Musiciens et télétravail en période de confinement
Par Suzanne GervaisSi une majorité de Français s'est mise au télétravail, les musiciens confinés chez eux, privés de concerts, ont parfois du mal à continuer à travailler leur instrument sans causer de troubles de voisinage.
Le voisin de Laura est venu frapper à sa porte le premier jour du confinement. « Peut-on trouver un arrangement ? Je dois travailler chez moi… et si vous chantez en même temps, ce n’est pas possible. » Difficile de se concentrer avec une voisine chanteuse et contrainte, elle-aussi, de travailler chez elle. « Nous nous sommes mis d’accord, je chante entre 18 et 20h, explique la mezzo-soprano de 28 ans. Ce n’est pas idéal, mais il faut faire des concessions. » Des problèmes de voisinage qui concernent les musiciens citadins, surtout dans les villes denses, comme Paris.
Sourdines et portes calfeutrées
« Je suis au chômage technique, car tous mes concerts sont annulés, au moins jusqu’à fin mai, poursuit Laura. Mais je dois quand même travailler ma voix. » Coincée dans son appartement parisien, la mezzo-soprano a décidé de passer plus de temps à travailler ses partitions à la table, en silence. « J’en profite aussi pour lire des ouvrages sur la musique et pour découvrir de nouvelles œuvres. »
En période de confinement, certains instrumentistes sont mieux lotis que les chanteurs lyriques. Vincent, mandoliniste et luthiste, n’a pas encore reçu de plainte de ses voisins d’immeuble. Mais pour Paul, également parisien, c’est sourdine obligatoire lorsqu’il travaille sa trompette : « Les musiciens qui vivent en appartement ont l’habitude de composer avec les voisins et de faire attention. Mais c’est vrai qu’avec le confinement, c’est amplifié. » Le musicien place aussi un drap en bas de ses portes, pour atténuer davantage le bruit. « Par chance pour nos voisins, un instrumentiste à vent ne peut pas travailler six heures d’affilé, comme un pianiste ! »
Que dit la loi ?
En temps normal, la loi est stricte en ce qui concerne les dommages sonores liés au voisinage. Depuis le 23 mai 2012, en vertu de l’article R1337-7 du Code de la santé publique, un musicien professionnel qui s'exerce chez lui peut être interdit de jouer de son instrument jusqu'à ce qu'il effectue les travaux nécessaires à l'insonorisation de ses locaux. En cas d’infraction, il peut être contrait de verser une amende de 68 euros.
Mais, à cause des circonstances exceptionnelles, la tolérance est de mise : il est bien évident que toute activité musicale ne sera pas sujette à condamnation pour troubles anormaux du voisinage. Pour éviter les conflits, le dialogue avec les voisins est indispensable : distanciation sociale oblige, glisser un « petit mot sous la porte » est la solution choisie par Coline, professeur de saxophone. Elle vit à Grenoble, dans un immeuble bruyant du Centre-Ville : « Il ne faut pas hésiter à exposer le problème aux voisins. Chacun peut faire des concessions, décider que je travaille mon saxophone deux heures d’après-midi ou deux fois une heure. ».
Répétitions sur Facebook
Si les musiciens professionnels essaient de composer avec le voisinage, ils font aussi en sorte de rester motivés et, pour cela, ils sont de plus en plus nombreux à partager certaines de leurs séances de travail sur Facebook, en direct. Manon, mezzo-soprano, et Benoît, théorbiste, filment ainsi, depuis leur appartement rouennais, des séances de déchiffrage : au programme, pour leur premier live, des Songs de John Dowland.
Ils invitent les internautes à donner leur avis sur l’interprétation. Certaines startups se mobilisent pour aider les musiciens à répéter à chez eux : NomadPlay, qui permet au musicien de jouer accompagné d’un orchestre symphonique, d’une formation chambriste ou d’un piano, offre ainsi un accès gratuit à sa plateforme pendant un mois, avec le code TOGETHER01.
La musique à la rescousse
Si les gammes et arpèges quotidiennes peuvent user les nerfs, avoir un musicien pour voisin n’est pas une malédiction et peut même illuminer la journée d’un confiné. Installé à Londres, le violoncelliste français Romain Malan a fondé le World Harmony Orchestra, formation d’une quinzaine de musiciens, qui joue pour les publics défavorisés de la capitale britannique. « A cause de la pandémie, les concerts sont tous annulés et nous devons, comme en France, rester chez nous, explique le musicien. Mais je me suis dit que la musique pouvait aider les gens à tenir le coup. »
Le violoncelliste contacte donc les musiciens professionnels de son carnet d’adresse et leur propose de jouer sur leur balcon, dans la cour déserte de leur immeuble ou dans la rue vide, par beau temps, pour les voisins, et notamment les personnes âgées et isolées. A ces musiciens, le World Harmony Orchestra assure même un cachet symbolique de 30 livres pour une demi-heure de concert. Romain Malan s’est ainsi produit dans la cour de son immeuble vide, avec sa femme violoniste, devant les voisins, attentifs et ravis installés à leurs fenêtres.