Les quatre formations musicales de Radio France réunies dans la « Symphonie des 1 000 »
Par Victor Tribot LaspièreConcert événement et rare ce lundi 29 juillet dans le cadre de la 150e édition des Chorégies d’Orange : les quatre formations musicales de Radio France s’unissent pour jouer la Symphonie n°8 de Mahler, dite « Symphonie des 1 000 ».
Ce n’est pas une œuvre qu’on a souvent l’occasion d’entendre au concert. Idem pour les musiciens qui, pour les plus chanceux, la joueront peut-être deux ou trois fois durant toute leur carrière. Lundi 29 juillet, le théâtre antique d’Orange présente un concert exceptionnel : la Symphonie n°8 de Gustav Mahler. Une œuvre titanesque, créée pour la première fois à Munich en 1910, et qui avait nécessité de réunir 1 029 musiciens : 8 chanteurs solistes, 850 chanteurs, dont 350 enfants et 171 instrumentistes, dont 84 cordes. D’où ce surnom de « Symphonie des 1 000 ».
Heureusement, il est néanmoins possible de monter cette symphonie avec moins d’effectif. Ce sera le cas à Orange, le 29 juillet prochain, où seront réunis « seulement » 411 musiciens, dont 145 instrumentistes, 173 choristes, 85 enfants et les 8 chanteurs solistes. Un effectif instrumental et vocal impressionnant rendu possible grâce à la réunion des quatre formations musicales de Radio France : l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique de Radio France, le Chœur et la maîtrise de Radio France. Le Chœur philharmonique de Munich viendra grossir les rangs. Et c’est au chef finlandais Jukka-Pekka Saraste que revient la responsabilité de diriger tout ce monde.
En raison du nombre important de musiciens qu’elle nécessite, la Symphonie n°8 de Mahler n’est pas donnée souvent et c’est déjà un premier événement. Et là où l’événement du 29 juillet à Orange est encore exceptionnel, c’est que les formations musicales de Radio France n’ont pas souvent joué toutes ensemble. La première fois c’était en 1975 en l’église Saint-Louis des Invalides à Paris, pour un Requiem de Berlioz sous la direction de Leonard Bernstein. Puis les deux orchestres ont été à nouveau réunis en 1977 ; au théâtre antique d’Orange pour jouer la Symphonie n°8 de Mahler, sous la direction de Vaclav Neumann.
Laurence Margely est dans le Chœur de Radio France depuis 23 ans, ce sera la troisième fois qu’elle chante la symphonie des 1 000. « C’est à chaque fois un moment extraordinaire. Le plaisir vocal est immense car Mahler fait appel à toute l’étendue de la voix. On passe d’un extrême à l’autre, du plus petit pianissimo à un triple forte » explique la choriste.
Pour assurer l’homogénéité des voix entre les chœurs allemand et français, Martina Batic, la directrice musicale du Chœur de Radio France, est allée en personne faire travailler les choristes de Munich. « C’est important puisque nous devons avoir la même couleur vocale. Cela demandera toujours une petite adaptation parce que ce ne sont pas les consœurs ou confrères que l’on côtoie au quotidien. D’autant plus qu’avec le très grand nombre de musiciens, nous allons devoir être autonomes et ne pas compter sur le chef d’orchestre pour nous signaler tous les départs. Nous serons également très loin les uns des autres, ce qui demandera une concentration et une précision intense » explique Laurence Margely.
Martina Batic a d’ailleurs pris la décision de mélanger les chanteurs des deux chœurs pour obtenir plus d’homogénéité vocale. L’ensemble des musiciens seront disposés dans le théâtre antique d’Orange, qui peut accueillir jusqu’à 9 000 spectateurs. Un vaste lieu de plein air qui jouit d’une acoustique louée par le plus grand nombre et qui s’avère donc tout à fait adaptée au gigantisme de la symphonie des Mille de Mahler.
Pour Alain Manfrin, tromboniste de l’Orchestre philharmonique de Radio France, Orange est l’endroit idéal. Il était déjà présent lors de la première représentation en 1977. Il faisait partie de la fanfare, un ensemble de 7 cuivres disposé dans la salle, comme le souhaitait Mahler dans sa partition.
« C’est très agréable car nous faisons face à l’orchestre et nous pouvons donc profiter de l’intégralité du son. Et ça fonctionne très bien à Orange. Je me souviens avoir joué cette symphonie au Musikverein à Vienne avec Myung-Whun Chung. La salle n’était vraiment pas adaptée à un tel effectif instrumental et on voyait les gens fuir, tellement c’était désagréable » se souvient le tromboniste.
D’expérience, il sait que réunir deux orchestres n’est pas une mince affaire. « Il faut faire attention aux égos des uns et des autres, comme décider qui sera supersoliste, qui sera chef de rang, etc. » précise Alain Manfrin. L’autre souci, c’est de réussir, à l’instar des deux chœurs qui seront présents, à homogénéiser les pupitres.
« Avec un tel effectif, on peut se sentir un peu perdus » avoue Marion Gailland, violoncelliste de l’Orchestre philharmonique de Radio France. « Il va falloir être particulièrement concentré pour être à l’écoute des autres musiciens, ceux que nous ne connaissons pas ou moins bien, qui n’ont pas forcément les mêmes réflexes. Et il va falloir aussi faire attention à ce que nous ayons assez de place pour jouer, ne pas être trop serrés » explique la musicienne. « Le chef d’orchestre ne pourra pas s’occuper de tout le monde, de gérer les départs ou les attaques des pupitres. Il sera là pour donner l’élan, à nous d’être dans l’écoute » renchérit Alain Manfrin.
Au-delà du concert événement pour célébrer le 150e anniversaire des Chorégies d’Orange, la réunion des formations musicales de Radio France est aussi un symbole. Alors que la présidence de Radio France veut mettre en œuvre un plan d’économie de 60 millions d’euros d’ici 2022, les musiciens craignent un nouveau redimensionnement des formations, voire une fusion des deux orchestres.
Jusqu’à 390 suppressions de postes sont envisagées. En 2015, le Chœur de Radio France avait déjà perdu des postes, de 114 chanteurs, il est passé à 90. « Nous sommes le seul chœur symphonique professionnel de France. Si nous voulons le rester, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre encore des postes. A Orange, avec tous les musiciens, nous allons montrer que nous sommes tous rassemblés pour défendre cette richesse musicale » explique Laurence Margely.
De son côté, Marion Gailland craint que cette réunion ne puisse, au contraire, servir d’argument pour justifier la suppression d’un des deux orchestres de Radio France. « Si on se mélange trop bien, que ça fonctionne bien... ». Mais la violoncelliste préfère voir le concert comme un « moment d’amitié et de partage ».
Concert à suivre en direct sur France Musique, lundi 29 juillet à 21h puis en différé sur France 5 à 22h30.