Music’O Seniors : l’opéra entre les quatre murs d’un hôpital

Publicité

Music’O Seniors : l’opéra entre les quatre murs d’un hôpital

Par
La soprano Clémentine Bourgoin et le baryton Virgile Frannais devant les résidants de l'Hôpital Casanova de Saint-Denis (93).
La soprano Clémentine Bourgoin et le baryton Virgile Frannais devant les résidants de l'Hôpital Casanova de Saint-Denis (93).
© Radio France

Un concert lyrique en milieu hospitalier, c’est bien plus qu’une simple animation. Pour le public, il s’agit d’un véritable bénéfice thérapeutique et pour les organisateurs, d’une nouvelle manière d’appréhender l’opéra.

« Music’O Seniors, c’est une association qui amène la musique, le concert, et plus particulièrement l’opéra dans des lieux où les personnes sont trop âgées ou handicapées physiquement pour se déplacer », explique Clémentine Bourgoin, artiste lyrique.

Ce mercredi 12 septembre 2018, c’est entre les murs de l’Hôpital Casanova, à Saint-Denis (93), que la jeune soprano est venue chanter devant un public pour le moins inhabituel : des personnes âgées, en perte d’autonomie, pour la plupart victimes de graves pathologies physiques ou neurologiques.

Publicité

Alors que Clémentine Bourgoin et Virgile Frannais, baryton, chauffent leurs voix et répètent l’un de leurs morceaux, un résidant approche mais se décourage : « Ah, non ! Ca, ça n’est pas pour moi » s’exclame-t-il en reconnaissant le lyrisme des interprètes. « Mais si, il faut essayer ! », lui répond Cathy Vesco, animatrice. Ce même résidant restera finalement assis et attentif tout au long du concert. « C’était beau », ne cessera-t-il de répéter.

L’opéra expliqué 

« L’opéra peut être considéré comme élitiste, explique Cathy Vesco, responsable du service d’animation de l’hôpital Casanova. Les résidants ont peur de ne pas comprendre ce qui est exprimé. Mais, en fait, grâce au travail pédagogique et aux explications des chanteurs, je trouve qu’il y a une très grande qualité d’écoute. »

Entre deux extraits d’opéras ou d’opérettes, Clémentine Bourgoin et Virgile Frannais prennent le temps d’expliquer, de contextualiser chaque morceau : Don Giovanni qui essaye de séduire Zerlina, Véronique qui rencontre par hasard son fiancé chez le fleuriste… Et les résidants ne manquent pas de réagir : rires, commentaires,  leur attention est croissante.

Pour Cathy Vesco, « l’opéra, c’est comme la peinture. Même si on n’a pas la culture, les codes, à force d’en voir et d’en entendre, on finit par éveiller ses sens, qu’ils soient visuels ou auditifs. Et puis à partir du moment où on explique les choses, on peut rentrer dedans. »

Faites passer
3 min

L’opéra partagé

Le concert dure une heure, avec une douzaine de morceaux au programme, et pour « rentrer dedans », nul besoin de connaître préalablement le répertoire. « On pense souvent que les personnes âgées aiment l’opéra parce que ça les ramène à leurs connaissances, leur culture, alors que ça les replonge tout simplement dans leur histoire propre : leurs amours, leurs chagrins, leurs bonheurs… », explique Chantal Ardouin, directrice de l’association Music’O Seniors.

« On ramène trop souvent les personnes âgées à ce qu’elles étaient, alors qu’elles sont vivantes et qu’elles peuvent encore découvrir, apprendre et partager ce moment », poursuit-elle. Les concerts sont ouverts aux proches, aux membres des familles, ainsi qu’au personnel soignant de l’hôpital, avec qui les résidants partagent ainsi un moment de convivialité et de découverte.

« Le personnel soignant est souvent jeune, d’une autre génération, explique Clémentine Bourgoin, riche de près de six années de collaboration avec Music’O Seniors. Et ça fait aussi plaisir de toucher ces gens là, qui se rendent compte de ce que c’est des chanteurs lyriques, de ce que c’est la musique classique, et que ça n’est pas si effrayant que ça. » 

Une musicothérapie longue durée

Un concert en milieu hospitalier, ce n’est donc pas juste une heure de musique, des artistes qui posent leurs partitions, distraient les résidants, puis repartent au théâtre ou chez eux. Pour Chantal Ardouin, chaque concert doit faire l’objet d’un véritable projet d’établissement, d’une démarche thérapeutique.

« Aujourd’hui notre association travaille à l’approfondissement de la valeur des concerts, explique-t-elle. Nous accompagnons les animateurs par des formations avec une thérapeute qui est aussi chanteuse lyrique. On approfondit l’aspect santé, on est attentif à tout ce qui peut changer chez les résidants, comment utiliser l’art lyrique au quotidien, dans la durée. »

A l’hôpital Casanova, par exemple, la responsable du service d’animation Cathy Velasco est particulièrement impliquée. Elle prépare des fiches sur les différents compositeurs, les oeuvres, entraîne et encourage les résidents à chanter, rédige des compte-rendus à l’issue de chaque concert. 

« Ces rencontres donnent du sens à notre travail et permettent à des personnes démunies de se ressourcer par la beauté artistique et sonore d’une prestation de qualité », écrit-elle / ainsi, après un concert en septembre 2017.

Exigence et qualité 

La qualité musicale et artistique, c’est l’autre valeur qui anime les membres de l’association. « On pense souvent que pour ceux qui vieillissent, la qualité sonore n’est pas importante, fait remarquer Cathy Vesco. Mais je dirais que justement - puisqu’on perd de l’audition - la pureté et la beauté du son,sont  primordiales. »

Les chanteurs sont ainsi sélectionnés aussi bien sur leur qualité technique, artistique, que leur potentiel empathique, humain. Et pour ces jeunes artistes, l’enjeu est de taille. « Même si le fait de chanter devant un autre public que celui habituel de l’opéra est une sorte de respiration pour nous, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’exigence. On a aussi le trac », témoigne le baryton Virgile Frannais.

Alors qu’ils chantent le plus souvent devant un public plongé dans la pénombre, Clémentine et Virgile sont ainsi exposés en plein jour, à quelques mètres seulement du public. Si cette proximité peut d’abord être surprenante, déroutante, c’est elle qui leur procure finalement de puissantes émotions : « On peut voir les regards, entendre les personnes chanter avec nous », décrit le baryton. « J’ai été parfois étonné d’entendre chanter certains airs, car j’étais à mille lieues de me douter que les résidants connaissaient ce répertoire. »

L’opéra, au-delà des a priori 

Bousculer les habitudes, sortir l’opéra et ses interprètes des beaux théâtres, non seulement la formule fait des miracles auprès des personnes malades, mais elle permet aussi de remettre en cause nombreuses idées reçues dont souffre cette discipline. L’une de ses idées reçues, c’est notamment que l’opéra n’appartient pas à tout le monde : « en fait l’art lyrique est partout dans l’univers sonore, que ce soit à la télévision ou à la radio. Simplement les gens ne savent pas forcément que c’est du bel canto », relève Cathy Vesco. 

Opéra ne rime pas forcément avec faste, spectaculaire. Il peut tout aussi bien se vivre et s’apprécier dans la simplicité, sans une salle de concert gigantesque et majestueuse, sans vocalise ou enchaînement d’acrobaties vocales de la part des interprètes : « L’opéra peut être vécu en France comme élitiste et difficile d’accès, mais là, ce sont des gens parmi les plus fragilisés qui nous montrent que ce n’est pas vrai. Je trouve que c’est un signe magnifique pour cet art », conclut, optimiste, Chantal Ardouin.