Michael Spyres : « Si j'avais écrit de la musique, j'aurais fait exactement comme Berlioz ! »
Par Aliette de LaleuVendredi 8 mars 2019, pour célébrer les 150 ans de la disparition d'Hector Berlioz, la cathédrale Saint Paul à Londres accueille un concert exceptionnel : la Grande Messe des morts du compositeur français, dirigée par John Nelson avec le soliste Michael Spyres.
De nombreux événements sont organisés pour les 150 ans de la mort d'Hector Berlioz et parmi eux, Londres met à l'honneur le compositeur en donnant une des œuvres les plus monumentales de la musique classique : son Requiem. Dirigé par le chef d'orchestre américain John Nelson, la Grande Messe des morts sera données vendredi 8 mars à la cathédrale Saint Paul avec le Philharmonia Orchestra, le Philharmonia Chorus et le London Philharmonic Choir.
Un concert enregistré et filmé (par Warner Classics et Medici.tv) dans un lieu emblématique où Berlioz lui-même a entendu un concert dont il se souviendra toute sa vie... Le ténor Michael Spyres, unique soliste de cette oeuvre gigantesque, revient sur son rapport à Berlioz et à la musique française, quelques jours avant le fameux concert.
- France Musique : C'est votre troisième Requiem de Berlioz en tant que soliste, quels sont vos souvenirs des précédents concerts ?
Michael Spyres : La première fois c’était au festival de Saint-Denis avec John Eliot Gardiner, une expérience incroyable car le concert avait lieu dans l’édifice pour lequel Berlioz a composé son Requiem. John Eliot m'avait placé à l'endroit où se trouve l'organiste, donc environ 50 mètres au dessus de l'audience ! J’étais comme l’Archange Michel qui chante Sanctus, Sanctus !... J'aime cette oeuvre de tout mon cœur.
- Tout comme la musique française en général, non ?
Good Lord, comment ne pas l'aimer ? La musique française possède tout : la finesse, l'esprit, l'émotion et toutes les choses que la musique classique peut donner. On pourrait même dire que la musique française représente la France puisqu'on peut retrouver toute la sensibilité des différents aspects de la culture française à travers la musique. Et surtout, la musique aussi complexe que l’Histoire de France elle-même !
- Un chef d’orchestre et un chanteur américain, réunis autour d’orchestres et chœurs anglais à Londres pour interpréter de la musique française : peut-on y voir comme un symbole par rapport à l'actualité ?
La musique est un pont pour comprendre et unifier deux groupes que sont normalement les artistes et le public. Mais ces dernières années, j'ai réalisé que cette unification pouvait aussi être un moteur pour rassembler différents pays et langues. Par exemple le plus grand moment qu'il m'ait été donné de vivre s’est produit il y a environ 10 ans. J'étais en Russie, à un moment où les relations entre ce pays et les Etats-Unis étaient très tendues. J’étais venu chanter un récital au Tchaïkovski Hall de Moscou avec une programmation d’oeuvres italiennes, françaises, allemandes, une ou deux mélodies anglaises, et à la fin, un air russe. Certaines personnes pleuraient dans l’assemblée car elles étaient heureuses de voir que je chantais dans leur langue en faisant attention à la prononciation.
A la fin du concert, deux Russes sont venus me voir à la fin pour me dire : "Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est important pour nous. Vous êtes peut-être le seul Américain que certaines personnes dans le public vont rencontrer et vous donnez une image différente de votre pays, comme un ambassadeur". Mettre un visage sur une autre Amérique, c'est aussi ça la musique : rassembler différentes cultures, différentes langues, et montrer un respect mutuel. Je suis tellement heureux de faire partie de cette volonté de se comprendre.
- Est-ce que vous vous sentez toujours Américain ?
C'est compliqué, cela fait 17 ans que j'ai déménagé des Etats-Unis et j'ai passé presque la moitié de ma vie dans six pays différents. Je serai toujours un Américain de cœur car j'ai grandi là-bas et c'est ma langue maternelle. Mais c'est intéressant de quitter son pays pour trouver un nouveau monde, une nouvelle vie, avec une langue et une culture différente. J’ai commencé avec l'Autriche, puis l’Allemagne, la Serbie, l’Italie, la Belgique, l’Angleterre et la France... Ces 15 dernières années, j'ai vécu comme un local dans 6 pays différents et j'ai pu voir tout le bon et le mauvais dans chacun d’entre eux. Je sais que je garderai toujours le bon côté des Etats-Unis dans mon cœur, celui qui croit en l'amélioration de la société et des gens dans le monde. Les mêmes valeurs que la Révolution française a essayé d'exprimer !
Je ressens d’ailleurs une connexion particulière avec la France. L’Etat d'où je viens, le Missouri, a longtemps été occupé par les Français, les Irlandais et les Allemands. La plupart des régions, dont la mienne qui s'appelle Ozarks vient du français : aux arcs. Nous avons beaucoup de noms de villes françaises, et dans certaines on y parle encore un vieux français. Il y a aussi une autre histoire, plus dans le sud… Nous avions une des terres les plus productives en vin, mais c’était avant la prohibition. Quand le Phylloxéra est arrivé en France au début du XVIIIe siècle, les terres françaises ont été ravagées par la bactérie donc ils ont transplanté de nombreuses racines et arbres du Missouri, notamment les vignes. La connexion n’est donc pas seulement symbolique : j'ai toujours su qu'en grandissant là-bas, j'avais déjà des racines françaises, et je pense que l’on a beaucoup plus en commun que ce que l'on croit.
- Le Requiem de Berlioz a été composé en mémoire des soldats de la Révolution de juillet. A quel point vous sentez-vous proche de cette période de l’Histoire ?
Très proche car la plupart du répertoire que je travaille vient de cette période. C’est un moment intéressant pour la composition notamment, et je me sens connecté à la Révolution en particulier car en grandissant, j’ai senti que ma famille était différente. Mes deux parents étaient professeurs, nous venions d'une toute petite ville, et ils ont toujours soutenu le fait que l'art et l'apprentissage, dans une des régions les plus pauvres et les moins éduquées des Etats Unis, étaient essentiels. J'ai toujours vu ce que la “révolution” pouvait apporter aux gens grâce à l'éducation. A partir du moment où l'on donne la possibilité à quelqu'un de comprendre que le monde peut être différent, c'est là que l'on crée une révolution, à travers soi, puis à travers la musique. On le sent avec les compositeurs de cette période, leur musique vous consume !
- Vous êtes unique soliste au milieu de centaines de musiciens et choristes, appréhendez-vous ce concert ?
J'ai chanté Berlioz plus que n'importe quel autre compositeur… Je me sens très proche de lui, de son côté un peu fou, j’ai l’impression de le comprendre ! Si j’avais écrit de la musique, j’aurais fait exactement comme Berlioz je crois ! Sa musique est comme une seconde nature pour moi. Le concert de vendredi est audacieux mais ça ne me fait pas peur car je comprends son oeuvre comme le fait de vouloir l'investissement de tous, par exemple. Et connaissant les grandes histoires de Berlioz comme le jour où il a entendu dans cette même cathédrale 6 500 enfants chanter, ce qui fut l’un des plus grands moments de sa vie, me rend très honoré de faire partie de ce projet. C’est comme si maintenant j’allais aussi faire partie de son histoire en prenant part à ce concert.
- Et techniquement, est-ce un travail différent ou plus difficile ?
Non, c’est dans ces conditions que je me sens le plus à l'aise car j'ai grandi en chantant dans des chœurs. Pour moi, être devant les musiciens et les choristes me fait sentir comme à la maison ! Et c'est le plus beau sentiment du monde de faire partie de quelque chose d'aussi grand, d’aussi important. Mais être soliste ce n'est pas seulement se dire qu'on gère les solos, c'est surtout écouter les autres, au fond on s’en fiche que le soliste ce soit moi… Je fais juste partie de cette oeuvre incroyable, je suis très honoré que l'on m'ait confié le solo, mais je me sens surtout très honoré de pouvoir chanter l’oeuvre de Berlioz.
- Berlioz n’est pas apprécié à sa juste valeur en France. Comment convaincre les plus réticents à sa musique ?
Les gens doivent réaliser que Berlioz n'était pas juste un intellectuel. Il était très sensible. Une de mes citations préférées c'est : "Par dessus tout, vibrez !". Il faut s’asseoir dans l’audience, sentir la vibration de la musique, sentir que cette vibration vient de la musique de Berlioz ! Je pense que je ne trouverai jamais d’autres compositeurs qui provoquent ce que sa musique provoque en moi.