Pianiste incontournable depuis les années 1960, Martha Argerich fascine par son jeu unique et sa personnalité libre, hors du système. Portrait vidéo.
« Je n’ai jamais eu d’envies dans ma carrière et je n’en ai toujours pas. Je fais de la musique, c’est tout. Si c’est avec mes amis, tant mieux, si c’est bien, tant mieux », en ces quelques mots arrachés par une journaliste en sortant d'un concert en 1999, Martha Argerich résume sa philosophie de travail et de vie : jouer librement avec qui elle veut, parfois quand elle veut. La pianiste, réservée, célèbre pour ses annulations de dernière minute, rejette le terme de « carrière ». Pourtant, depuis les années 1960, son aura mystérieuse et sa virtuosité l’ont érigé en mythe de la musique classique.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
De Buenos Aires à Vienne
Née le 5 juin 1941 à Buenos Aires, en Argentine, Martha Argerich rencontre très vite le piano, au jardin d’enfant. Elle raconte avoir joué pour la première fois afin de s’affirmer face à un petit camarade. « Chaque fois après le déjeuner, la maîtresse du jardin d’enfant jouait du piano, des petites chansons. J'avais un ami de 5 ans, il était très grand pour moi, qui me provoquait toujours en me disant : « Je ne peux pas faire si, je ne peux pas faire ça... » Un jour il m'a dit : « Tu ne peux pas jouer du piano ». Je m’en rappelle très bien... Alors je me suis levée et puis j'ai joué avec un doigt, comme ça, à l'oreille, la petite chanson que la maitresse jouait alors.... Elle a directement téléphoné à mes parents, et ça a fait sensation. »
La petite Martha commence donc à prendre des cours de piano en Argentine avec Vincenzo Scaramuzza. Adolescente, elle part pour l’Europe afin de se former auprès d’autres pianistes émérites comme Madeleine Lipatti et Nikita Magaloff à Genève, Friedrich Gulda à Vienne. A 16 ans, elle gagne ses premiers concours internationaux mais arrête brusquement sa toute jeune carrière. « J'ai joué jusqu'à l'âge de 19 ans, après j'ai cessé pendant 3 ans, presque 4 », explique-t-elle dans une interview de 1970 à l’ORTF (archive INA). « Ce genre de vie ne me plaisait absolument pas. Je trouvais cela injuste à l'époque... Je voyais des gens de mon âge ou plus âgés, qui étaient des étudiants heureux alors que moi, je devais mener une vie routinière, celle de quelqu’un de 45 ans. Et puis, j'avais aussi des conflits du point de vue artistique : je ne me trouvais pas prête du tout. Les autres trouvaient que oui, mais moi pas. »
« La lionne argentine »
Son retour au piano est néanmoins triomphal. En 1965, elle remporte, sous les acclamations, le prix Chopin à Varsovie, et sa carrière internationale est lancée. Elle joue en Europe, au Japon, aux Etats-Unis...
Elle est applaudie pour son jeu pianistique énergique et unique. « Son jeu est d'une précision et d'une technique incroyable », précise Emilie Munera, productrice radio et journaliste. « D’ailleurs, un de ses maris Stephen Kovacevich dit qu'elle a une technique au-delà de la compréhension. Il y a une virtuosité, une nervosité, une vitesse d'exécution... D'ailleurs, c’est ce qu’on lui a reproché au début en France. Certains critiques l’ont comparée à une Formule 1. Ils disaient qu'elle dénaturerait les œuvres, et ça lui a collé à la peau. Les médias, eux, ont adoré ça. Elle a tout de suite été nommée : « La panthère, la lionne argentine ».
Des surnoms réducteurs pour une pianiste au jeu très riche, regrette Emilie Munera. « Martha Argerich est une personnalité très complexe et elle est capable du meilleur effectivement dans ses mouvements rapides, mais aussi dans ses mouvements lents. Dans des Chopin où elle s'abandonne complètement, dans des Schumann où elle trouve l'infinie tendresse de ses partitions mélancoliques ».
Des annulations en série
La personnalité de Martha Argerich fascine aussi. Elle répond peu aux médias, elle revendique sa liberté, celle de choisir quel compositeur elle joue et quand elle joue, quitte à se faire connaître pour ses annulations de dernière minute. « Ça se passait souvent à des périodes où elle se sentait moins à l'aise face au public ou face à une œuvre. Mais, oui, il y a eu une époque où les journalistes disaient : « Il y a Martha Argerich ce soir, on ne sait pas si elle viendra. » C'est une musicienne qui est tellement libre, tellement indépendante, qu'elle se dit qu'elle fera comme elle a envie. Et ça ne lui a jamais porté préjudice puisqu'elle a toujours ses fans absolus, et on court toujours pour la voir. »
Toujours maîtresse de ses décisions, Martha Argerich choisit très tôt dans sa carrière d’arrêter les solos et de jouer accompagnée. « C'est quelqu'un qui n'aime pas se mettre en avant, qui n'aime pas se mettre en lumière. Être seule sur scène avec tous les yeux braqués sur soi, c’est une difficulté pour elle. C'est pour cela qu'elle a arrêté de jouer très tôt toute seule. On a donc des manques dans sa discographie puisque on se dit qu'elle aurait pu jouer les 32 sonates de Beethoven, ou plus de Debussy, de Mozart. Et non, elle a choisi le partage, c’est ce qui fait aussi sa singularité ».
Fidèle à cette idée du partage de la musique, elle aime promouvoir sur scène de jeunes talents, bien qu’elle n’ait jamais enseigné. « Elle raconte que quand on lui a demandé d’enseigner, on lui a dit de choisir des élèves, elle a alors rétorqué : « C’est impossible, je veux les prendre tous ! ». Donc elle a fonctionné au coup de cœur avec les jeunes artistes. Elle les rencontre, les écoute et elle les met en valeur. » Elle a d’ailleurs créé le Martha Argerich project à Lugano, en Suisse. Une scène où se produisent ses amis musiciens avec de jeunes artistes.
La pianiste atypique fête ses 80 ans le 5 juin 2021.