Les racines blues d'Elvis Presley

Elvis s'est inspiré des cultures afro-américaines et du blues
Elvis s'est inspiré des cultures afro-américaines et du blues

Les racines blues d'Elvis Presley - Culture Prime

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Les racines blues d'Elvis Presley

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Alors que le biopic sur Elvis Presley réalisé par Baz Luhrmann a fait se déhancher le Festival de Cannes, Sébastian Danchin, spécialiste des musiques afro-américaines, revient sur les débuts de celui qui a « révolutionné la musique moderne », en s'inspirant notamment du blues.

Le 5 juillet 1954, quand Sam Phillips auditionne Elvis Presley au Sun Studio, « on dit que c’est le jour qui a révolutionné la musique moderne » déclare Sébastian Danchin, spécialiste des musiques afro-américaines. Pourtant Elvis est « loin d’être un révolutionnaire », c’était plutôt « quelqu’un qui était là au bon endroit et au bon moment ».

Une proximité avec les communautés afro-américaines

Il faut dire qu’Elvis a été à bonne école, dans la mesure où durant son enfance et son adolescence, il a baigné dans les cultures afro-américaines. Né à Tupelo, dans le Mississippi, il est issu d’une famille de Blancs pauvres, dont la précarité égale celle des communautés afro-américaines qu’elle côtoie : « Ces pauvres Blancs étaient souvent aussi pauvres, sinon plus pauvres que les Afro-Américains (…) Il y avait une telle identité de ressenti de la vie et de revanche à prendre sur l'existence, que je pense que la proximité était vraiment là  » souligne Sébastian Danchin. La société d’après-guerre fonctionne alors selon un système de castes, basé sur le niveau de vie de chacun. De fait, alors que la ségrégation ostracise les Afro-Américains, la famille Presley se sent plutôt proche de cette communauté.

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Son père est souvent au chômage, ce qui fait que les Presley déménagent souvent, jusqu’à arriver à Memphis en 1948. Le jeune garçon s’intéresse à la musique très tôt : d’abord à l’église, où il apprend à chanter puis en écoutant la musique hillbilly et country, et surtout en s'initiant au blues et au rhythm and blues.

La découverte du blues

C’est d’abord par la radio qu’il est séduit par cette musique : « Une des forces de la radio, c'est qu'elle se joue de toutes les mesures de ségrégation qui pouvait exister dans le Sud. On pouvait séparer les wagons dans les trains, on pouvait séparer l'arrière et le devant du bus dans les transports en commun. Mais les ondes, ça passe partout » précise Sébastian Danchin, auteur de Elvis Presley ou la revanche du Sud. De plus, Memphis foisonne de musiciens de haut niveau : BB King, Elmore James, Ike Turner… Arpentant la ville et ses bars, Elvis est attiré par le blues. Très tôt, il prend des cours de guitare, car c’est « l’instrument roi du blues ». Ce genre musical lui parle particulièrement car le blues est l’idiome de ceux que rejette le système ; cette musique de solitaire permet d’exprimer douleurs et tourments. En parallèle, il est fasciné par les cultures afro-américaines, que ce soit à l’église ou dans la rue.

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La flamboyance vestimentaire de Memphis

Dans les années 1950, « l’uniforme » du jeune américain se compose d’un T-shirt, d’un jean, coupe en brosse, chewing-gum… à l’opposé des gardes robes flamboyantes portées par les musiciens ou les maquereaux de Memphis. Elvis s’empare de ces tenues pour construire son look : costumes dépareillés, utilisation de couleurs vives comme le rose, le jaune ou le vert électrique et surtout une coupe de cheveux qui va faire le tour du monde.

A l’origine de la banane d’Elvis

La « banane » est indissociable de la silhouette du King, mais si l'on veut en trouver l’origine, il faut se plonger dans les années 1930 aux Etats-Unis. A ce moment-là, la coiffure en vogue chez les Afro-Américains, notamment les musiciens, était la « conk » : en utilisant de la soude caustique, ils lissaient et sculptaient leurs cheveux. Une des dérivées de la conk dans les années 1950 est la banane ou « pompadour, comme l’appellent les Américains, ce qui est quand même plus classe » ajoute Sébastian Danchin. Ainsi, on voit des artistes comme Bobby Bland ou Ike Turner arborer de superbes pompadours. Cette coiffure, Elvis l’adopte immédiatement et y sera très attentif, toujours prêt à dégainer son peigne.

"Elvis the pelvis"

A l’opposé des crooners établis du « monde blanc » qui sont dans l’ensemble plutôt statiques sur scène, comme Sinatra ou Mario Lanza, Elvis s’intéresse à la façon dont les communautés afro-américaines utilisent leur corps et il est fasciné par leur liberté. Parfois, ces danses peuvent être suggestives. Elvis s’en inspire. Ainsi, le producteur Steve Sholes, qui a longtemps travaillé avec lui, racontait qu’Elvis ne pouvait s’empêcher de danser à chacun de ses enregistrements. Les déhanchés d’Elvis vont lui apporter le succès, notamment auprès des adolescentes, mais aussi l’opprobre des milieux bien-pensants. Il devra plus tard se racheter une conduite en participant notamment à des campagnes contre la délinquance juvénile.

Le jour qui a révolutionné la musique moderne

En 1953, il se rend au Sun studio, sorte de photomaton sonore où l’on peut enregistrer un disque contre quelques dollars, afin de pouvoir enregistrer sa voix pour l’offrir à sa mère. Alors, raconte Sébastian Danchin, « il se dit payer pour enregistrer, c’est bien mais être payé pour enregistrer, c’est mieux ». Cela tombe bien, Marion Keisker, la collaboratrice de Sam Phillips, fondateur du studio, l’a repéré et lui propose une audition. Elvis Presley arrive avec un répertoire de country et de ballades sentimentales, qui ne correspondent pas aux attentes du directeur de Sun Studio. Et pendant une pause, Elvis s’amuse avec les musiciens à reprendre That’s all right de Arthur « Big Boy » Crudup, un musicien afro-américain, qui avait jusque-là un succès limité.

« C’est exactement ce que cherchait Sam Phillips » narre Sébastian Danchin. En effet, cet originaire de l’Alabama a baigné dans les musiques noires et s’est pris de passion pour ce répertoire, qui jusque - là était très peu diffusé. A Sun records (le versant disque de son studio d’enregistrement), il a déjà réalisé les premiers enregistrements de BB King ou Bobby Bland. Malheureusement, ce répertoire est très peu viable financièrement : « L'Amérique noire, c'est un marché de niche parce qu’elle représente dix pour cent de la population et qu'après-guerre, elle a un pouvoir d'achat qui est relativement limité» souligne Sébastian Danchin. Dès lors, Sam Phillips recherche un musicien blanc : « il s'était toujours dit que le jour où il trouverait un musicien qui serait capable, non pas d'imiter, et c'est important de le préciser, les musiciens noirs de blues, mais d'avoir la même ferveur et la même charge émotionnelle dans son interprétation, ce jour-là, il avait des chances de réussir à quelque chose et c'est exactement ce qui s'est passé » raconte Sébastian Danchin, qui a longuement échangé sur ce sujet avec Sam Phillips.

Ce premier disque est distribué à travers la ville. Le Disc Jockey Dewey Phillips (qui n’a aucune parenté avec Sam Phillips) le diffuse à la radio et reçoit de multiples appels enthousiastes (47 appels et 14 télégrammes pour être précis). Une partie des auditeurs s’imaginent que le chanteur est afro-américain et l’animateur, lors qu’il reçoit Elvis à l’antenne, lui demande de nommer le lycée où il a suivi des cours, à savoir Humes, ce qui permet à l’auditoire de comprendre qu’il est blanc.

Un succès local

Suite à ce premier disque, Elvis multiple les enregistrements et les concerts à travers son état. Mais, ainsi que Sébastian Danchin le précise : « C'est une musique qui est quand même très sudiste. C'est une musique qui touche un public qui n'existe pas vraiment encore. Le public adolescent, et donc son succès, n'est pas du tout immédiat ». Elvis continue son exploration du répertoire afro-américain et fait des reprises de Junior Parker (Mystery train) ou de Ray Charles, alors peu connu.

Il croise alors la route du « colonel » Parker, ancien forain et escroc notoire, qui prend Elvis sous son aile. Il propose alors à la compagnie de disques RCA-Victor de racheter le contrat du King. Ce rachat, va permettre à Sam Phillips de produire d’autres artistes, comme Carl Perkins et Johnny Cash. Sous l’influence du « colonel » Parker, la carrière d’Elvis va complétement décoller et devenir internationale. Son manager va aussi lisser son image et l’inciter à multiplier les rôles au cinéma.

L’héritage d’Elvis

« Il va faire découvrir le blues à toute une génération » - Sébastian Danchin

Elvis Presley n’est pas le seul à mettre en lumière le blues, mais c’est celui qui va le plus le populariser. A sa suite, tout le mouvement rock fera des aller-retours avec le blues, comme par exemple les Rolling Stones ou Led Zeppelin.

Cette mise en lumière du blues et des cultures afro-américaines a un impact plus important qu’on ne peut l’imaginer, comme le souligne Sébastian Danchin : « c'est à ce moment-là que la révolution du rock and roll va naître en faisant découvrir la musique noire à l'ensemble d'une population américaine et au-delà (…). On a rendu une visibilité au monde noir. L'esclavage et ensuite la ségrégation visaient à mettre de côté et à rendre invisible toute une humanité. A travers des gens comme Elvis et par la suite, le mouvement du rock qui a suivi le rock'n'roll, etc…, c'était une façon de créer des personnages qui tenaient des héros et des idoles. Sans BB King, sans Jimi Hendrix, sans Michael Jackson, il serait très difficile d'imaginer qu'il puisse y avoir un président Obama en 2008. »

Pour en savoir plus
Elvis Presley ou la revanche du Sud, Sébastian Danchin, Fayard, 2004