
Reconnu pour ses œuvres dites « minimalistes », le nom de Philip Glass figure également sur les bandes originales de plusieurs dizaines de films. Des musiques influencées par les mondes du théâtre et de l’opéra.
Dans les années 1960, les premières œuvres de musique répétitive de Philip Glass, qualifiées malgré le compositeur de « minimalistes », furent tout, sauf bien reçues. 60 ans plus tard, cette musique se trouve tant sur les scènes des plus grandes salles internationales que sur grand écran. Si le compositeur américain a su conquérir le monde du cinéma international, il se décrit tout d’abord comme un « theater composer » : un compositeur pour le théâtre.
Avant d’apporter sa musique au grand écran, Philip Glass forge sa voix musicale sur les scènes du théâtre et de l’opéra, deux mediums d’expression artistique qui influenceront de manière incommensurable ses œuvres pour cinéma et sa musique de manière générale.
Entre la France et l’Inde, la découverte d’un style
Etudiant de Nadia Boulanger à Paris en 1964, Philip Glass s’investit pleinement dans la vie culturelle parisienne de l’époque. Il découvre le cinéma de la nouvelle vague de Godard et de Truffaut, mais aussi le théâtre avant-gardiste de Jean Genet, Jean-Louis Barrault et surtout de Samuel Beckett. Passionné de théâtre, il participe avec plusieurs amis et sa compagne JoAnne Akalaitis à la fondation d’une troupe, dont il est le compositeur en résidence.
Parmi de nombreuses collaborations, ce sont les œuvres de Samuel Beckett qui marqueront le compositeur, et notamment Play, une pièce de théâtre ouverte aux rythmes rapides et aux structures courtes et répétitives. Profondément influencé par le rythme et structure des œuvres de Beckett, Glass retiendra un conseil du dramaturge en particulier : « la musique doit s’insérer dans les interstices du texte ».
Par ailleurs, le voyage de Glass en Inde en 1965 lui révélera une deuxième influence essentielle. Nommé directeur musical et compositeur pour le film Chappaqua de Conrad Rook, il collabore avec Ravi Shankar et Alla Rakha pour la bande originale du film. Par ses transcriptions de la musique indienne répétitive de Shankar et de Rakha, Glass comprend que le rythme est un processus purement additif.
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Image, musique, et spectateur
De retour aux Etats-Unis en 1967, en possession des deux ingrédients clés de son identité musicale à suivre, Philip Glass plonge dans le monde du théâtre et de l’opéra : il poursuit sa collaboration théâtrale avec Samuel Beckett et travaille avec Lee Brauer. Il se lance également dans l’opéra avec l'oeuvre « non-narrative » Einstein on the Beach (1976) mise en scène par Bob Wilson et inspirée du théâtre expérimental que Glass côtoie et affectionne tant.
Sa musique maintenant mise au point dans sa forme, il reste un dernier élément essentiel à sa présentation : le spectateur. Unique dans sa façon d’interagir avec son public, l’œuvre de Glass n’existe que par l’interprétation de son public, une idée qui trouve son origine dans le théâtre expérimental mais aussi dans l’œuvre de John Cage, dont la pensée fondamentale suggère que c’est le public qui « complète » la musique :
« Dès mes premières expériences au théâtre, on m’a encouragé à laisser ce que j'appelle un « espace » entre l'image et la musique. En fait, c'est précisément cet espace qui est nécessaire pour que les membres du public aient la perspective ou la distance nécessaires pour créer leurs propres significations individuelles. S’il n’y avait pas cet espace [...] il n'y aurait aucun endroit pour que le spectateur se situe », écrit Glass dans ses mémoires Writings on Glass.
Ainsi, l’œuvre de Glass n’existe pas à part entière mais existe en tant qu’outil d’interaction et d’union entre le spectateur et le visuel, une idée que Glass ne tardera pas à mettre au service du septième art.
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De la scène au grand écran
Si Philip Glass se montre hésitant lorsqu’on lui propose pour la première fois d’écrire la musique d'un film (Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio), le cinéma ne serait pour le compositeur qu’une autre forme collaborative d’expression artistique, réunissant visuels, mouvement et sons : selon Glass, la musique de film s’apparenterait donc à l’opéra et au théâtre.
Compositeur prolifique de ces deux genres, il n’hésite pas à appliquer dès ses premières collaborations cinématographiques sa conceptualisation narrative et musicale jusqu’alors perfectionnée à travers ses œuvres pour la scène.
Pour sa première collaboration pour le film North Star (1977) sur le sculpteur Mark di Suvero, Glass ne propose pas une musique d’accompagnement mais tente de « traduire » en musique chacune des neufs sculptures présentées dans le film. Quant au film sans dialogue Koyaanisqatsi (1982) de Godfrey Reggio, la suite d’images de notre société contemporaine reposent sur une narration musicale conçue dans le style répétitif et minimaliste de Glass.
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Ainsi, les bandes originales de Philip Glass ne sont pas conçues pour accompagner les images mais plutôt d’en proposer une narration musicale : « Je n’écris pas la musique pour accompagner le film, j’écris la musique qu’est le film », écrit le compositeur dans ses mémoires Writings on Glass.
La musique avant l’image...
Souhaitant créer des bandes sonores uniques dans leurs formes musicales, Philip Glass remet également en question les conventions du rôle du compositeur de bandes originales. Plutôt que d’attendre que le film soit terminé pour ensuite y apporter un soutien musical, Glass se manifeste dès les premiers instants du tournage, voir même avant.
Lors de sa collaboration avec le réalisateur Godfrey Reggio pour le film Powaqqatsi (1988), deuxième de la trilogie sans dialogue sur la société contemporaine, dite « Qatsi » (Koyaanisqatsi, Powaqqatsi et Naqoyqatsi), Glass intervient avant que réalisateur n’ait commencé le tournage, inversant ainsi le rôle de pouvoir entre l’image et la musique :
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« Quand on me le permet, je peux écrire une bande originale qui peut entièrement changer votre perception du film. On ne me le permet que rarement, mais Godfrey Reggio me l’autorise. Il n’a aucune idée de ce à quoi va ressembler la musique, et lorsqu’il l’écoute, cela l’aide à comprendre son film», explique Philip Glass lors d’une interview avec Richard Guerin.
En 2002, afin de reformuler à nouveau la relation de pouvoir entre la musique et l’image, Glass lance le défi à quatre réalisateurs de cinéma, Atom Egoyan, Shirin Neshat, Michel Rovner et Peter Greenaway, de créer un visuel pour accompagner quatre nouvelles œuvres musicales.
...et bien après l’image
Non seulement Glass parvient à guider par sa musique certains réalisateurs avant même que le tournage de leurs films ne soit terminé, mais il vient également composer (ou recomposer) la musique pour des films plusieurs décennies après leur réalisation.
Grand admirateur de Cocteau, Glass compose une trilogie d’adaptations pour opéra des films du réalisateur français : Orphée (1991), La Belle et la Bête (1994) et Les Enfants terribles (1996). Si les opéras sont souvent adaptés au cinéma, rares sont les films qui sont adaptés pour l’opéra.
Ainsi, pour son adaptation de La Belle et la Bête, Glass remplace la bande sonore et musicale du film (musique de Georges Auric) et ajoute à sa place un opéra parfaitement synchronisé au film, qui est lui-même projeté sur scène pendant la représentation de l’opéra.
Ce « renouvellement » musical est poussé à son apogée en 1998 lorsque Glass compose une bande originale pour le film d’horreur Dracula (1931) de Tod Browning, un film à l’origine sans musique :
« J’ai abordé le projet comme si c’était une pièce de théâtre, ce qui est, de toute façon, la manière par laquelle j’aborde les films de manière générale », explique le compositeur lors d’une interview avec James Tobias.
Une inversion dans l’ordre de conception et de réalisation qui accorde à la musique une présence primaire et physique au même rang que l’image : le visuel n’est plus une priorité à accompagner mais plutôt transformé en élément de performance aux côtés du son.
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La musique de Glass appartient à une pensée musicale qui dépasse le simple asservissement à l’image : elle est conçue comme un élément à part, dont la vocation serait d’aller au-delà du visuel.
« Glass [a] quitté le domaine traditionnel de la narration au profit de quelque chose de plus méditatif, moins soigneusement délimité et plus fidèle à la vie. [...] Nous sommes des créatures qui se répètent, nous, les humains, et si nous refusons d’embrasser la répétition [...] nous ignorons une grand part de l’essence même de la vie », explique Michael Cunningham, auteur du livre The Hours, dont l’adaptation au cinéma en 2002 comprends une des bandes originales les plus marquantes du compositeur américain :
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