
Qu’est-ce qu’une compositrice et comment composer au XXIe siècle ? Lise Borel, jeune compositrice, raconte son parcours et son processus créatif. Elle insiste sur des fondamentaux : savoir s’affirmer, s’entourer, et s’écouter.
« Le ‘Je’, ‘je suis compositrice’, est très important. Le verbaliser et l'entendre, c'est cette reconnaissance-là qui est primordiale », explique Lise Borel, qui évolue dans un monde musical encore très masculin. Si quelques noms de compositrices ont traversé les siècles, comme Hildegarde de Bingen, Lili Boulanger ou Cécile Chaminade, aujourd'hui, les femmes en France ne représentent que 10% des compositeurs.
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« Je fais partie de la jeune génération et j'ai eu la chance d'arriver à un moment où déjà les choses commencent à bouger. Vraiment, je veux rendre hommage à toutes ces femmes qui ont déjà posé des jalons importants. Ça a été plus facile pour moi. Mais évidemment, j'ai ressenti des moments étonnants... Par exemple, je me souviens en classe de composition, j'étais une des seules filles très jeunes. »
« Une compositrice, c'est une créatrice »
Née en 1993, Lise Borel étudie le piano, avec Frédérique Fontanarosa au Conservatoire de Suresnes. Puis, enfant, elle intègre la Maîtrise de Radio France. Ce cursus lui permet de suivre une formation musicale poussée : enseignement le matin, musique et chant l’après-midi. Elle prend dès lors goût à la composition, qu’elle définit comme un acte « d’écoute de soi et du monde ».
« Je dirais qu’une compositrice, c'est une créatrice. C’est quelqu'un qui va mobiliser des sensations, des souvenirs, des idées... et sortir cet univers là en musique. Une musique qui va traduire précisément un ressenti.
En ce qui me concerne, je me laisse vraiment guider, je ne réfléchis pas, je n'ai même pas conscience que j'écris.
Je ferme les yeux et c'est une grande écoute de soi et du monde. Donc ce serait ça, la définition de compositrice : être connectée à soi et réussir à faire ressortir tout ce qu'on sent et tout ce qu'on est. »
Une pièce inspirée du Moyen Âge
Après son cursus au sein de la Maîtrise, Lise Borel intègre une classe préparatoire littéraire, où elle se passionne pour le Moyen Âge, qui lui inspire notamment la pièce Flores, interprétée par la Maîtrise de Radio France en décembre dernier. La pièce est écrite sur un texte de Guillaume Dufay, compositeur du XVe siècle.
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« Ça parle de l'édifice de la cathédrale de Florence, et j’ai essayé de retranscrire cette impression de hauteur, de célébration au travers de la musique, en m'inspirant de l'esthétique du Moyen Âge, sans pour autant la copier. Ce n'est pas tellement une réflexion sur le sens du texte, mais plutôt sur les effets vocaux du texte. Est-ce que cette superposition de voix va créer un effet sonore, une impression, une sensation ? Toute la pièce est construite comme un édifice. »
Au cours de son apprentissage musical, Lise Borel suit les cours de Sofi Jeannin, Cheffe de Chœur à la Maîtrise de Radio France. « J’ai connu Lise enfant. Elle avait pendant sa scolarité déjà une curiosité et une ouverture vers la composition. Chaque année, je trouvais dans ma boîte aux lettres un petit disque de sa part. »
Quelques années plus tard, la Cheffe de Chœur dirige Flores, une composition de Lise Borel. Elle analyse son style : « Dans les œuvres que je connais de Lise on voit qu’il y a une bonne connaissance de l'écriture chorale et vocale. On voit que c'est quelqu'un qui a grandi dans cet univers et il y a donc une connaissance profonde des prismes qu'on peut créer en musique. Je ne peux pas dire que c'est sage, mais elle aime les choses consonantes, avec des dissonances qui titillent les sens. Et c'est une musique qui, pour moi, a la fraîcheur de quelqu'un qui vit avec son temps. »
« Sans une oreille bienveillante, c’est très dur dans le milieu classique »
Comme lors de la représentation de Flores, Lise Borel aime être présente dans le public lorsque sa pièce est jouée. Elle décrit une sensation singulière, comme une redécouverte de son travail. « Entendre son œuvre jouée, c'est un sentiment unique, difficile à définir, c'est presque comme une transe. Cette pièce, on l’entendait à l'intérieur de soi, et là, on l'entend dans le réel... Elle était tellement dense dans notre tête, qu’on la redécouvre. Parfois, il y a une déception lorsqu’on se rend compte qu’elle existe en dehors de soi, à l’extérieur... Et en même temps, c’est une joie incroyable, totale. Souvent, j’en pleure d’émotion. »
Elle explique avoir mis du temps avant de se considérer comme « compositrice ». « J'étais un peu enseignante, j'écrivais, je dessinais, et je me disais : 'c'est un éparpillement' . Mais justement, cette curiosité multiple est une richesse et pas un éparpillement, ce qu'on peut croire au début, quand on rentre dans la vie et qu'on ne sait pas où on va ».
Pour évoluer dans ce milieu et se sentir légitime, justement, la jeune compositrice insiste sur l’importance d’une « oreille attentive », comme ont pu l'avoir ses professeurs dans son parcours. « S'il n'y a pas à un moment donné, quelqu'un qui va tendre une écoute parce que la composition, c'est ça aussi, on sort une œuvre de soi et c'est très bien, mais il faut qu'elle soit entendue d'une manière ou d'une autre, s'il n'y a pas un moment une oreille bienveillante, c'est très dur, notamment le milieu classique. » Elle insiste sur l’importance des encouragements extérieurs, pas forcément issus du milieu musical. Elle-même est devenue enseignante, à la Maîtrise de Radio France et à l’Académie Philippe Jaroussky, et espère devenir cette “oreille attentive” pour les jeunes compositeurs et compositrices.
En plus de la composition classique et de l’enseignement, elle compose de la chanson française, et regrette d’ailleurs que le milieu musical classique et celui de la chanson ne se mélangent pas plus. « Le milieu classique a certains codes, certaines barrières. Quand on vient du milieu de la chanson, ou de tout autre milieu musical, c'est très difficile. Parce qu'on on colle tout de suite une étiquette, une case. Or, moi, ma case, c'est que j'en ai plusieurs... Et la chanson française fait partie aussi de qui je suis en tant que compositrice. »
Des propositions pour mettre en avant les compositrices
Dans le milieu de la musique classique, elle évolue dans un environnement encore très masculin. Aujourd’hui, seulement 4 % des œuvres programmées en concerts sont écrites par des femmes.
Pour pallier ce manque de représentativité, elle imagine plusieurs solutions. D’abord, nommer des salles avec des noms de femmes . « C’est symbolique mais important. Parce que dans les collèges, dans les lycées, dans les conservatoires, c'est là où tout se joue. On va créer sa personnalité, son style... et si on voit placardés partout des noms d'hommes tout le temps, sans qu'on le sache, ça va refermer ce qui est possible. Et je le vois chez mes élèves : les filles n'ont pas forcément l'idée que c'est possible, ça rejoint aussi le chef d'orchestre, qui a toujours été associé à une image dominante masculine. »
Autre proposition, mettre en avant les compositrices en leur offrant un support visuel et auditif. « Il faut enregistrer, filmer et diffuser. De nos jours avec les réseaux sociaux, l’image compte énormément ». Et dans ce même esprit, elle aimerait que les compositrices soient davantage présentes lors des concerts. « Quand on interprète l’œuvre d'une compositrice, que ce soit dans une maîtrise, un chœur renommé, un orchestre, peu importe, il faudrait inviter la compositrice et lui parler, écouter ce qu'elle a à dire. Souvent, elle reste dans le public pour donner quelques informations musicales éventuellement. Mais, on ne la voit pas, on ne l'entend pas, on ne sait pas qui elle est. »
Elle convient que des efforts sont activement menés pour chercher et mettre en valeur « ce qui n’a jamais été entendu », que ce travail d’ouverture d’esprit doit continuer, et qu’il permettra aux compositrices « d'aller puiser au fond d'elles et de se dire : tout est possible, rien ne va m'empêcher de faire ce qui me plait. Je suis une femme. Et alors ? ».