Il y a eu Wolfgang Amadeus Mozart, Robert Schumann et Gustav Mahler, mais aussi Maria Anna Mozart, Clara Schumann et Alma Mahler. Trois musiciennes et compositrices, éclipsées par le nom de leur mari ou de leur frère.
« Être musicienne ou compositrice, à toutes les époques, c'est plus difficile pour les femmes, mais, ce n'est pas impossible », affirme Aliette de Laleu, journaliste et autrice du livre Mozart est une femme, dans lequel elle retrace une histoire de la musique au féminin. Compositrices et musiciennes se sont succédées depuis l’antiquité mais rares sont les noms aujourd’hui connus du grand public. Dans les cas Mozart, Schumann et Mahler, les carrières et les noms des maris et frères ont pris le pas sur celui des femmes et sœurs.
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Maria Anna Mozart, la deuxième enfant star
« Quand j'affirme que Mozart était une femme, je parle en fait de sa sœur Maria Anna Mozart, qui était sa grande sœur », commence Aliette de Laleu. Agée de cinq ans de plus que Wolfgang Amadeus Mozart, elle était, enfant, très réputée pour son jeu de claveciniste. Qualifiée de « prodige », de « virtuose », elle joue avec son frère à travers toute l’Europe. « Ce que l’on ignore souvent dans la vie des Mozart, c'est que le père, Leopold Mozart, a amené ses deux enfants en tournée pendant plusieurs années. Ils ont tourné dans plus de 80 villes. »
Mais si Maria Anna Mozart excelle au clavecin, elle ne peut pas expérimenter ses talents sur d’autres instruments, son père le lui interdit. « Elle aimerait notamment apprendre le violon, l'instrument de son père, mais elle n’aura accès qu’au clavecin pendant que son frère, lui, a accès au violon, à l'orgue, au clavecin… On voit que c'est genré dès le début », explique Aliette de Laleu. Proche de Wolfgang Amadeus, Maria Anna Mozart épaule son jeune frère lorsqu’il débute la composition. « Elle l'aidait sur certaines partitions, notamment la première symphonie. Elle est là, à ses côtés, et ils échangent énormément d'idées musicales. »
Mais malgré les prédispositions de Maria Anna Mozart, sa carrière est arrêtée nette. « A l'âge de 16 ans, son père décide que sa carrière de musicienne doit se terminer puisqu'elle doit se préparer au mariage ». S’il ne reste guère de partitions composées par Maria Anna Mozart, l’étude des échanges épistolaires entre Wolfgang Amadeus et sa sœur prouve que Maria Anna Mozart s’est bien essayée à l’écriture. « J'ai été très étonné que tu composes si joliment, en un mot, le lied est très beau, essaie souvent d'écrire quelque chose », écrit-il à sa sœur.
« Quand on parle de Maria Anna Mozart, c'est vraiment un destin qui n'a même pas pu exister en tant que musicienne et compositrice, résume Aliette de Laleu. Mais il y a des femmes qui sont arrivées malgré tout, et y compris dans l'ombre d'un mari, à se faire un nom et à devenir des musiciennes, voire des compositrices. » Le cas Clara Schumann est le plus éloquent.
Le sacrifice de Clara Schumann pour l’héritage musical de son mari
Née Clara Wieck, elle était une pianiste très reconnue à l’ère romantique : « Déjà célèbre, elle se marie avec Robert Schumann, qui, lui, est un compositeur encore en devenir. Le mariage ne met pas un terme complet à ses activités, mais disons, il va freiner grandement la carrière de pianiste et encore plus de compositrice », explique Aliette de Laleu.
Première raison à cette pause, les devoirs d'épouse qu'elle se doit d'accomplir au XIXe siècle : « s'occuper du foyer, des enfants, mais aussi de son mari, elle doit lui laisser l'espace pour créer », souligne l'auteure. « Toute cette notion de temps pour composer et pour écrire, ce temps de la création, c'est quelque chose que les femmes n'ont pas ou en tout cas ont beaucoup moins accès que les hommes… Clara Schumann ne doit pas, par exemple, jouer du piano quand Robert Schumann compose, elle l'écrit dans son journal intime. » Un temps qui est pourtant absolument nécessaire au processus créatif explique l'autrice. « Parce que la composition, ce n'est pas quelque chose où on s'assoit à une table et on prend un stylo et on compose. C'est l'inspiration, des artistes. Elle vient aussi des sorties de chez soi, des rencontres, des écoutes de concerts… mais aussi de la possibilité de pouvoir se balader pendant deux heures tous les jours…»
Malgré le manque de temps créatif, Clara Schumann réussit à composer quelques œuvres fameuses, comme le trio pour piano, violon et violoncelle, op 17 :
A la mort de Robert Schumann, en 1856, Clara Schumann reprend une carrière de pianiste concertiste et s'engage à mettre en lumière l'héritage musical de son défunt mari. « Ce qui est intéressant de regarder, poursuit Aliette de Laleu, c’est de quelle manière la femme contribue, après la mort de son mari au foisonnement de sa musique et pas de la sienne… Dans tous ses programmes, Clara Schumann va porter la musique de Robert Schumann, pendant des dizaines d'années… L'une des meilleures pianistes du XIXe siècle va jouer sa musique. Ce n'est pas rien ».
« Alma Mahler détestait la musique de Gustav Mahler »
Née Schindler, Alma grandit dans l’effervescence des milieux artistiques de la capitale autrichienne. « Elle rêve d'être la première femme à composer un opéra, elle l'écrit dans son journal intime - Ce qui est faux puisque avant elle, évidemment, des femmes ont composé des opéras, mais elle ne savait pas - Elle prend donc des cours de composition et elle est très appliquée, très sérieuse, avec la musique. »
Avant de rencontrer Gustav Mahler, Alma Schindler est donc pianiste et compositrice, d'un tempérament très libre, elle tombe souvent amoureuse des hommes qu'elle rencontre. « Avec Gustav Mahler, elle va se ranger », analyse Aliette de Laleu. Avant leur union, Gustav Mahler lui demande d’arrêter la composition pour éviter toute rivalité, Alma accepte. « Son mari se désintéresse complètement des œuvres de sa femme et en même temps inversement, elle même, déteste la musique de Gustav Mahler. »
Mais le tempérament d'Alma Mahler ne se satisfait pas de cette vie. « Elle va avoir des histoires avec d'autres hommes et notamment une histoire qui va faire que Gustav Mahler, par jalousie, est peut être aussi par regret, va enfin s'intéresser à la musique de sa femme et va enfin l'encourager. Mais ça, ce sera déjà vers la fin de sa vie à lui. » Quelques lieder d'Alma Mahler ont été conservés.
Mozart, Schumann, Mahler, trois noms de compositrices parmi de nombreux autres font désormais partie de l'histoire de la musique classique. « Avec l'histoire des compositrices, termine Aliette de Laleu, on apporte de nouveaux récits et on permet à la musique classique de montrer que ce n'est pas un milieu figé, qui a une seule histoire, où il y a des chefs d'œuvre et des œuvres inintéressantes ».