Sept adultes autistes, six éducateurs, et un groupe de musique qui met le feu sur scène. Reportage sur Percujam, un projet unique qui permet aux adultes autistes de dépasser leur handicap.
Ce lundi matin, c'est l'heure de la répétition. Dans le petit salon d'une maison située à Antony, en région parisienne, les musiciens arrivent. On échange des bises, on se serre la main, on demande des nouvelles du weekend. Pendant que certains préparent le studio de répétition, d'autres assistent à une première mise au point. Sur un tableau de bord, des photos, un emploi de temps détaillé.
« Le lundi, c'est un peu la ruche ici. On se réunit d'abord pour revoir le planning des activités de la journée : les pictos, la date, la journée etc. Et comme cette semaine, on part à Quimper pour deux jours, et même s'ils le savent déjà, il est important pour eux en termes de repère d'en reparler et de mettre au courant ceux qui n'étaient pas là, » explique Laurent Milhem.
Nous sommes dans une des trois maisons d'Alternat, foyer d'accueil médicalisé des adultes autistes en grande difficulté. Laurent Milhem est éducateur spécialisé et chef de service, et aussi musicien missionné d'encadrer un projet unique : un groupe de musiciens composé de sept personnes autistes et de six éducateurs, réunis sous le nom de Percujam. Deux fois par semaine, les éducateurs spécialisés et les résidents s'emparent des instruments de musique, et jouent des morceaux qu'ils ont co-composés ensemble. Les filles sont au chant, les garçons à la guitare, au clavier, à la batterie, à la basse. Mais en vrai, tout le monde fait tout, finalement. La répétition est dédiée aux morceaux qui vont être joués en concert à Quimper.
« Nous accueillons des résidents à partir de 20 ans, explique Laurent Milhem. Ils vivent ici, chacun a un projet de vie personnalisé en fonction de ses difficultés. La musique les aide, mais il n'y a pas que cela. Ils ont besoin de s'épanouir dans du sport, dans le maintien cognitif pour tous ceux qui ont des compétences scolaires, sur tout ce qui est communication, il y en a qui sont moins verbaux, plus écholaliques. On dit souvent que chez les autistes il y a peu d'appétences, ils sont renfermés sur eux. Quand on a vu qu'ils aimaient la musique, on a décidé d'appuyer dessus pour qu'ils puissent s'ouvrir à d'autres choses », explique l'éducateur.
Valoriser les compétences pour dépasser le handicap
En vingt ans d'existence, Percujam a enregistré trois albums et a tourné partout en France et à l'étranger. Le groupe s'est également produit avec les musiciens de renom tels M, Caloggiero ou Grand Corps Malade, et a joué dans des grandes salles parisiennes, dont le Zénith ou l'Olympia. « La scène n'est que la conséquence de la musique qu'ils jouent, et ils jouent essentiellement pour être sur scène, ce qui crée une émulation d'énergie qui fait qu'ils surpassent leur difficultés. Mais il ne faut jamais oublier que pour en arriver là, il a fallu un travail de vingt ans, et que le lendemain d'une Olympia par exemple, les éducateurs sont au réveil avec ces résidents-là, » rappelle Laurent Milhem.
Et pourtant, l'aventure a commencé pendant une pause de café, il y a deux décennies, raconte Catherine Allier, aujourd'hui retraitée, et à l'époque éducatrice spécialisée. Elle est vice-présidente de l'association APRAHM autisme, qui gère les trois maisons Alternat, projet qu'elle a initié avec le concours des parents pour répondre à la souffrance des familles sans solution pour leurs jeunes. « Il y avait là deux éducateurs qui étaient aussi musiciens et qui ont commencé à jouer. A un moment donné, on a vu un résident mimer les gestes de pianiste, raconte l'éducatrice. On l'a mis à un piano qui traînait dans un coin, et il s'est mis à les accompagner. Il n'avait jamais fait de musique auparavant, il était plus dans l'écholalie que dans l'échange réel », s'étonne Catherine Allier.
L'équipe a repéré un autre résident qui avait un sens de rythme exceptionnel, puis un autre, avec une belle voix. « Au départ ils étaient quatre, nous n'étions pas du tout dans une démarche de musicothérapeutes. On les retrouvait souvent ensemble à répéter, tout le monde y allait, et on se retrouvait à 25 dans une petite pièce à faire de la musique ensemble. Il y avait un plaisir partagé et c’était profitable pour tout le monde, se souvient la vice-présidente. On a découvert un tas de choses, on a fait venir un professeur de piano du conservatoire qui n’arrêtait pas de s'étonner de leur motivation et de leur talent à reproduire la musique à l'oreille. »
Artiste, autiste, une lettre d'écart, une note d'espoir
Des premiers concerts devant le public des parents, jusqu'aux premières dates, notamment dans le milieu médico-social, au bout de dix ans, Percujam a pris de l’ampleur. Le projet Alternote est né, qui visait désormais à inclure les adultes autistes venus d'ailleurs, qui avaient les compétences musicales.
« Nous avons un jeune homme qui a une place importante dans le groupe. Il vient de Paris, il était scolarisé dans une classe intégrée, mais il n'y avait pas sa place. Incident sur incident, il s'est fait exclure. Se retrouvant à la maison, on l'a mis sous traitements lourds pour l'apaiser. Quand il est arrivé, il était complètement abruti par les médicaments, mais il adorait chanter. Avec le temps, le traitement s'est amenuisé et maintenant ses troubles de comportement ont quasiment disparu », raconte Catherine Allier.
Une exclusion que vit encore aujourd'hui la majorité des personnes autistes en France. Selon l'association Autisme France, qui cite le rapport de la Cour des Comptes de 2017, sur environ 700 000 personnes autistes en France, deux tiers des enfants et près de 80% des adultes sont accueillis dans des établissements généralistes qui n’ont pas reçu un agrément spécifique autisme. Selon le même rapport, très peu de structures développent des projets éducatifs de qualité et l_’insertion professionnelle (des adultes autistes) reste exceptionnelle et anecdotique._ Privés d'avenir, les adultes autistes sont laissés à la charge des parents ou obligés de s'exiler, notamment en Belgique. Une réalité que Catherine Allier n'a eu de cesse de combattre tout au long de sa présence auprès des résidents d'Alternote :
« Cela leur a apporté une confiance en eux extraordinaire, mais aussi une identité. Avant ils étaient les adultes fréquentant un établissement pour autistes, ils étaient réduits à leur handicap. Aujourd'hui, ils sont musiciens de Percujam, sourit-elle. Quand ils sont en concert, le fait d'entendre quelque fois, alors que j’étais dans le public, les gens se demander : ' C'est lesquels , les autistes ? L'accordéoniste doit être autiste. ' Et l'accordéoniste, c'est un éducateur. Je me dis qu'on a tout gagné. »
Une victoire qui prend tout son sens dans les paroles de la chanson qui est devenu en quelque sorte l'hymne du groupe : Artiste, autiste, une lettre d'écart, une note d'espoir.
- Percujam sur scène, c’est le 31 mars à Bobino au profit de Sésame autisme, et il y a aussi un documentaire sur le groupe sorti en 2018 réalisé par Alexandre Masséna.