Pierre Dumoussaud, révélation des Victoires de la musique classique 2022

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Pierre Dumoussaud, révélation des Victoires de la musique classique 2022

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Pierre Dumoussaud, révélation des Victoires de la musique classique 2022
Pierre Dumoussaud, révélation des Victoires de la musique classique 2022
- @N.Colmez

Rencontre avec Pierre Dumoussaud, nommé dans la catégorie “Chef d'orchestre” des Victoires de la musique classique 2022.

Pierre Dumoussaud est nommé dans la catégorie “Chef d'orchestre” des Victoires de la musique classique 2022. Formé notamment au CNSM de Paris, il travaille ensuite à Bordeaux et enregistre plusieurs disques, notamment Pelléas et Mélisande de Debussy avec l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Nous l'avons rencontré lors des répétitions au Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique, vendredi 14 janvier 2022.

Comment avez-vous découvert la direction d’orchestre ?

J’ai découvert la direction de chœur en premier. Comme j’étais trop petit pour rester seul, ma mère m’emmenait aux répétitions de son chœur. Je passais des dimanches entiers à écouter des chanteurs mais aussi à regarder le chef et ça me fascinait. Le geste, cette impression qu’il sculptait le son, tout ça m’a donné le goût de la direction. J’ai voulu diriger dès que possible : j’ai dirigé des chœurs, puis, quand j’étais au lycée, j’ai créé un orchestre pour diriger un orchestre.

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J’ai également commencé le piano dans une école de musique mais je ne travaillais pas donc j’ai été renvoyé. Il a fallu choisir un autre instrument en cours d’année et il restait de la place en basson. Ma mère m’a fait écouter Le Sacre du Printemps, Pierre et le Loup et j’ai tout de suite accroché. J’en ai joué 15 ans ensuite.

Qu’est-ce qui vous a décidé à en faire votre métier ?

J’ai continué le basson et la direction en parallèle, au CRR de Paris, au PSPBB puis au CNSM de Paris. Des années d’apprentissage un peu denses où je travaillais énormément. Beaucoup de personnes m’ont conseillé de ne pas abandonner le basson même si la direction marchait bien, car c'est toujours une sécurité d’avoir un instrument. Aujourd’hui, l’expérience que j’ai acquise comme instrumentiste dans des orchestres me sert énormément dans ma relation avec les musiciens.

J’ai donc continué le basson jusqu’à ce que je sois repéré par un agent comme chef, c’est à ce moment que j’ai réalisé que ça allait pouvoir être mon métier. Je suis devenu assistant à l’Opéra de Bordeaux, et ça a été un apprentissage très différent de l’apprentissage théorique. Car la position d’assistant et celle de chef n’ont pas que leur titre comme différence. Le chef prend sur ses épaules la responsabilité intégrale, et ça n’est plus simplement une question de réglages techniques. C’est un autre monde, de relations humaines, de conceptions artistiques et musicales et c’est ça qui est passionnant. Quand on accepte cette responsabilité, on découvre des choses sur soi, sur la musique et sur les gens simplement.

Comment travaillez-vous au quotidien ?

Il y a deux quotidiens. D’abord à la maison : je dépose mes enfants à la crèche le matin et ensuite je rentre chez moi m’enfermer dans mon bureau où il y a une grande bibliothèque pleine de livres, car j’ai besoin lire mais aussi de m’alimenter d’autres arts. Et je prépare les partitions, laborieusement. Et puis il y a la vie en production : d’un coup on met son masque de chef, il faut prendre soin des gens, répondre aux questions, porter la responsabilité. Deux aspects très différents : d’un côté l’introspection pour chercher en soi ce qu’on a à dire, de l'autre il faut le restituer aux autres et essayer de s’ouvrir.

Vous avez un rêve comme musicien ?

Pas vraiment. J’en avais auparavant : par exemple quand j’étais bassoniste, je rêvais de diriger La Quatrième de Brahms avec l’Orchestre philharmonique de Berlin. Mais au fur et à mesure, ça s’efface, et je profite de plus en plus de chaque instant, quel que soit le pays, l’orchestre… J’essaie toujours de prendre un projet comme si c’était le dernier et le plus beau.

Quelles sont les spécificités de la direction d’opéra ?

Je fais beaucoup d’opéra romantique français et ça me plaît, mais je n’ai pas forcément envie de ne faire que ça. A l’opéra, on est caché, c’est un métier artisanal, où il faut du respect et de la considération pour tous les corps de métiers et avoir le plus d’empathie possible pour les chanteurs face à nous qui, eux, sont face au public. Et dans tout ça, tracer une grande ligne dramatique de l’ouverture jusqu’à la fin du dernier acte. On est un engrenage d’une énorme machine.

Et il faut se rappeler qu’à l’opéra, il y a bien d’autres personnes essentielles et invisibles : si un technicien n’est pas là, le décors ne bouge plus et l’opéra doit s’arrêter. Tout ça apprend l’humilité : on est indispensable mais on n’est pas le seul !

Qu'est ce que ça changerait pour vous d'obtenir cette Victoire de la musique ?

Je trouve déjà formidable que cette nouvelle catégorie de "Chef d'orchestre" existe car il y a beaucoup de jeunes musiciens qui s’intéressent à la direction en France ces dernières années. Et c’est génial que deux femmes soient nommées, ça montre qu’il y a autant de jeunes femmes cheffes d’orchestre que de garçons. De plus, quand je dis que je suis chef d’orchestre aux gens que je rencontre, souvent ils ignorent ce que c’est. Donc cette catégorie permet aussi de faire de la pédagogie sur ce métier.

Et puis si je l’avais, ce serait le début d’un chemin de reconnaissance : les Victoires ce sont nos paires, des artistes qu’on admire depuis longtemps, mais aussi une reconnaissance du milieu car ça implique des éditeurs, des producteurs… Sans être une fin en soi, c’est un encouragement.

Un proche, un musicien ou un artiste qui vous a donné envie de faire de la musique ?

Je suis très attaché à mes professeurs mais il y a un chef qui m’inspire particulièrement : Nikolaus Harnoncourt, pour ses enregistrements, sa démarche, ses écrits. C’est l’un des premiers à avoir eu l’inspiration de remonter aux sources historiques de l’interprétation d’une œuvre sans pour autant en faire un dogme. Il était toujours beaucoup plus intéressé par le geste, l’interprétation et l’incarnation que par l’idée d’une restitution pure.

Vous parlez de l’aspect humain du metier, pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est la partie qui ne s’apprend pas. On fait un métier de ressources humaines, et on doit manager des musiciens qui sont en CDI contrairement à nous. Quand on prend un poste, qu’il dure une semaine ou trois ans, il faut faire avec les histoires, les conflits et les joies des musiciens. S’il y a un conflit entre deux musiciens, on va devoir non pas le résoudre, ce serait présomptueux, mais l’appréhender, le contourner ou l’inclure. Certains orchestres ont des histoires longues, impressionnantes ou tourmentées : il faut aussi connaître ces histoires pour savoir où on met les pieds.

L’orchestre attend du chef, plus que quoi que ce soit d’autre, qu’il tranche, qu’il arbitre et ce n’est pas toujours facile. On apprend à ne pas confondre autorité et autoritarisme. Un jour Jean-François Zygel m’a dit que l’orchestre attendait du chef qu’il soit à la fois “le père et la mère” : les musiciens n’ont pas besoin seulement d’un chef qui tape du poing sur la table mais aussi de quelqu’un qui les entoure et les rassure. Il faut les deux.