musique, faire ensuite un cursus universitaire, passer un concours qui est très difficile à avoir quand il a lieu, tout cela pour arriver à ce type d'emploi, sans aucune perspective d'évolution de carrière, ils optent pour la reconversion. »
Pourtant, les dumistes étaient à l'origine placés à égalité avec les instituteurs, qui ont entretemps évolué vers le grade de master, permettant aux professeurs des écoles un reclassement en catégorie A. Les dumistes sont restés agents de catégorie B avec une grille salariale très inférieure à celle des autres agents au même niveau de diplôme. A titre d'exemple, en fin de carrière, la différence de salaire entre un professeur des écoles et un dumiste est de 1800 euros brut mensuels. Comment donc passer de la catégorie B à la catégorie A ? En passant le concours interne de la fonction publique, répond le gouvernement. «Sauf que les dumistes n’ont aucune possibilité d’évolution de carrière vers un grade de professeur, car leur discipline n’existe pas dans le cadre d’emploi de professeur. Aucun diplôme n’est reconnu en ce sens, » explique Olivier Hégo.
Le Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale a signalé ce disfonctionnement dès 2017, en soulignant dans un rapport l'urgence d'une revalorisation de la filière entière de l'enseignement artistique. Quatre années plus tard, la situation n'a pas changé.
« Ce qui est paradoxal, c'est que nous sommes des enseignants, précise Olivier Hégo. Nos homologues qui enseignent la musique et l'éducation musicale dans les collèges sont des professeurs certifiés, eux, en catégorie A. Notre coeur de métier, c'est l'éducation artistique et culturelle via la musique dans les classes primaires. Et les besoins sur le terrain sont trois fois plus importants que le nombre de diplômés. » Alors que l'Education artistique et culturelle à l'école est définie comme un axe prioritaire de la politique gouvernementale, sur quels professionnels pourra-t-elle s'appuyer, demande Olivier Hégo.
« Nous nous battons pour l’accès à la catégorie A par la création d’un nouveau cadre d’emploi de 'professeur d’éducation artistique et culturelle', qui pourrait servir de modèle pour toutes les autres disciplines artistiques enseignées à l'école », conclut le professionnel.