Metal Machine Music, ou l'incursion classique de Lou Reed
Par Léopold Tobisch
L’influence de Lou Reed, figure majeure du rock américain, ne s’arrête pas aux frontières de la musique pop, bien au contraire. Le chanteur a mené plusieurs incursions dans le monde de la musique classique et contemporaine.
Ce mercredi 2 mars 2022 marque les 80 ans de la naissance de Lou Reed, icône majeure du rock américain et co-fondateur du célèbre groupe The Velvet Underground. Véritable référence pour les musiciens de rock, il a également inspiré des compositeurs américains comme John Zorn ou David Lang qui n’ont jamais caché leur admiration pour lui et son influence autant musicale que personnelle sur leurs carrières. David Lang composera notamment de nombreux arrangements des chansons de Lou Reed, dont Heroin de The Velvet Underground.
Lou Reed participera également à de nombreuses collaborations musicales et artistiques avec sa femme, la musicienne et compositrice Laurie Anderson, qui ne manqueront pas de marquer la musique contemporaine des années 1990, 2000 et 2010.
Mais les incursions classiques de Lou Reed semblent avoir commencé bien avant. En 1975, cinq ans après avoir quitté The Velvet Underground, le rockeur américain sort son cinquième album studio Metal Machine Music. Son public s’attend à une série de tubes dont Reed a le secret : Perfect Day, Walk on the Wild Side, Vicious et Sally Can’t Dance.
Ce nouvel album marque une rupture avec sa discographie : c'est un "solo" de guitare de 64 minutes réparti sur quatre faces de disques, solo qui fait entendre une suite continue de « feedback » (larsen) de guitares distordues. Le résultat sonore est si violent et déroutant qu'il est nommé par le magazine Rolling Stone « Worst Album by a Human Being » [« Le Pire album par un humain »].
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Certains soupçonnent Lou Reed d’avoir créé exprès un album dont la réception sera assurément un échec comme une vengeance contre son label. Mais une profonde réflexion dans la conception musicale de l’album laisse à croire que les intentions et prétentions musicales de Lou Reed sont sincères.
Metal Machine Music, album aux influences classiques
Dans les interviews pour son nouvel album, Lou Reed présente Metal Machine Music comme une grande déclaration artistique, qu'il a passé six ans à concevoir. Sous-titré « An Electronic Composition », Metal Machine Music serait-il un album aux ambitions expérimentales ? Reed tente de justifier son œuvre en citant les différentes influences musicales présentes au sein de son dernier album :
« Metal Machine Music est probablement l'une des meilleures choses que je n’ai jamais faites, et j’ai pensé à le faire depuis que j'écoute la musique de La Monte Young. J'écoutais aussi beaucoup de Xenakis », confie le rockeur lors d’une interview en 1976 avec le critique de rock Lester Bangs.
La musique stochastique de Xenakis s'inscrit dans les influences de Reed, ainsi que la musique « drone » du compositeur américain La Monte Young et les expérimentations du « Theatre of Eternal Music » que Lou Reed découvre au courant des années 1960 grâce à John Cale et Angus MacLise, autres membres du Velvet Underground. Les sons amplifiés, soutenus et souvent discordants de La Monte Young seront d’une importance majeure pour Lou Reed bien des années plus tard.
Ce dernier affirme également avoir distillé un certain nombre d’extraits de musique classique parmi ce grand solo, dont de (très) courts extraits des symphonies de Beethoven : « Le truc c'est qu'il faut vraiment écouter. Mais la plupart des gens s’arrêtent à la surface de ce qu’ils entendent, et ça me va » ajoute-t-il lors de son interview avec Lester Bangs.
Album rock ou classique ?
Au moment de la sortie de l’album, le label RCA ne sait pas quoi en faire. Il est question de le promouvoir en tant qu’album classique, diffusé dans la collection « Red Seal » de RCA. Lou Reed rejoindrait ainsi les plus grands interprètes enregistrés par le label, dont Caruso, Toscanini, Abbado, Bernstein, Karajan, Argerich et Barenboim ! Mais la pochette a une apparence trop rock. L’idée est finalement abandonnée et Metal Machine Music est publié aux côtés des précédents albums de Lou Reed.
S'agit-il de l'œuvre d’un musicien souhaitant repousser les limites de son champ artistique, ou d'une blague prise trop au sérieux par son public ?
Considéré comme un album de légende, Metal Machine Music est ressuscité en 2002 lorsque le saxophoniste allemand Ulrich Krieger retranscrit certains passages de l’œuvre pour l’ensemble Zeitkratzer (pour accordéon, piano, violon, alto, violoncelle, contrebasse, trompette, saxophones soprano et ténor, tuba et percussion).
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L’œuvre est créée le 17 mars au Festspielhaus de Berlin sous la direction de Reinhold Friedl, avec Lou Reed à la guitare. Initialement rejetée pour ses sons violents et distordus, l’œuvre reçoit lors de cette recréation un accueil chaleureux et sera reprise à plusieurs occasions, désormais sous l’égide de la musique contemporaine. Incompris et rejeté par le rock, Metal Machine Music rejoint les rangs de la musique contemporaine expérimentale, ayant progressivement trouvé sa place aux côtés des œuvres expérimentales d’Edgar Varèse, John Cage, Iannis Xenakis ou Karlheinz Stockhausen.