Mozart à l’heure française dans une exposition à l’Opéra de Paris
Par Victor Tribot LaspièreJusqu’au 24 septembre 2017, la BNF et l’Opéra de Paris présentent l’exposition « Mozart, une passion française » à la bibliothèque-musée du Palais Garnier. Un parcours chronologique et bien documenté qui permet de retracer les grandes étapes de l'histoire d'amour qui lie Mozart et la France.
Lorsqu’on s’est un peu intéressé à la vie de Mozart, on a l’habitude de dire et de penser que son rapport à la France était compliqué, et surtout raté. C’est seulement à moitié vrai. Car Mozart est venu plusieurs fois en France et n’a pas connu que des déceptions. C’est en tous cas ce que veulent démontrer l’Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France dans « Mozart, une passion française », la nouvelle exposition de la bibliothèque-musée du Palais Garnier.
Dans une scénographie en quatre parties, l’exposition s’attache à retracer l’histoire d’amour, parfois compliquée, nouée entre Wolfgang Amadeus Mozart et la France, que ce soit du vivant du génie de Salzbourg ou de façon posthume. L’exposition débute par le premier séjour de Mozart à Paris, alors âgé de 7 ans. C’est son père, Léopold, homme de communication qui a le sens des affaires, qui décide d’organiser une grande tournée européenne pour présenter le « miracle » musical.
Arrivé à Paris en 1763, Mozart effectue une tournée triomphale et se produit devant les puissants de l’époque. C’est d’ailleurs cette même année que seront éditées ses toutes premières œuvres. Un recueil rarissime de sonates pour clavecin que la BnF présente dans le cadre de l’exposition. Les pièces sont dédiées à Victoire de France, la fille de Louis XV, pour la remercier de l’attention qu’elle a porté au jeune musicien lors de son séjour à Versailles.
Jean-Michel Vinciguerra, responsable des fonds iconographiques de la bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris et l’un des trois commissaires d’exposition, rappelle que c’est un « privilège immense qui est fait aux Mozart. Il s’agit d’une famille de roturiers qui sont reçus et se produisent devant le roi de France. C’est impensable pour l’époque. En homme de communication, Léopold Mozart fait inscrire sur la couverture de la partition l’âge de Mozart, 7 ans, pour insister sur l’aspect miraculeux de son génie précoce ». Une émouvante estampe, la seule que l’on connaisse de la famille Mozart dans leur jeunesse, permet de s’imaginer le petit garçon perruqué, assis devant un clavecin et dont les pieds ne touchent pas terre.
Mozart et sa famille poursuivent leur tournée en Angleterre puis dans les Flandres avant de revenir à Paris en 1766. Une tournée à grand succès qui gravera indélébilement l’image d’un petit garçon surdoué dans les esprits parisiens. Mozart aura d’ailleurs le plus grand mal à se débarrasser de cette image puisque 12 ans plus tard, lorsqu’il revient à Paris, c’est encore et toujours la même réputation qui le précède et le suit. Pourtant, à 22 ans, le compositeur a déjà composé une dizaine d’opéra et une trentaine de symphonies, mais rien n’y fait.
Insatisfait des propositions qu’on lui fait à Vienne ou Salzbourg, Mozart arrive dans la capitale française pour y tenter sa chance. Paris jouit à cette époque d’une aura artistique et culturelle incroyable. Elle est surtout l’épicentre de l’édition musicale. Accompagné de sa mère, Mozart espère obtenir un poste à l’Opéra de Paris ou se voir commander une œuvre pour mieux se faire connaître. Il compte sur son amitié avec Jean-Georges Noverre, maître du ballet de l’Opéra de Paris, rencontré à l’Opéra de Vienne, pour l’intégrer dans la vie musicale parisienne. Sans succès. « Noverre lui commandera la musique d’un ballet, « Les petits riens » (1778) mais si la presse salue la chorégraphie et les danseurs, le nom de Mozart ne sera jamais cité », précise Jean-Michel Vinciguerra. Ce séjour parisien sur lequel comptait beaucoup Mozart s’avère être un échec et surtout un rendez-vous manqué avec l’Opéra de Paris.
Mais son séjour parisien n’aura pas été complètement inutile puisque Le Concert Spirituel, le plus grand concurrent de l’Opéra de Paris qui prenait le relais lorsque ce dernier faisait relâche pendant les fêtes religieuses, lui commande deux œuvres dont la Symphonie n°31, dite « La Parisienne » qui fut très applaudie. Malheureusement, moins d’un mois après la représentation, la mère de Mozart meurt à Paris le 3 juillet 1778. Poussé par son père, il quitte la France dès la fin de l’été et ainsi s'achève son dernier grand voyage à l’étranger.
La France (re)découvre Mozart
La mort de Mozart en 1791 passe totalement inaperçue en France. Pourtant, deux années plus tard, l’Opéra de Paris décide d’inscrire pour la première fois à son répertoire Les Noces de Figaro, rebaptisé en Mariage de Figaro. Pour plaire au goût français de l’époque, l’opéra est totalement adapté. Les airs sont traduits en français, ce qui pose d’importants problèmes de prosodie. Dans le cadre de l'exposition, un module audio permet d’écouter des versions d’airs célèbres en français. Les récitatifs de Da Ponte remplacés par le texte de Beaumarchais sont parlés. L’œuvre est un échec puisqu’elle est retirée de l’affiche après seulement 6 représentations.
« A cette époque, les pièces de théâtre traversent les frontières sans être dénaturées, ce qui est totalement l’inverse pour les opéras » explique Jean-Michel Vinciguerra. Le cas le plus emblématique est certainement celui de La Flûte Enchantée dont la version adaptée au goût français est rebaptisée Les Mystères d’Isis. Créé en 1801, cet opéra de Mozart est le premier à rencontrer un grand succès et va véritablement amorcer la reconnaissance de Mozart en France. Au lendemain de la Campagne d’Egypte, l’intrigue de l’opéra a été déplacée en Egypte antique. Plusieurs croquis pour les décors ou les costumes nous apprennent que les noms de certains personnages ont été modifiés. Tamino devient Isménor, Papageno devient Bochoris, etc. Les deux airs de la Reine de la Nuit sont totalement modifiés. Le premier est confié à Pamina, la chanteuse de l’époque le trouvant trop aigu et le deuxième est supprimé au profit d’un air issu de La clémence de Titus. La presse de l’époque louera d’ailleurs la voix très grave de la Reine de la Nuit ! Le succès est colossal puisque la pièce sera reprise 128 fois pendant près de 30 ans.
Peu à peu, Paris prend goût aux œuvres de Mozart. Ses opéras sont systématiquement modifiés et adaptés. Il n’y a guère que le Théâtre-Italien qui donnait les œuvres en version originales même si les caprices des chanteurs de l’époque pouvaient déformer l’œuvre. Exemple avec la cantatrice Marianne Barilli qui endosse le rôle de la Comtesse en 1805 mais qui réclame également l’air Voi, che sapete che cosa é amor chanté par Chérubin. Par jalousie l’autre cantatrice qui incarne Suzanne réclame également un air de Chérubin, personnage qui se retrouve totalement dépouillé de sa substance. Idem avec Manuel Garcia, grande star ténor de l’époque qui incarne le rôle de Don Juan, alors que Mozart l’a écrit pour un baryton basse.
A partir de 1830, la réputation de Mozart monte en puissance dans la capitale et en France. Les différentes maisons d’opéra de Paris se livrent une bataille sur qui présentera l’œuvre la plus fidèle. Il faudra attendre 1948 pour que soit donné pour la première fois un opéra de Mozart en véritable version originale. Ce sera le cas lors de la première édition du festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence avec Cosi fan tutte. Plus difficile à croire, c’est seulement en 1960 avec Don Giovanni que l’Opéra de Paris donne une œuvre en version originale de Mozart. Il deviendra alors le compositeur le plus programmé de l’institution parisienne avec la première place remportée par les Noces de Figaro, données seulement pour la première fois en 1973.
L’histoire d’amour entre Mozart et le public français est donc une construction assez récente et il est assez incroyable de constater qu’en seulement une quarantaine d’années, ses opéras principaux se sont définitivement ancrés dans les programmations des maisons d’opéra de France. Exposition courte mais fort bien scénographiée, « Mozart, une passion française » permet de découvrir de nombreux manuscrits autographes du compositeur. La pièce la plus remarquable étant le manuscrit original et intégral de Don Giovanni, livret ayant appartenu à la célèbre chanteuse Pauline Viardot dont la légende dit qu’elle aurait vendu tous ses bijoux pour l’acheter.