Miles Davis : 10 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur l'immense trompettiste

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Miles Davis : 10 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur l'immense trompettiste

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Miles Davis (1926-1991)
Miles Davis (1926-1991)
© Getty - Express Newspapers

Musicien et interprète de jazz pour le moins légendaire, Miles Davis est une figure incontournable du jazz du XXe siècle. Voici 10 (petites) choses que vous ne saviez (peut-être) pas sur le trompettiste qui a changé le cours de la musique cinq ou six fois, selon ses propres dires !

Deux écoles, deux ambiances

En 1944, Miles Davis a 18 ans. Ses talents en tant que trompettiste sont déjà confirmés depuis longtemps. Dans le public d’un concert du big band de Billy Eckstine à St. Louis, le jeune Miles est invité au pied levé à rejoindre l’ensemble pour remplacer leur trompettiste malade. Séduit par l’énergie et la créativité de l’ensemble, et notamment Dizzy Gillespie et Charlie Parker, Miles Davis décide de s’installer à New York, là où tout semble se passer. C’est à Manhattan que Miles Davis recevra non pas une mais deux éducations musicales, distinctes mais chacune essentielle dans la construction de son identité musicale. 

Reçu à la Juilliard School of Music, Miles Davis profite d’une éducation musicale stricte et théorique, ancrée dans l’histoire de la musique classique occidentale. Mais l’esprit conservateur et parfois raciste de l’établissement pousse Miles à se développer ailleurs. Ainsi, de jour Miles Davis fréquente l’une des écoles de musique les plus prestigieuses du monde mais de nuit, il arpente les rues de New York à la recherche d’un seul homme : Charlie Parker. Malgré les conseils de Coleman Hawkins d’éviter le saxophoniste, Miles parvient à trouver son héros au club de jazz « Heatwave ». L’amitié est immédiate et Miles passera tout son temps aux côtés de Bird et de Diz(zy Gillespie). 

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Exposé quotidiennement aux expérimentations de ces grands interprètes, le jeune musicien ne tarde pas à trouver sa propre voix et à maitriser les codes du jazz moderne. Mais si Miles affirme qu’il pouvait « apprendre plus en une nuit au Minton's qu'en deux ans d'études à la Juilliard School », il admettra également plus tard que les connaissances théoriques et classiques qu’il y reçut furent déterminantes dans sa compréhension de la musique et de la composition.

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Naissance du cool

Lorsque l’on parle de Miles Davis, un mot semble inévitablement s’y associer : cool. En effet, Miles Davis est en quelque sorte devenu la quintessence du cool, autant par sa personnalité que par sa musique, et ce dès 1957 avec l’arrivée de l’album Birth of the cool [Naissance du cool].  Progressivement désenchanté par la rigueur formelle du bebop et de la frénésie musicale de Gillespie et de « Bird » (sans parler des problèmes de drogue de ce dernier), Miles décide de se tourner vers une musique plus posée, lyrique et chaleureuse : un jazz cool.  

En 1948, il fonde avec l’arrangeur et pianiste Gil Evans un nonette avec lequel il explore un nouveau style de jazz, lyrique et nonchalant, notamment influencé par l’impressionnisme classique Européen, avec de nouvelles textures et un lyrisme instrumental collaboratif plutôt qu’une mise en concurrence effrénée de solistes et d’idées. La naissance d’un jazz cool marque également la naissance d’une contre-révolution et d'un moment décisif dans l’histoire du jazz avec l’arrivée d’un nouveau modèle musical, source d’inspiration pour toute une génération de musiciens de jazz de la côte ouest américaine.

Musicopolis
25 min

Ascenseur pour l’échafaud

Alors que Paris est envahi dans les années 1950 par le jazz et les nouvelles sonorités américaines, le jeune réalisateur français Louis Malle termine son premier long-métrage : Ascenseur pour l’échafaud. Il rencontre en 1957 le grand Miles Davis, de passage en France pour une série de concerts, et demande avec espoir à ce dernier de signer une musique pour son film. À l’issue d’une projection privée du film, Davis accepte et se lance rapidement dans la composition de plusieurs motifs et accords. 

Enregistrée en une seule nuit, entre le 4 et 5 décembre 1957, la musique est une œuvre librement improvisée autour de courtes scènes du film, projetées devant les musiciens. Non seulement affranchis de toute partition, Louis Malle donne comme indication aux musiciens que « la musique devait être en net contrepoint de l’image » et leur demande de « ne jamais chercher, à travers leur jeu, à traduire ou à refléter directement l’action. »

Avec Ascenseur pour l’échafaud, la tendance du jazz dans le cinéma est lancée. De nombreux réalisateurs font ainsi appel aux plus grands noms du genre tels que Gerry Mulligan, Art Farmer, Art Blakey et ses Jazz Messengers, et même Duke Ellington. En invitant la musique de Miles Davis dans son film, Louis Malle déclenche un rapprochement durable entre le monde du jazz et celui du cinéma.

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Le plus grand album de jazz de l’histoire

Impossible de parler de Miles Davis sans évoquer l’un des grands, si ce n’est le plus grand, albums de jazz de l’histoire, Kind of Blue. L’album est enregistré en seulement neuf heures le 2 mars et le 22 avril 1959, avec John Coltrane, Cannonball Adderley, Jimmy Cobb, Paul Chambers et le pianiste Bill Evans. Ce dernier, jeune pianiste blanc formé au conservatoire, est aux antipodes de Miles Davis. Mais on dit que les opposés s’attirent, et la musique de Miles Davis et Bill Evans en est la preuve.

Souhaitant s’éloigner des formes et structures rigides du jazz post-bop, avec ses suites d’accords codifiées, Davis explore avec le compositeur George Russell une nouvelle théorie du jazz à base de modes et de gammes, mélangés avec l’esprit détendu d’un jazz « cool », et les formes d’une musique moderne. Alors que les suites d’accords servaient à « guider » la musique et le musicien, rendant ainsi la musique quelque peu prévisible, les expérimentations modales de Miles Davis ouvrirent le jazz vers un monde de possibilités infinies. Une musique qui tourne le dos à la progression harmonique traditionnelle du jazz pour se focaliser plutôt sur la créativité mélodique libre et propre à chaque musicien. Lorsque Russell montre ses idées de musique modale à Miles Davis, ce dernier résume en toute simplicité l'importance de ces expérimentations : « si Bird était encore vivant, cela l’aurait tué. » 

Kind of Blue, été 59
1h 00

Une présence scénique particulière

Le moins que l'on puisse dire est que Miles Davis est un musicien exigeant, autant en studio que sur scène. Il refuse de serrer la main de qui que ce soit avant un concert, par peur que l’huile d’une autre main vienne changer la sensation de ses propres mains. Il porte sans faute sur scène des chaussures d'une taille plus petite avec les lacets serrés le plus fort possible. Et il se prive avant de monter sur scène de toute nourriture et de toute activité sexuelle. Cette faim, cet inconfort et cette « insatisfaction » expliqueraient-ils en partie la présence scénique de Miles Davis souvent considérée comme antipathique, voir malpolie, selon certains spectateurs ? 

En effet, on critique souvent le trompettiste pour sa façon de se comporter sur scène. Pourquoi se bouche-t-il les oreilles lorsqu’un de ses confrères se lance dans un solo ? Pourquoi tourne-t-il son dos au public ? Et pourquoi quitte-t-il même la scène à plusieurs reprises ? Miles Davis offrira à la presse plusieurs raisons pour son comportement particulier. Tourné vers ses musiciens, il peut ainsi écouter la musique tel un chef d’orchestre. Il bouche ses oreilles non pas pour ne pas écouter les solos mais au contraire pour mieux les entendre (en bloquant les autres sons parasitant son ouïe) ! Et il quitte parfois la scène afin de ne pas attirer l’attention de son public pendant les solos de ses confrères. Peu importe la raison, la présence scénique de Miles Davis fera partie du mythe de l'artiste.

Miles devient branché

Au courant des années 1960, le jazz semble prendre froid dans l’ombre du rock. Mais plutôt que de s’incliner face au succès de ce nouveau genre, Miles Davis voit dans le rock un nouveau territoire qu'il est prêt à explorer avec sa trompette. En 1969, l’album In a Silent Way annonce non seulement l’évolution de Miles Davis vers une fusion musicale entre le jazz et le rock mais aussi une « électrification » du jazz avec l’utilisation d’un clavier et d’une guitare électrique.

Mais c’est en 1970 que Miles Davis atteint le point de non-retour de son évolution avec l’album Bitches Brew, un album électrique dans tous les sens du terme. Par sa férocité et sa puissance hypnotique enracinée dans le rock et la musique africaine, l’album porte en lui un élan qui projette Miles Davis vers l’avenir du jazz, annonçant un nouveau monde sonore mais aussi un nouveau Miles. Par sa fusion du jazz et du rock, il rassemble deux genres jusqu’alors séparés par une ligne considérée comme infranchissable.

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Une touche de classique

Musicien en constante évolution, Miles Davis ne se contente pas de sa révolution électrique de 1970. Souhaitant fusionner sa musique avec l’essence du « Black Power » alors en pleine floraison, il produit en 1972 On the Corner. Au premier regard, l’album semble s’inspirer pleinement du funk de George Clinton, James Brown et Sly Stone, mais derrière se cache une autre influence pour le moins inattendue : Karlheinz Stockhausen.

En mai 1972, sur les conseils du violoncelliste Paul Buckmaster, Miles Davis découvre la musique du compositeur allemand avant-gardiste : il garde même une cassette de Hymnen de Stockhausen dans sa Lamborghini Miura afin d’écouter l’œuvre sur la route ! L’idée vient rapidement aux deux artistes de mélanger les rythmes de funk avec les idées formelles et abstraites de la musique contemporaine, et notamment la répétition et le « looping » [bouclage] de sons. Malgré l’audace musicale et créative de Miles Davis, l’album sera un échec, autant rejeté par la presse que par les puristes du jazz et fans de Miles Davis. Presque 50 ans plus tard, c’est Miles Davis qui rit le dernier.

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La voix unique de Miles

Il est presque impossible de décrire le timbre de la trompette de Miles Davis, et pourtant nombreux sont les journalistes qui se sont lancé le défi. C’est Barry Ulanov, journaliste et rédacteur pour le magazine de jazz Metronome, qui semble le mieux cerner le son légendaire de Miles Davis, qu’il décrit comme « le son d’un homme qui marche sur des coquilles d’œuf ».

Mais la voix de l’homme est toute aussi unique et distincte. Le timbre râpeux et l’air nonchalant de Miles Davis, qui ne manquent pas de contribuer à l’air « cool » de l’artiste, ne sont pas (seulement) le résultat d’abus d’alcool et de substances mais surtout d’une opération en 1957 pour retirer un nodule vocal. Après son opération, son médecin déconseille vivement à Miles Davis de parler fort. Mais lorsqu’une négociation de contrat tourne au vinaigre, Miles perd son sang-froid et hausse le ton, endommageant ainsi ses cordes vocales de manière permanente.

Miles, à la mode

Nul ne pourra nier que Miles Davis maitrise les modes de la musique, mais il semble également maitriser la mode. Nommé le musicien « le plus élégant » par le magazine GQ et l’un des 75 hommes les mieux habillés de tous les temps par le magazine Esquire, Miles Davis se fera autant remarquer par sa musique que par son apparence vestimentaire.

Mais celle-ci semble évoluer au même rythme que sa musique. On connait le jeune Miles dans ses costumes sobres, propres et bien taillés, à l’image du jazz son époque. Avec l’arrivée du « cool » jazz viennent les vêtements aux couleurs pastel, chaudes et douces. Mais Miles Davis semble avoir fait du tri dans son dressing après 1968 ! Tout comme la musique sauvage et déchainée qui en suit, en fusion avec d’innombrables influences distinctes, son style vestimentaire accueille toutes les couleurs et textures imaginables du monde entier, avec des tissus et des motifs venus d’Afrique, d’Asie, et d’Amérique du Sud.

Miles Davis, toujours à la mode
Miles Davis, toujours à la mode
© Getty - Thierry Orban

Les disciples de Miles

On peut autant admirer l’œuvre de Miles Davis pour ses nombreux albums célèbres qui ont marqué à jamais l’histoire du jazz que pour les artistes invités par Miles à participer aux enregistrements. La longue carrière de Davis est en effet une terre fertile dans laquelle d’innombrables légendes du jazz ont fleuri, dont Keith Jarrett, Herbie Hancock, Chick Corea, Red Garland, Bill Evans, John McLaughlin, Marcus Miller, John Coltrane, Wayne Shorter et Jack DeJohnette, pour ne citer que certains !

Miles Davis avait non seulement le don de repérer les futurs talents du jazz mais aussi de les encourager de manière originale, comme le raconte le saxophoniste Wayne Shorter : « Il nous payait pour ne pas répéter nos solos chez nous afin d’éviter le lustrage qui peut même rendre ennuyeuse une musique improvisée. » Si chacun de ces musiciens est ensuite devenu une figure marquante du jazz, chacun se souviendra de son temps passé aux côtés de l’immense Miles.

MAXXI Classique
7 min