Opéra Bastille : reprise des travaux, 30 ans après l'inauguration

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Opéra Bastille : reprise des travaux, 30 ans après l'inauguration

L'Opéra Bastille a été inauguré en juillet 1989
L'Opéra Bastille a été inauguré en juillet 1989
© Maxppp - Favret Manez

L'agence d'architecture danoise, Henning Larsen, a remporté l'appel d'offre au début du mois pour parachever l'Opéra Bastille. Il s'agit de terminer les travaux d'une troisième salle dite modulable qui avaient été abandonnés avant l'inauguration du bâtiment, il y a 30 ans.

Les travaux vont reprendre à l'Opéra Bastille, trente ans après son inauguration. L'agence d'architecture danoise, Henning Larsen - connue notamment pour avoir réalisé l'Opéra de Copenhague- a remporté l'appel d'offre au début du mois de février pour parachever la salle modulable. Un projet à 59 millions d'euros, étalé jusqu'en 2023.

Il s'agit d'une troisième salle qui existe déjà sous la forme d'une énorme coque vide en béton. Lorsque l'Opéra Bastille a vu le jour en 1989, seuls l'amphithéâtre et la grande salle ont été livrés. Comment expliquer que la salle modulable n'ait jamais vu le jour et que le projet soit relancé aujourd'hui ? Retour sur un projet qui a toujours divisé.

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La salle modulable, un projet abandonné dès 1986

Dès 1981, François Mitterrand, nouvellement élu président de la République, porte le projet d'une nouvelle salle d'opéra à Paris. « Mais cet opéra ne devait pas du tout être à Bastille, il devait être à la Villette sur un complexe très complet où il y avait le conservatoire, une grande salle de concert symphonique, une plus petite salle, un opéra et un musée de la musique. Le modèle, c’était le Lincoln Center de New York. Au bout de quelques mois, le projet a changé parce que des conseillers ont convaincu François Mitterrand que cela serait bien de faire l’opéra sur un lieu symbolique, un lieu populaire », retrace Christian Merlin, critique musical au Figaro et producteur sur France Musique.

Le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez, figure incontournable de la vie musicale française, est consulté pour la construction de l'Opéra Bastille. Il plaide pour l'existence d'une salle modulable au sein du futur bâtiment. « L'idée, c'est qu'un opéra traditionnel avec une salle frontale est quelque chose d'obsolète. Boulez a toujours dit : si vous voulez éviter de faire un musée, ou de faire un opéra qui allait jouer le grand répertoire sans être ouvert sur la création et bien continuez comme ça. Mais si vous voulez un opéra à l’écoute de son temps, capable de créer de nouvelles formes lyriques, il faut cette salle modulable », recontextualise Christian Merlin, qui travaille actuellement sur une biographie sur Pierre Boulez

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Le chef d'orchestre tente de convaincre les différents gouvernements mais en 1986, la droite sort gagnante des élections législatives.  Jacques Chirac est nommé Premier ministre, s'en suit la première cohabitation sous la Ve République. La salle modulable, voulue par un président de gauche, est donc progressivement enterrée par un gouvernement de droite.  « Il y a même une cohabitation dans la cohabitation. Au sein même du gouvernement, il y a avait une concurrence entre Alain Juppé, ministre du budget, et François Léotard ministre de la culture, qui était pour la salle modulable et un opéra moderne », détaille Christian Merlin.

Alain Juppé trouvait que cela coûtait trop cher et on était à une époque de grande rigueur budgétaire. A l’époque, ce sont plutôt les arbitrages Juppé qui l’ont emporté donc cela a encore retardé la salle modulable et finalement elle a été complètement abandonnée.                                                                                    
Christian Merlin, critique musical au Figaro et producteur sur France Musique

Une coque vide en béton brut

Lors de l'inauguration de l'Opéra Bastille en 1989, deux des trois salles initialement prévues par l'architecte Carlos Ott sont finalement livrées : l'amphithéâtre et la grande salle. La salle modulable est abandonnée. Il s'agit donc d'une livraison partielle car l'Opéra Bastille, lui-même, a failli ne pas voir le jour. L'emplacement de cette troisième salle est toutefois prévu, sous la forme d'une coque vide en béton brut.  « On a conservé cette hypothèse de troisième salle, même si on l'a fait a minima. La façade a été livrée, on voit aujourd'hui ce qu'était le foyer de la troisième salle mais c'est un foyer qui est resté vide. Juste après la billetterie, il y a un cylindre en métal, derrière lequel se trouve la salle modulable qui n'a jamais été livrée », explique Frédéric Caudoux, architecte à l'agence Reichen et Robert & Associés à Paris, associé au projet avec le cabinet danois Henning Larsen.

La salle modulable restera dans cet état pendant trente ans, car ce n'est pas une priorité dans les décennies qui suivent l'inauguration. Toutes les décisions politiques se concentrent ensuite sur l'ouverture de la Cité de la musique en 1995, comme le rappelle Christian Merlin. 

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Puis, selon Stéphane Lissner, directeur de l'Opéra National de Paris, un certain nombre de directeurs qui l'ont précédé  « n'ont pas été intéressés par ce projet ».

« L'urgence, c’était de faire fonctionner l’Opéra Bastille tel quel et de le faire arriver à sa vitesse de croisière, créer un répertoire, faire venir un public car la salle était nettement plus grande que le Palais Garnier et cela prend du temps. Aujourd'hui, on peut considérer que c‘est fait, l’Opéra bastille est viable. Il semblerait donc que le moment soit venu pour réfléchir à d’autres formes d’opéra et inventer quelque chose de nouveau », affirme Christian Merlin. Stéphane Lissner voit dans l'abandon de la salle modulable à la foisune décision politique et une non-décision de la part des différents directeurs de l’Opéra National de Paris : « C’est assez étrange que cet énorme espace en plein milieu de Paris ait été abandonné depuis 1986. On a même construit une salle pour l’orchestre à l’intérieur (salle Liebermann) pour condamner définitivement cette salle modulable d’une certaine façon, il va falloir reconstruire l’ensemble », explique l'actuel directeur de l'Opéra National de Paris.

Les travaux relancés grâce à un compromis

D'une certaine manière, la reprise des travaux de la salle modulable repose en fait sur le lancement de la Cité du Théâtre, voulue par l'ancien président François Hollande. Le projet nécessite d'inclure un des bâtiments qui abrite aujourd'hui une partie des activités de l'Opéra Bastille, notamment de construction et stockage de décors et costumes. Il s'agit des Ateliers Berthier, situés dans le 17e arrondissement de Paris. L'Opéra Bastille doit donc quitter ces Ateliers pour que la Cité du Théâtre voie le jour. Stéphane Lissner, qui a toujours été favorable à la salle modulable, y voit alors une opportunité de relancer les travaux.

« Quand il a été question de déménager de Berthier, j’ai accepté ce déménagement à une seule condition : qu’on rapatrie toutes les activités de Berthier dans cet espace délaissé, cette zone où on pouvait construire des ateliers. Mais aussi à condition également qu'on achève ce projet de l’Opéra Bastille en y construisant définitivement une salle », détaille-t-il.

Stéphane Lissner est directeur de l'Opéra National de Paris depuis 2014
Stéphane Lissner est directeur de l'Opéra National de Paris depuis 2014
© Radio France - Maïwenn Bordron

La reprise des travaux de la salle modulable de l'Opéra Bastille sera donc accompagné de la construction d'un nouvel espace de 3500 mètres carrés pour rapatrier les activités jusque-là organisées au sein des Ateliers Berthier. Cette extension neuve prolongera le bâtiment existant vers le Viaduc des Arts, sur un terrain jouxtant la Coulée verte. La totalité des travaux doit s'étaler sur environ quatre années puisque l'ensemble doit être terminé pour 2023.

« C'est une approche très respectueuse de l'oeuvre de Carlos Ott, on n'a pas jugé cette architecture mais on a choisi de la compléter », affirme l'architecte Frédéric Caudoux.

Une salle "Rubik's Cube" qui peut se transformer

La salle modulable aura une capacité d'accueil d'environ 820 places, soit une taille intermédiaire entre les deux salles déjà existantes de l'Opéra Bastille : 2745 places pour la grande salle et 450 places pour l'amphithéâtre.

« La vocation première, c'est une salle de répétition pour les spectacles de Bastille et de Garnier mais on imagine pouvoir faire plus. Tout est possible : du défilé de mode jusqu'aux dîners ou avant-premières de films. La configuration de la salle peut être avec ou sans gradins, avec un parterre à plat, c'est un Rubik's cube très adaptable. Plutôt qu'une salle modulable, c'est presque une salle ultra-modulable qui est imaginée », détaille l'architecte Frédéric Caudoux, de l'agence Reichen & Robert associé au cabinet danois Henning Larsen.

Selon Stéphane Lissner, la construction de cette salle modulable est une « décision très importante pour le futur de cette maison ».  « Cette salle va jouer un rôle social. Pour moi, c’est une sorte de ciment entre Garnier et Bastille, je pense que c’est dans cet esprit que les futurs directeurs de Bastille devraient développer cette salle avec toujours l’idée d’ouvrir nos portes au plus grand nombre. Nous allons proposer des prix de places raisonnables qui pourraient s’adresser à une nouvelle population, des prix de places beaucoup plus raisonnables que ceux que nous sommes contraints de proposer », souligne le directeur de l'Opéra National de Paris. Avant de concéder : « Nous avons 900 000 spectateurs par an mais nous pouvons encore en gagner. Et on aimerait que cela soit des nouveaux qui viennent ».  La salle doit également permettre à de nouveaux artistes, qui n'ont pas accès aux autres salles plus prestigieuses de Bastille ou de Garnier, de se produire.

La grande salle de l'Opéra Bastille peut accueillir 2745 spectateurs. La salle modulable, elle, pourra recevoir jusqu'à 820 personnes.
La grande salle de l'Opéra Bastille peut accueillir 2745 spectateurs. La salle modulable, elle, pourra recevoir jusqu'à 820 personnes.
© Getty - Jean-Luc MANAUD

L'ensemble des travaux coûte 59 millions, dont une partie sera financée à hauteur de 4 millions d'euros "minimum" par le mécénat - « peut-être trouverons-nous plus d’argent dans les mois qui viennent », selon Stéphane Lissner. Un investissement qui pourrait également permettre à l'Opéra Bastille de rapporter de l'argent car la direction prévoit de louer la salle modulable. « Nous avons beaucoup de demandes de locations et nous sommes très bien placés géographiquement. Nous vivons un moment économique complexe et il est évident que cette salle ne devra pas coûter d’argent : il est même prévu qu’elle nous en rapporte un peu », précise Stéphane Lissner, convaincu de « viser juste avec cette salle ». 

Reste maintenant à lancer effectivement la phase de travaux, qui ne devrait pas débuter avant 2020. « Tout est à faire dans ce volume. Ces façades ne sont plus aux normes. Ce bâtiment va être réhabilité, mais on va y mettre les contraintes et les performances d'un bâtiment neuf. Il va donc falloir isoler, changer les menuiseries pour les mettre aux performances thermiques des bâtiments actuels, sachant qu'il y a une haute ambition environnemental porté par l'Opéra de Paris », insiste l'architecte Frédéric Caudoux, dont l'agence Reichen & Robert est spécialisée dans la réhabilitation de bâtiments. Le projet doit démarrer prochainement avec une longue phase d'études qui doit s'étendre jusqu'au printemps 2020.

Par Maïwenn Bordron